Critique : Le Jour où Dieu est parti en voyage
Même s'il se déroule au Rwanda en 1994, Le jour où Dieu est parti en voyage n'est pas un film sur le génocide. La tragédie n'est que l'arrière-plan, forcément très présent, du drame humain beaucoup plus intime qui se joue dans une forêt. Seule au monde après le massacre de ses enfants par les Utus, Jacqueline est une jeune Tutsi prête à en finir, qui ne doit son salut provisoire (?) qu'à une rencontre fortuite avec un homme affaibli par une blessure atroce, pour lequel elle va mettre entre parenthèses sa funeste entreprise. Le premier film du belge Philippe van Leeuw (chef op chez Dumont, Achard et quelques autres) relate l'opération de survie qui relie ces deux personnages dont le seul point commun est sans doute leur appartenance à une même ethnie.
Lui est animé par une envie de survivre qui lui procure une
énergie hors du commun ; elle semble se considérer en simple sursis,
plus rien ne la raccrochant à la vie. Très souvent seuls à l'écran, les
deux personnages s'observent, s'opposent, tentent de donner le change
afin de rassurer l'autre. Retranchés dans un univers végétal qui les
protège de façon éphémère des agressions extérieures, ils extériorisent
leur animalité et semblent revenir aux origines de l'humanité. Van
Leeuw filme cette situation avec une simplicité salvatrice et un amour
profond pour ses héros. Si Le jour où Dieu est parti en voyage
respire autant la sincérité, c'est parce qu'il ne donne jamais la
désagréable impression d'avoir été tourné par un non-africain venu se
repaître de tout ce malheur. Le cinéaste est dans la compassion, jamais
dans l'exploitation : le résultat obtenu est juste admirable.
Il
aurait pu n'être que la simple radiographie de deux solitudes, mais le
film va plus loin, ne considérant pas ses protagonistes comme de pures
victimes absolument parfaites. Il y a notamment chez l'homme une
certaine étrangeté, en tout cas du point de vue de Jacqueline, qui le
rend aussi inquiétant qu'imprévisible. Façon pour Philippe van Leeuw de
montrer que toute impression de sécurité ne peut être qu'illusoire dans
ce genre de situation. Film pessimiste ? Probablement. Mais il y a
pourtant dans Le jour où Dieu est parti en voyage
des instants de pure beauté, comme ces séquences magnifiques où la
jeune femme joue les infirmières de fortune et fait avec les moyens du
bord. La simplicité qui émane de tels instants est d'une beauté
renversante. Le reste aussi. Il faut à tout prix découvrir ce petit
bijou modeste mais précieux, révélation immédiate d'un réalisateur dont
on attend impatiemment des nouvelles.
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