Les Yeux sans visage : Critique

Sandy Gillet | 3 novembre 2007
Sandy Gillet | 3 novembre 2007

Au sein d'une certaine cinéphilie soi-disant avisée, voilà un homme, George Franju, dont on ne fait que peu de cas en France. Pourquoi un tel oubli, sachant tout de même qu'il fut, avec Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française en 1936 et l'auteur d'un nombre conséquent de très bons films, sans parler de celui qui nous intéresse aujourd'hui ? Considéré en effet par le monde entier comme le meilleur film d'horreur-épouvante français jamais réalisé, Les Yeux sans visage ne semble pourtant pas soulever le même enthousiasme de par chez nous.

 

 

Pourtant, au sein de la filmographie de l'auteur, c'est encore celui qui est le plus connu. Il bénéficie d'ailleurs de passages réguliers sur le câble, dont une diffusion remarquée le mois dernier sur Canal +, car dans une très belle copie, au sein de l'excellente programmation initiée par l'incontournable Jean-Pierre Dionnet. Mais une fois que nous avons dit cela, quid du reste de sa filmographie, qui comprend tout de même des incontournables tels que Judex ou Plein feux sur l'assassin.

Après avoir commis le remarquable La Tête contre les murs, son premier long métrage, où il mettait à profit ses longues années de documentaristes au service d'une fiction poignante, Franju réalisait donc Les Yeux sans visage, qui lui permettait d'explorer un univers et un genre cinématographique complètement différents. De fait, Les Yeux sans visage commence comme un bon vieux policier et se termine en un film fantastique, nanti d'une imagerie à la poésie évidente dont l'inspiration est à rechercher du côté de l'expressionnisme allemand et de la peinture surréaliste. Enfin, la modernité des sujets et thèmes abordés laissent encore aujourd'hui pantois : depuis l'aspect incestueux qui dicte les relations père-fille tout au long du film, jusqu'au constat édifiant de la dictature du paraître et de l'acceptation sociale qui en découle….

 

 

Pour qui n'a jamais vu Les Yeux sans visage (ils ne connaissent pas leur bonheur), les quinze premières minutes sont à ce titre extrêmement représentatives de tout le film : une femme conduit dans la nuit sur une route de campagne. Sur la plage arrière, une silhouette reste immobile, instaurant d'emblée un certain malaise accentué par les regards incessants et anxieux que jettent la conductrice vers son rétroviseur. Arrivé à une sorte de réservoir artificiel, on se rend vite compte que le passager est en fait le corps d'une femme sans vie qui est extrait de la voiture et précipité dans l'eau saumâtre. Cut. La séquence suivante voit un éminent professeur délivrer un exposé devant un auditoire conquis sur la greffe de peau et les possibilités médicales futures qui en découlent. Sur ce, alerté par un secrétaire, il se rend à la morgue pour venir identifier le corps de sa fille morte et défigurée, repêchée la veille….

 

 

Avec un tel pitch de départ, comme on dit de nos jours, inutile de préciser que le spectateur est ferré vers un développement qu'il croit comprendre et anticiper, alors même que ce qui va suivre permet au film d'entrer dans une nouvelle dimension propre en effet à en faire aujourd'hui cette oeuvre culte (pour le côté cinéma bis peu visible). Le tout, maintenant, étant de lui accorder ce statut d'oeuvre majeure propre aux grands classiques, car revoir aujourd'hui ce petit bijou de poésie macabre en noir et blanc reste plus que jamais une expérience de cinéma à la fois visuelle et définitive.

 

Résumé

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commentaires
Claude Mercutio
05/12/2016 à 01:34

Parfaitement d'accord avec l'article ! Franju est très sous-estimé en France et n'a pas encore connu de "redécouverte tardive". Ses courts-métrages étaient déjà très remarquables et tranchaient avec la production habituelle dans ce domaine par le regard qu'il portait aux sujets filmés. "La tête contre les murs" (1958), est une véritable descente aux enfers : un jeune homme rebelle enfermé dans un asile et la description du lieu ... Jean-Pierre Mocky fut à l'origine du projet et Franju put s'offrir une très belle distribution : Pierre Brasseur, en médecin vraiment inquiétant, Paul Meurisse, Anouk Aimé; la révélation de Charles Aznavour (saisissant !)" entouraient bien Mocky.
Ici, nous sommes dans l'ambiance du "film Bis façon Fritz Lang" ! Somptueuse photo en noir et blanc, distribution excellente : encore Brasseur en médecin amoureux de sa fille défigurée", Alida Valli, Bernard Blier, Edith Scob, Juliette Mayniel ...
Science sans conscience, le chirurgien qui se prend pour Dieu, sa froideur totale concernant les pauvres jeunes filles qu'il dépèce sans la moindre émotion ...
Les sujets de Franju dérangent. Ce film mériterait une nouvelle sortie en cinémathèques, tout comme le premier, tout comme le suivant ("Judex").
Que l'on rende enfin à Franju la mérite depuis longtemps !

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