Amour : Critique

Sandy Gillet | 20 mai 2012
Sandy Gillet | 20 mai 2012

Avec Amour, Michael Haneke surprend une nouvelle fois en brouillant les cartes et les codes d'un cinéma que l'on croyait pourtant bien connaître. 

Par contre ce que l'on pouvait supposer à l'époque du palmé d'or Ruban Blanc, c'est qu'il allait devoir continuer à creuser son sillon vers d'autres terres arables s'il ne voulait pas provoquer la redite. Ce qu'il a toujours fait au demeurant (même en réalisant lui-même le remake de Funny games) mais dans des proportions et une direction jamais expérimentées jusqu'ici. Car, qu'on le veuille ou non, le cinéma d'Haneke n'est que l'apparence de ce qu'il veut bien montrer : montage « serein », peu de mouvements de caméra, plans qui s'étirent indéfiniment... à l'opposé de jeux d'acteurs souvent proche de l'hystérie comme s'il voulait donner indirectement la parole au spectateur qui ne supporte plus d'être pris ainsi en otage. Une dichotomie outrancière et intelligemment assumée qu'Haneke abandonna pour son chef-d'œuvre de Ruban blanc au profit d'une union totale entre sa direction d'acteur et sa mise en scène souvent qualifiée à tort de clinique. Elle lui permettait alors de renforcer, si cela était encore possible, cette violence devenue froide mais toujours à charge de son propos.

Haneke poursuit dans cette veine formaliste mais en opérant ici un nouveau et subtil retournement à 180 degrés conditionné par le choix et les thèmes d'un récit « apaisé », contre lequel il ne lutte pas ou plus pour imposer son point de vue. Celui-ci est d'une évidence cristalline dès les premières minutes. Un couple nonagénaire rentre du Théâtre des Champs-Élysées où il a assisté à un concerto pour piano donné par l'un de leurs anciens élèves devenu célèbre pianiste. Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Anne a sa première « absence », prémisse d'une lente mais inéluctable décrépitude. Emmanuelle Riva qui a été choisie pour donner corps à ce personnage qui ne fait qu'agoniser et souffrir rappelle, s'il en était besoin, qu'elle est une actrice aussi peu ou mal employée que son talent est immense. En face, le rôle a été écrit pour Trintignant que le cinéaste a sorti pour le coup de sa retraite cinématographique. Celui-ci y incarne George, l'époux qui n'aura de cesse d'accompagner jusqu'au bout celle que plus que jamais, il aime.

Haneke a 70 ans et c'est donc quelque part et fort naturellement qu'il s'oppose au mouvement perpétuel de l'histoire du cinéma qui décrit l'amour naissant ou se fracassant. Peu de films osent en effet parler de l'amour éternel. Attention, pas celui raconté et validé à l'attention des futures générations, non, plutôt celui comme ici qui a accompagné une vie jusqu'à la mort. Pour ce faire, la caméra bouge et accompagne ce destin comme si derrière l'œilleton on avait la grande faucheuse qui, prise de tendresse pour ce couple vibrant à l'unisson, voulait étirer encore un peu le temps. Et nous de suivre abasourdis et conquis ce huis-clos généreux dont les dernières images confinent à la sublime leçon de vie.   

 

 

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