Critique : Les Innocents

Patrick Antona | 11 octobre 2007
Patrick Antona | 11 octobre 2007

Diamant noir de la filmographie de Jack Clayton, réalisateur anglais spécialisé dans l'adaptation de romans, Les Innocents représente avec des oeuvres comme La Maison du diable ou Le Masque du démon le nec plus ultra de l'horreur gothique en noir & blanc.

 


 

Adapté du roman Le Tour d'Écrou de Henry James (porté à de nombreuses reprises sur les écrans, qu'il s'agisse de la TV ou du cinéma), Les Innocents a obtenu avec le temps une aura manifeste de film-référence dans le fantastique, mêlant adroitement film de fantômes, enfants diaboliques et drame victorien. Magnifié par l'extraordinaire photographie de Freddie Francis, réussissant à rendre palpable une ambiance malsaine et paranoïaque, le film a gagné ses galons de chef d'oeuvre du cinéma tout court grâce à la performance époustouflante de Deborah Kerr dans le rôle de Miss Giddens, la gouvernante austère aux prises avec l'influence néfaste de « spectres » venus tourmenter l'âme des enfants.

 

 

Vrai film de maison hanté ou drame psychologique dû à un esprit puritain par trop enfievré, voilà où réside toute l'ambiguïté des Innocents. La peinture adroitement exécutée par Jack Clayton de cette bourgeoisie anglaise cachant des secrets inavouables est dans la parfaite continuité de son film précédent, Les Chemins de la Haute-Ville, portrait sans concession d'un arriviste évoluant dans la société d'une grande ville anglaise. De même, l'interprétation de Martin Stephens (un habitué dans le domaine de l'enfance possédée depuis Le Village des damnés) et de Pamela Franklin dans les rôles de Milles et Flore, le couple d'enfants au centre de l'histoire, impressionne par cette gradation subtile de l'état de bambins polis à celui de garnements sinistres, sujets au mal. Un trait qui n'est pas sans rappeler l'autre magnifique thriller psychologique que Jack Clayton mettra en scène en 1967, Chaque soir à neuf heures, encore un drame centré sur l'enfance.

 

 

Le réalisateur réussit à déstabiliser le spectateur par la révélation progressive de l'influence néfaste de Peter Quint, le valet décédé, et de la précédente gouvernante. Le choix de Clayton d'adopter tour à tour les points de vue des enfants et de Deborah Kerr contribue grandement à l'escalade dramatique. Déstabilisation assurée en particulier par la scène où l'on voit de manière fugitive les deux « spectres » sur la lande et celles où Miss Giddens, malgré toute l'empathie que l'on peut avoir pour elle, pousse un peu loin la torture psychologique de Milles. Ces séquences demeurent les grands moments du film.

 

 

Car au-delà de tout le mystère et du suspense inhérent au récit, au-delà d'un final mémorable qui marquera les esprits, tout comme la comptine qui l'accompagne, c'est la question fondamentale de notion du Mal qui est ici brillamment esquissée : pouvoir rampant et obscène dont il faut tout faire pour en épargner les enfants ou pure manifestation d'un esprit humain ambivalent sujet à l'obscurantisme ? À vous de vous poser la question en (re)découvrant cette pure merveille du Septième Art.

 

 

Il est à noter que le film bénéficia d'une préquelle, titrée The Nightcomers (Le Corrupteur en VF) réalisée en 1972 par Michael Winner avec Marlon Brando dans le rôle de Peter Quint, assez loin de l'ambiance gothique de son modèle, tablant davantage sur une atmosphère sexuelle et putride. Jack Clayton continua son cycle des adaptations littéraires avec Le Mangeur de citrouille (1964), Chaque soir à neuf heures (1967), deux merveilles puis s'égara par la suite dans sa version un peu palichonne de Gatsby le magnifique (1974) avec Robert Redford et Mia Farrow et La Foire des ténèbres (1983), tiré de Ray Bradbury et produit par les studios Disney, qui manquait singulièrement de magie. Jack Clayton est décédé le 26 Février 1995 en Angleterre.

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