Stoker : Critique
Alice n’est plus ici, et le temps des merveilles est bel et bien révolu. Revenue trop vierge du Alice au pays des merveilles de Tim Burton, Mia Wasikowska déchire son costume de poupée acidulée dans un film qui résonne avec le classique de Lewis Carroll, auquel il emprunte la couleur de fable initiatique désaxée au parfum sulfureux de pédophilie – l’obsession maladive de l’écrivain pour les fillettes, le sous-texte incestueux.
Alice n’est plus ici, et le temps des merveilles est bel et bien révolu. Revenue trop vierge du Alice au pays des merveilles de Tim Burton, Mia Wasikowska déchire son costume de poupée acidulée dans un film qui résonne avec le classique de Lewis Carroll, auquel il emprunte la couleur de fable initiatique désaxée au parfum sulfureux de pédophilie – l’obsession maladive de l’écrivain pour les fillettes, le sous-texte incestueux. Un cocktail noir et terriblement sensuel tombé entre les mains du coréen Park Chan-Wook (Old Boy) pour son premier essai hollywoodien, casé entre ceux de ses compatriotes Kim Jee-woon (Le Dernier Rampart) et Bong Joon-ho (Snowpiercer). Avec Nicole Kidman en fleur desséchée, cerise sur le gâteau amer, amoral mais absolument délectable qu’est ce Stoker.
Au bord d’une route, une fille élancée, léchée par une brise silencieuse et une caméra langoureuse, observe des brindilles ensanglantées d’un air ingénu. Une minute après, avec une économie de plans saisissante, Park Chan-Wook évacue les prémices de l’histoire – la mort d’un père de famille dans un mystérieux accident de voiture – pour mieux se focaliser sur l’héroïne, la livide India, cœur meurtri et corps assoupi de ce conte morbide sur la filiation. Contrainte de cohabiter avec une mère qu’elle a appris à ignorer avec l’aide de son père, l’adolescente découvre ainsi l’existence d’un curieux oncle (Matthew Goode) qui va bouleverser la cellule familiale bien amochée avec sa belle gueule et de sombres desseins.
Le spectre hitchcockien de L’Ombre d’un doute plane sans conteste sur le premier scénario inattendu du mauvais acteur Wentworth Miller, échappé de Prison Break et Resident Evil : After life pour concocter une fable grise – moins blanche que la normale hollywoodienne, moins noire qu’annoncée et espérée – vendue sur son affiliation à la fameuse blacklist des studios, réservée aux bons scénarios difficiles à produire. Une curiosité puisque l’histoire est la vraie faiblesse de Stoker, incapable de tenir la distance d’un vrai beau suspense tandis que se dessine la véritable identité de l’oncle, illustrée par quelques cadavres et flashbacks plus ou moins réussis.
Car c’est moins le suspense hitchcockien que la mécanique du Mal qui intéresse le metteur en scène, absorbé par l’opacité de la démente Mia Wasikowska, éternelle ado torturée découverte dans la série In Treatment et passée depuis chez Gus Van Sant et Jim Jarmusch (Only Lovers Left Alive avec Tilda Swinton, pressenti pour Cannes). Prête à quitter ses souliers de fille pour enfiler ceux de femme, en référence à l’une des plus belles scènes du film, India erre comme une coquille vide, proie idéale pour une figure masculine tordue avec laquelle elle partage une clairvoyance quasi-surnaturelle.
Mais le réalisateur de Lady Vengeance n’en fait pas une victime, au contraire : la fleur adolescente se fane pour éclore en une plante carnivore, une Bonnie moderne qui prend les armes pour continuer sans Clyde et sans père. Sa métamorphose, tour à tour violente et érotique, est illustrée à merveille par Park Chan-Wook, armé d’une délicatesse perverse qui rappelle le choc We Need to Talk About Kevin (« Parfois il faut faire quelque chose de mal pour s’empêcher de faire une chose pire ») avec une pincée du Théorème de Pasolini, ainsi qu’une volonté de provoquer un malaise imperceptible avec de nombreuses curiosités (la chambre de la mère rongée par la verdure, l’araignée disparue sous la jupe).
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(4.3)