Critique : Coffret Ozu Vol.1

Jean-Noël Nicolau | 30 novembre 2006
Jean-Noël Nicolau | 30 novembre 2006

Réalisé en 1932, Où sont les rêves de jeunesse ? est l'un des derniers films intégralement muet de Yasujiro Ozu. Clairement influencé par le cinéma de Lubitsch ou de Borzage, Ozu relie avec cette œuvre les penchants comiques de ses premiers essais cinématographiques avec la veine plus humaine, voire plus familiale, qui dominera la suite de ses recherches. La première partie du film est très légère, décrivant le quotidien et la camaraderie des étudiants japonais de l'époque avec des anecdotes amusantes et de petites percées burlesques. Après le décès de son père, l'un de ces étudiants va devoir reprendre l'entreprise paternelle, découvrir les responsabilités et l'amour, ainsi que la difficile préservation de l'amitié une fois l'âge adulte arrivé. Si cette seconde moitié de l'histoire est plus dramatique, elle réserve encore quelques interludes humoristiques. Même si la conclusion garantit le happy end à l'américaine, une étrange scène de « vengeance » et de rédemption la précède et annonce ainsi le Ozu plus philosophe des années 40. Attention, pour le néophyte, Où sont les rêves de jeunesse pourra sembler très rébarbatif, car il ne comporte pas de piste musicale d'accompagnement et se présente donc sous la forme d'une heure et demi de silence absolu.

Où sont les rêves de jeunesse ? : 6/10


Tout aussi silencieux, Une femme de Tokyo est un moyen-métrage de 1933 contant le quotidien de Chikako, une jeune femme moderne, partagée entre son frère Ryoichi et son activité nocturne dans un cabaret. Pour payer les études de ce dernier, Chikako se prostitue, discrètement, mais lorsque son frère l'apprendra, il sera loin de l'accepter avec autant d'ouverture d'esprit que sa sœur. Assez inattendu, le dénouement tragique d'Une femme de Tokyo préfigure les œuvres les plus sombres d'Ozu. De même, le visuel peuplé de gros plans sur des objets ménagers et les cadrages très simples mais très beaux sur les acteurs, annonce le style qui sera celui du réalisateur jusqu'à la fin de sa carrière. C'est en ce sens que ce film un peu figé se révèle intéressant, même s'il ne passionnera sans doute que les connaisseurs (et adorateurs) du metteur en scène.

Une femme de Tokyo : 6/10


Histoires d'herbes flottantes, muet intégralement silencieux mis en scène en 1934 voit Ozu se pencher sur une tragédie familiale au sein d'un cadre plus rural et fort éloigné du Tokyo habituel du cinéaste. Un directeur de troupe de théâtre retrouve une ancienne maîtresse et son fils, et tente de nouer des liens relationnels malheureusement impossibles à reconstruire. Très touchant, Histoires d'herbes flottantes profite aussi d'une mise en scène encore éloignée de la contemplation qui sera plus tard le style définitif d'Ozu. Les images se révèlent de toute beauté, particulièrement en extérieur. Une fin désenchantée achève avec justesse ce film très recommandable pour qui veut s'initier au début de la carrière du réalisateur japonais. A noter que Ozu mettra en scène un remake de Histoire d'herbes flottantes en 1959.

Histoires d'herbes flottantes : 7/10


En 1947, Ozu signe avec Récit d'un propriétaire sa variation autour du Kid de Chaplin en contant l'histoire d'un orphelin boudeur recueilli tant bien que mal par une veuve rude et aigrie par l'existence (et en particulier par la guerre qui vient de s'achever). Sans appuyer sa description du contexte historique, l'auteur offre une comédie simple et très attachante, dominée par l'interprétation de Chouko Iida qui passe de la dureté d'une mégère à l'attendrissement. Récit d'un Propriétaire propose par ailleurs quelques superbes scènes de quotidien et une poignée de plans dignes des plus grands moments de la filmographie d'Ozu. La conclusion du métrage, certes très prévisible, n'en demeure pas moins touchante et rappelle la condition des orphelins au sortir du conflit.

Récit d'un propriétaire : 7/10


C'est avec Printemps tardif en 1949 que débute la dernière période de l'œuvre d'Ozu, ainsi que sa reconnaissance internationale. Son style que l'on ne peut qualifier que de contemplatif et d'épuré, atteint son plein épanouissement. De même, ses histoires se concentrent sur la famille, ses métamorphoses, ses aléas, ses grandes joies et ses immenses peines. Noriko est une jeune femme qui vit avec son père veuf, elle refuse de se marier pour ne pas l'abandonner. Epanouie au sein du foyer familial, Noriko se retrouve soumise à la pression de son entourage, tant et si bien qu'elle finira par accepter le mariage, après un denier voyage en tête à tête avec son père. Si la première partie du film, dominée par le sourire rayonnant de Setsuko Hara, s'avère légère et enjouée (en témoigne une superbe scène de ballade à bicyclette), c'est après une longue introspection devant une pièce de théâtre Nô que le récit bascule doucement.


Sans jamais surligner son propos, Ozu fait germer l'émotion, petite touche par petite touche, scène après scène, réplique après réplique. Presque sans s'en rendre compte, le spectateur est alors cueilli par l'évidence et la force des dernières minutes de Printemps tardif. L'universalité des thèmes (le passage à l'âge adulte, le départ du foyer familial, les rapports père/fille, le poids des conventions sociales…) s'efface au profit de mots simples et de plans magnifiques. En ce sens, l'avant-dernière séquence du film, absolument bouleversante, s'affirme comme l'une des plus belles, non seulement dans la carrière d'Ozu, mais de tout le cinéma japonais.

Printemps tardif : 10/10


Dernier film en noir et blanc d'Ozu, mis en scène en 1957, Crépuscule à Tokyo est peut-être l'œuvre la plus dure et désespérée du cinéaste. D'une âpreté absolue, que ce soit au niveau de sa mise en image (pas de mouvements d'appareil, cadrages simples et rigoureux, peu de digressions sur l'environnement) ou de son interprétation (retenue et intense), cette chronique familiale ne laisse de place ni à l'humour, ni à la moindre respiration. Deux sœurs, abandonnées dans leur enfance auprès de leur père par une mère qu'elles croyaient morte, vont découvrir son existence. Si cette dernière tente d'effectuer un rapprochement, elle va surtout exacerber les problèmes déjà présents (le mariage de sa fille aînée est un échec et la cadette cherche à avorter).


De cette situation, Ozu exacerbe tout le tragique, sur un rythme lancinant, presque doux, baignant dans une photographie très sombre et une économie radicale d'effets cinématographiques. Le minimalisme cher au réalisateur lui permet d'éviter le larmoyant tout en signant un dernier quart d'heure d'une émotion saisissante. Crépuscule à Tokyo s'affirme comme un film particulièrement exigeant, mais aussi comme une expérience inoubliable.

Crépuscule à Tokyo : 10/10

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