Critique : Le Cri

Réalisé en 1957, Le Cri, très belle histoire d'un homme qui décide de prendre la route après une rupture, est un film charnière dans la carrière d'Antonioni. En effet, il réalise la jonction entre une période d'inspiration néo-réaliste (des documentaires aux premiers longs métrages tels Chronique d'un amour) et la suite de sa carrière consacrée à l'avènement d'une certaine modernité cinématographique.

On y retrouve à la fois le tournage en milieu naturel et la description d'un univers ouvrier, plutôt pauvre, deux éléments au cœur du néo-réalisme, auxquels viennent se greffer certaines constantes formelles qui seront maintes fois reprises ultérieurement comme ces volutes de fumées et l'épais brouillard qui annulent toute profondeur de champ et abstraient le paysage au maximum, ou ces vastes lieux déserts hantés par quelques corps semi-fantomatiques. La rencontre inattendue de la fillette avec d'étranges individus au milieu d'un champ hivernal en est l'un des plus beaux exemples d'autant que ce plan énigmatique ne vient en aucun cas servir l'action (ou plutôt l'absence d'action).

Mais rarement un titre n'aura été à la fois aussi évocateur et métaphorique. Le Cri n'évoque pas tant le hurlement final et l'horreur d'une chute qui rappellerait Allemagne année 0 si la caméra ne la masquait pas en se détournant vers le regard de celle qui la provoque, que le film dans son intégralité qui n'est en fin de compte rien d'autre qu'un appel au secours, un cri étouffé par un corps errant, quasiment inhumain, qui tente sans succès d'échapper à sa condition à travers de fausses rencontres et qui matérialise son horreur le vaste isolement produit par le décor blanchâtre et l'unique saison qui n'en finit pas de s'étendre.

Loin des grands récits amoureux Antonioni choisit avant tout de mettre en scène l'incommunicabilité entre les êtres et le monde, le désir stoppé dans son élan et l'irréelle fuite d'un homme qui hanté par ses souvenirs et ses sentiments, ne fera que tourner en rond et revenir sur ses pas pour en finir avec une existence impossible.