Fantômes contre fantômes : Critique

Patrick Antona | 19 novembre 2005
Patrick Antona | 19 novembre 2005

Lorsque nous avions découvert, il y a de cela huit ans, devant nos yeux émerveillés, ce petit bijou qu'est Fantômes contre fantômes (The Frighteners en VO), le film fût à la fois une confirmation éclatante mais aussi une surprise des plus agréable. 

Confirmation par le fait que, depuis la découverte de Bad taste en 1987, beaucoup d'amateurs de cinéma fantastique avaient décelé derrière l'iconoclaste forcené venu de Nouvelle-Zélande un talent prometteur, de la trempe d'un Sam Raimi ou d'un Tim Burton, auréolé par les réussites successives de Meet the Feebles (1989) et de Braindead (1992). Mais surprise encore plus grande, lorsque ayant déjà pris tout son monde à contre-pied avec son magnifique Créatures célestes en 1994 et obtenu moult récompenses, Peter Jackson non seulement revient à un genre de cinéma que l'on pensait ultra-balisé (l'histoire de fantômes) en l'explosant littéralement, mais réussit à s'acoquiner avec Hollywood en ne se reniant aucunement.

 


Il réussit à faire mentir ce qui est une règle d'or malheureuse pour de nombreux réalisateurs, à savoir que celui qui a débuté dans une certaine « précarité » et qui se voit soudainement promu aux manettes d'une superproduction avec star à l'affiche aurait tendance à ne devenir qu'un «yes-man» de plus, gâchant ainsi son talent. Non seulement le réalisateur néo-zélandais ne perd ni de sa fougue ni de son inventivité, mais usant avec intelligence des moyens offerts (30 millions de dollars de budget) par Universal et son producteur, le renommé Robert Zemeckis, il se livre à un festival d'expérimentations que ce soit au niveau des effets spéciaux que de la direction artistique, impensable pour ce qui ne devait être qu'une simple comédie fantastique. Disposant dorénavant du recul nécessaire, The Frighteners apparaît comme une forme de travail préparatoire du mammouth auquel Peter Jackson allait s'atteler juste après, la saga du Seigneur des anneaux. Mais sans négliger la performance technique, l'entrée en matière de l'artisan-bricoleur de Bad taste dans le monde de la superproduction américaine (intégralement tournée en Nouvelle-Zélande !) se révèle être un film foisonnant et magistral qui n'a rien perdu de ces qualités depuis sa sortie initiale.

 

 

Elaboré à l'origine comme un épisode de la série Les Contes de la crypte, le script écrit par Fran Walsh et Peter Jackson réussit à éveiller suffisamment l'intérêt de Robert Zemeckis, qui en en saisit de suite tout le potentiel d'en faire un long-métrage. L'idée maîtresse et géniale de ce personnage anodin, Frank Bannister, medium capable d'entrer en communication avec les spectres et profitant de son talent pour se livrer à de faux exorcismes, aidé en cela par ces complices d'outre-tombe, se transforme en une espèce de train-fantôme hallucinant, naviguant entre le burlesque et l'horreur assumée, où viennent se greffer tueur en série impitoyable et réflexion sur le bonheur post-mortem ! Alignant les séquences d'anthologie les unes après les autres, que ce soit au niveau du spectaculaire (la scène du musée avec les trois ectoplasmes en folie qui enfonce Ivan Reitman et ses Ghostbusters), du comique (R. Lee Ermey parodiant son personnage de Full metal jacket avec brio ou le fantôme-disco Cyrus) que du gore pur et simple (les exactions violentes du psycho-killer Johnny Bartlett), Fantômes contre fantômes navigue inlassablement d'une rive à une autre, mais ne tombe jamais dans la parodie irrespectueuse ni dans l'exercice de style purement technique.

Ménageant ses effets avec un sens inné du suspens, Peter Jackson s'appuie sur une galerie d'acteurs émérites dont chacun brille d'une éclat particulier : Michael J. Fox, dans le rôle principal, n'a jamais été aussi bon en veuf éploré transformant sa « malédiction » en aubaine pécuniaire, Jeffrey Combs est de nouveau excellent en parapsychologue du FBI passablement atteint, John Astin (le Gomez Addams de la série télévisée La Famille Addams) vole une partie du show dans son interprétation du « Juge », fantôme décrépi du western, Dee Wallace Stone (E.T. : L'Extra-terrestre) exceptionnellement crédible en internée psychiatrique gardienne d'un lourd secret, et Jake Busey quasi-débutant affiche sa trogne impayable de tueur-né, héritage manifeste de son barge de père. Mais la grande révélation du film, et témoin du talent de son auteur, c'est d'avoir fait d'une création numérique un véritable protagoniste crédible et agissant : la « Grande faucheuse », pur produit numérique d'ILM, devient à ce jour une des plus impressionnantes représentation de la Mort, avec ses apparitions tétanisantes et « slashisantes » ! Et techniquement, elle anticipe déjà sur les Nazgül de la saga du Seigneur des anneaux, démontrant que Peter Jackson est aussi un auteur qui a de la suite dans les idées, visionnaire intelligent et organisé.

 

 

Certes le film a quelques limites, avec la romance peu exploitée entre Frank Bannister et la docteresse Lucy Lynskey (Trini Alvarado, aux abonnées absentes depuis ce rôle …) ou l'évacuation trop rapide du personnage du « Juge », sur lequel se reposait une bonne partie de la causticité du propos du film, et la virtuosité affichée de la mise en scène peut amoindrir le côté suspense horrifique dans lequel baigne le film, mais ce ne sont que des maigres détails en regard d'un spectacle total et jouissif, qui redonne au genre du film de fantômes tout un lustre que l'on pensait perdu et bien avant que les apparitions aux cheveux noirs venues du Japon ne deviennent la coqueluche du moment.

 

Résumé

Visionner Fantômes contre fantômes, c'est comme embarquer pour des montagnes russes, on crie souvent, on rie de bon cœur, et on peut se permettre une petite larme avec une fin poétique et savoureuse, qui loin de verser dans la sensiblerie, permet d'apprécier la dimension humaine que Peter Jackson apporte avec talent dans ses oeuvres, que ce soit un film d'horreur ou une épopée d'heroïc fantasy. Et nous sommes tout simplement confiant et impatient de voir ce qu'il va apporter à King Kong dans ce qui est l'événement cinématographique majeur de cette fin d'année .

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