Critique : Un plan simple

Jérémy Ponthieux | 11 mars 2013
Jérémy Ponthieux | 11 mars 2013

Bien qu'auréolé d'un prix critique au Festival de Cognac (maintenant dit Beaune) et suivi d'une réputation plutôt flatteuse, Un Plan Simple est de ces films mésestimés, mis à l'ombre pour sa similarité pourtant toute relative d'avec un autre grand classique du genre. Alors oui, on pense forcément à Fargo quand on regarde le bébé de Raimi, avec ses étendues neigeuses propices aux pulsions meurtrières mises en sourdines ou sa nature humaine aux multiples facettes. Sauf qu'en pratique il subsiste une vraie méprise, témoin d'une œuvre que peu connaissent vraiment. On pense davantage au futur cinéaste Sam Mendes, observateur angoissé d'un rêve américain inaccessible, chimère qui impulse de l'intérieur de multiples non-dits relationnels. Là oui, Un Plan Simple est un film dans la droite lignée d'autres, plus brillants que certains de ses confrères dans sa manière d'interroger les idéaux moraux que l'américain moyen (et l'humain au fond) est supposé poursuivre.

Moins policier que dramatique, Un Plan Simple est conduit avec une légèreté feinte, où les rebondissements ont l'air quotidiens parce que la vie est ainsi faite. La découverte du sac n'est pas le centre de l'action mais sert à faire naitre de nouvelles dynamiques entre les personnages tout comme un pistolet pointé est moins une menace physique qu'un geste porteur de sous-entendus. En cela, la mise en scène de Raimi n'est pas un décalque raté de la distanciation chère aux Coen, mais se montre au contraire plus proche des émotions vécues et des œillades suspectes, et ceci afin de scruter l'ambiguïté derrière un sourire faussement figé ou une assurance mal jouée. Construit comme une spirale infernale bêtement tranquille, le récit fait naître en son cœur une relation entre frangins complexe, mélange de non-dits et d'une bienveillance intéressée, de laquelle émerge un Billy Bob Thortnon impérial en faux simplet tourmenté par la rancœur. A cela s'ajoute une figure féminine presque malveillante, mère Ubu qui pousse son mari vers une pente descendante sans jamais se dédouaner de son innocente apparence. Là aussi, Bridget Fonda apporte de multiples nuances, témoignage d'une actrice qui manque au cinéma.

Mais c'est surtout par sa portée allégorique qu'Un Plan Simple s'impose comme un film fascinant. En premier lieu, on y montre que l'adage qui dit que « bonheur passe richesse » est une vérité inébranlable, pas en raison de l'argent en soi mais parce que sa quête même est une illusion inaccessible, sorte d'utopie qui conduit forcément à un océan de regrets. Elle est ensuite inaccessible parce que Raimi plonge sa caméra dans une pauvreté typiquement américaine, dans un coin où se mélange travailleur acharné et chômeur alcoolisé. Appâté par un dieu dollar dont ils ne connaissent pas la couleur, ces individus du patelin paumé vont voir se pervertir jusqu'à leur chaleureuse humanité et leurs louables intentions, dans un jeu de ping-pong où l'on navigue entre une égoïste hypocrisie et des repentirs avortés. Et quand le dernier plan met en lumière une hérédité sociale d'une grande cruauté, on se dit vraiment qu'il y a dans ce pseudo-polar une richesse qui mérite bien une nouvelle vision. Un Plan Simple, le faux Fargo, le vrai beau film.

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