Monster critique

Jean-Noël Nicolau | 9 avril 2006 - MAJ : 12/02/2020 19:44
Jean-Noël Nicolau | 9 avril 2006 - MAJ : 12/02/2020 19:44

Le mal est séduisant, a dit Baudelaire et de nombreux autres après lui depuis que l'humanité a pris conscience de ses tourments moraux. Le mal fascine, attire, charme, tout autant qu'il peut révolter ou dégoûter, et il suffit parfois d'un concours de circonstances, d'une faiblesse passagère ou d'un simple regard pour que les plus vaillants principes s'effondrent devant la beauté du Diable. La plus pure des âmes peut ainsi être corrompue sans même s'en rendre compte et c'est derrière le sublime que se cachent souvent les plus terribles ténèbres. Ces assertions métaphysiques sont au cœur du formidable Monster, série animée de 74 épisodes, tirée d'un manga fleuve de Naoki Urasawa. Cette œuvre unique n'entretient que bien peu de points communs avec le reste de la production animée japonaise. Tout en reprenant des schémas narratifs et stylistiques connus, elle bouscule les repères, transcende les genres et surprend le spectateur sans lui laisser le moindre répit.


Le lieu de l'action est déjà par lui-même extrêmement original : l'Allemagne de la réunification, entre la fin des années 80 et le milieu des années 90, à ce moment de l'Histoire, et en un endroit où tous les démons politiques et spirituels peuvent se croiser, face au désarroi d'un peuple (en particulier celui de l'Est) qui aura connu durant le 20e siècle toutes les horreurs de presque toutes les formes de dictatures. Le scénario de Monster ne trahit jamais cet ancrage très européen, et pour aider ses spectateurs asiatiques à entrer dans ce univers dépaysant, elle décrit la quête d'un japonais expatrié, le docteur Kenzo Tenma, neurochirurgien surdoué, dont l'existence va basculer de manière inattendue une nuit de 1986. Pensant accomplir le plus grand des biens (sauver la vie d'un enfant), il offre la renaissance au plus effroyable des « monstres ».


Mais les prémisses de Monster ne sont aucunement représentatives de la richesse de la série, qui ne cesse d'enchaîner les fausses pistes, les digressions et de prendre les chemins de traverse, sans jamais lasser ou perdre le spectateur. Le tour de force est à peine croyable, car nous débutons dans Urgences, pour rejoindre Les Experts avec une pointe d'inquiétante étrangeté qui sied à tant de séries policières, avant de nous diriger aux abords du Fugitif, tout en conservant des twists et autres cliffhangers à chaque fin d'épisode qui en ferait pâlir plus d'un, tout cela, bien entendu, au pays de Derrick… Monster serait-elle une série trop gourmande ? Trop ambitieuse ? Oh ! Vous n'avez encore rien vu, car si l'onirisme mystérieux et l'aspect décalé de ces anti-héros ordinaires auront déjà mis la puce à l'oreille de certains téléphages, dans l'épisode 15 (dernier de ce coffret), c'est une scène entière du Twin Peaks de David Lynch qui est citée. Un nain surgissant d'un rideau rouge en entamant une danse incongrue sur une musique des années 60, cela ne peut laisser aucun doute sur l'hommage et sur la très prétentieuse mais aussi très juste filiation que revendique Monster.


Difficile d'évoquer l'œuvre sans révéler des éléments essentiels qui contribuent à l'aspect follement accrocheur et pour tout dire totalement fascinant de l'errance de Kenzo Tenma. Mais ce qui bouleverse l'esprit critique c'est de pouvoir enfin admirer une série télévisée qui parvient à allier des envolées sentimentales sincères (Tenma et le petit Dieter, par exemple) à une cruauté, voire une violence, jamais démenties (même chez Jack Bauer on n'est pas prêt de voir un enfant battu se faire braquer un fusil de chasse sur la tête pendant plusieurs minutes). On louera aussi l'impressionnant souci de réalisme qui nous montre (enfin !) comment le héros apprend à manier une arme alors qu'il n'en avait jamais touché une auparavant (car tout le monde n'est pas Bruce Willis, même dans un dessin animé…). De même, la psychologie, l'histoire, la vie de famille de chacun des protagonistes sont peu à peu passées au crible et c'est souvent un nouvel intervenant, la plupart du temps essentiel, qui nous est présenté à chaque épisode.


Monster nous fait ainsi tomber « amoureux » de personnages a priori fort antipathiques, que ce soit la petit crapule maladroite Heckel, la femme brisée et haineuse Eva ou le génial inspecteur Runge, plus proche de la machine que de l'être humain. Bien sûr il y a aussi, omniprésent mais presque toujours absent, cette incarnation du mal absolu, Johann, dont les origines et surtout le futur entraîneront sans nul doute la série vers des rives encore plus noires et déroutantes. Mais qu'il en soit ainsi, LA série du moment possède la beauté du démon et vous ne pourrez pas résister à son infini pouvoir de séduction…

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