Critique : Fahrenheit 9/11

Julien Sabatier | 16 décembre 2004
Julien Sabatier | 16 décembre 2004

Choix politique ou artistique ? Le mystère demeure, même si Quentin Tarantino et son jury ont affirmé, au sortir de la dernière soirée cannoise, des motivations purement cinématographiques concernant cette récompense. Quoi qu'il en soit, si la prestigieuse Palme d'Or aura eu le mérite de permettre au film de bénéficier d'une plus large diffusion en salles sur le territoire américain et d'asseoir la reconnaissance accordée à son réalisateur, elle aura aussi un effet beaucoup moins louable, celui de faire de Michael Moore un véritable phénomène de mode, une nouvelle coqueluche pour le bobo en mal d'icônes. D'ailleurs, semblant conscient de cette notoriété aussi croissante que gênante, Michael Moore s'est fait beaucoup moins présent que jadis (il apparaît peu à l'image) et a adopté un ton beaucoup plus solennel, moins jovial que dans ses précédents documentaires.
Le principal tort de Fahrenheit 9/11 est en fait de sortir après Le Monde selon Bush, l'excellent documentaire de William Karel traitant du même sujet. À la fois objectif et admirablement construit, il permet de voir celui de Michael Moore dégagé des oripeaux de ses effets de manche, tout en donnant le sentiment à peine exagéré du déjà-vu mais en moins bien. Fort heureusement, Fahrenheit 9/11 nous réserve beaucoup d'autres informations, pour le coup inédites, et surtout un style tout en pugnacité propre au personnage en forme de marque de fabrique devenue depuis efficace et légendaire.

Après des élections tumultueuses aux allures de gigantesque mascarade à tendance raciste, George Walker Bush accède au pouvoir. À l'aube de son mandat, Bush junior ne fait pour ainsi dire strictement rien et voit sa popularité baisser considérablement. Les chiffres sont d'ailleurs tout à fait éloquents quant à l'emploi du temps du président fraîchement « élu » : durant les huit mois précédant le 11 Septembre, il passera 42% de son temps en vacances (le golf et la pêche semblant lui tenir plus à cœur que la vie de sa nation). Arrivera donc le 11 Septembre, véritable deus ex machina pour une administration Bush qui, aidée par un battage médiatique sans précédent, distillera un climat de peur à même de rendre l'opinion publique hautement malléable (on se souvient encore chez nous du climat d'insécurité qui régnait en France avant les dernières élections présidentielles…), et donc prête à accepter (et soutenir) un second conflit en Irak, pays à qui l'on imputera une part de responsabilité dans les attentats du World Trade Center et du Pentagone. Les Saoudiens, pourtant étroitement liés aux réseaux terroristes, ne seront, eux, jamais inquiétés une seule seconde… et pour cause, ils sont en relations d'affaires avec le clan Bush ; comme quoi on peut avoir les mains sales du moment qu'elles sont pleines de billets verts.

Là où Michael Moore tape juste, c'est lorsqu'il nous montre les conséquences du conflit irakien à l'échelle humaine : de jeunes gens (souvent indigents) sont recrutés et envoyés pour faire une guerre visant en fait à défricher un nouveau territoire économique destiné à enrichir un peu plus les puissants. Comme dans tout conflit armé, les innocentes populations locales (hommes, femmes, enfants) sont injustement décimées. Quant aux soldats yankees, ils reviennent au pays meurtris dans leurs corps et dans leurs têtes, quand ce n'est pas tout simplement dans des cercueils que l'on ne peut plus filmer. Si des milliers de familles américaines pleurent leurs enfants, seul un membre du congrès américain a un fils engagé sur le terrain…

Bien que profondément humain et globalement pertinent, le documentaire de Michael Moore est beaucoup moins construit et surtout moins creusé que celui de William Karel. Nous bombardant d'images et d'informations extrêmement sommaires, Moore en vient presque à jouer le même jeu que les médias US après les attentats du 11 Septembre (un comble) et, se voulant populaire, verse un peu trop dans une forme de démagogie larmoyante plus que déplacée. Manquant cruellement d'impartialité, Fahrenheit 9/11 donne ainsi parfois l'impression de n'être qu'un basique pamphlet anti-Bush, peu étayé et n'aspirant qu'à éviter que le mandat de l'actuel président des États-Unis soit prochainement reconduit.

Demeurant toutefois intéressant dans l'ensemble, le documentaire de Michael Moore s'impose donc comme un bon complément à l'indispensable et beaucoup plus rigoureux Monde selon Bush. À faire preuve d'une trop grande partialité (assumée !!?), Moore tente un peu trop de faire passer Bush pour le débile mental qu'il n'a jamais été (peu cultivé, l'homme n'est pas un attardé pour autant). Reste que malgré tous les livres et documentaires que le personnage a suscités, l'homme garde une part de mystère et qu'il vient d'être réélu, beaucoup plus facilement que lors des élections de 2000, pour un second mandat présidentiel qui s'annonce encore une fois pour le meilleur et pour le pire !!!

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