Critique : Retour à Cold Mountain

Stéphane Argentin | 25 octobre 2004
Stéphane Argentin | 25 octobre 2004

Trois conflits armés occupent depuis déjà de nombreuses années le devant de la scène des productions hollywoodiennes : la guerre du Vietnam, avec notamment l'un des réalisateurs les plus engagés dans ce domaine, Oliver Stone (Platoon, Né un 4 juillet, Entre ciel et terre), la Seconde Guerre mondiale, avec quantité de films depuis les plus historiquement rigoureux (Tora ! Tora ! Tora !, Le Jour le plus long, Un pont trop loin) jusqu'aux plus spectaculaires (Pearl Harbor), et enfin conflit 100% américano-américain, la guerre de Sécession. Anthony Minghella s'était déjà attaqué en 1996 au cas du second avec son multi-oscarisé Patient anglais ; il s'intéresse à présent au dernier avec Retour à Cold Mountain.

Adapté du très respectable et respecté roman de Charles Frazier (le livre est au programme de nombreuses écoles et universités américaines), et inspiré d'une histoire vraie (l'arrière-grand-oncle de ce dernier, soldat confédéré blessé au combat, avait parcouru plus de 450 kilomètres à pied pour rejoindre ses terres), Retour à Cold Moutain est avant tout l'occasion pour Anthony Minghella de replonger au cœur de la tourmente causée par les guerres, et non de son aspect purement guerrier. Ce dernier point est d'ailleurs « réglé » d'emblée au cours d'une séquence qui n'a rien d'une bataille rangée en bonne et due forme, mais qui revêt plus des aspects « gladiatoresques » (Ridley Scott) ou bien « ryanesques » (Steven Spielberg). Un choc visuel et avant tout psychologique pour le petit soldat Jude Law (initialement va-t'en-guerre), déclencheur de ce désir de fuir les affrontements, la barbarie et la boucherie, et de revenir à une vie paisible dans son doux foyer et auprès de celle qu'il aime, tel Ulysse et son odyssée.

Un chemin du retour bien long, hors la loi (il est alors déserteur), semé d'embûches et avant tout de rencontres. Des rencontres avec des personnalités diverses et variées, depuis les plus viles et traîtresses jusqu'au plus désintéressées et généreuses, comme autant de preuves vivantes que les guerres rabaissent l'homme (mais aussi les femmes) à ses instincts les plus primaires, en bien comme en mal. Ces rencontres sont aussi l'occasion de découvrir devant la caméra pléthore d'acteurs montants ou confirmés, pour certains dans des rôles quasi caméléonesques : Jena Malone (Donnie Darko, Le Jour d'après), Cillian Murphy (28 jours plus tard, La Jeune Fille à la perle), Giovanni Ribisi, Brendan Gleeson, Philip Seymour Hoffman, Natalie Portman (dans un rôle époustouflant de femme meurtrie, à des années-lumière de la princesse Padmé de Star Wars), ou encore le grand Donald Sutherland en père religieux et biologique éphémère d'une Nicole Kidman BCBG – tout du moins au début.

Car sans son homme à ses côtés pour la soutenir et l'aider, il va bien falloir que cette demoiselle apprenne à se débrouiller par elle-même. C'est là en effet l'autre facette de cette histoire : tandis que les hommes, partis au combat pour protéger leurs foyers, tentent d'en revenir, marqués à jamais, les femmes, précisément demeurées au foyer, doivent non seulement faire face à la longue solitude en vivant dans l'angoisse permanente d'un hypothétique retour, mais aussi aux profiteurs restés sur place et censés eux aussi les protéger. Dans cet autre combat quotidien, les femmes devront donc se serrer les coudes et retrousser leurs manches. Et ce n'est sûrement pas une Renée Zellwegger, méconnaissable dans un rôle de paysanne certes un tantinet trop appuyé (en VO de préférence) mais ô combien son meilleur à ce jour, qui dira le contraire. Apportant un peu de gaîté et d'optimisme, son personnage contrebalance la détresse et le désir de retrouvailles du couple à distance Kidman-Law, plus retenu dans leur interprétation (rôles obligent).

Un conflit qui a donc lieu sur les deux fronts : au champ de bataille, déclencheur du périple de retour, mais aussi dans les chaumières. Deux aspects du combat reliés par les sentiments que partagent l'un pour l'autre les deux amants. Un amour qui leur donnera la force de surmonter tous les obstacles et qui nous fait basculer de l'un à l'autre avec fluidité, tout du moins dans la première moitié (les échanges de courrier), et avec une certaine équité (temps de présence égal ou presque), le tout baignant dans une rigueur technico-artistique (décors, costumes, photographie, et bien sûr musique du compositeur attitré de Minghella, Gabriel Yared) qui n'a d'égal en discrétion que la justesse de restitution. Le passage de l'un à l'autre des amants finit toutefois par s'effilocher et s'appesantir au cours du récit, par ailleurs sans grandes surprises (ce n'est nullement le but recherché), puisque l'on pourra en (entr)apercevoir la conclusion bien avant l'heure dite (la scène du puits). À nouveau prévisible, l'épilogue est à l'image du film : bicéphale. À la fois réaliste et optimiste, comme un pansement sur une plaie non cicatrisable mais néanmoins refermée du passé.

Retour à Cold Mountain est certes loin d'atteindre l'épisme, la grandeur et la force des personnages d'un (au hasard) Autant en emporte le vent, mais a néanmoins la stature nécessaire pour s'inscrire sans honte dans son sillage. Un récit fort, poignant, juste et humain.

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