Critique : Red Road

Jean-Noël Nicolau | 4 décembre 2006
Jean-Noël Nicolau | 4 décembre 2006

Prix du Jury du festival de Cannes 2006, Red Road est un formidable thriller hors normes, dont l'esthétique impressionnante dissimule une profondeur saisissante. Durant sa première moitié, le film d'Andrea Arnold se présente sous la forme d'un suspens voyeuriste et obsessionnel, précis et étouffant. Jackie, incarnée par Kate Dickie (qui n'aurait pas volé un prix d'interprétation féminine) est employée par une agence de télésurveillance, ce qui lui permet de scruter et d'enregistrer tous les événements minuscules ou criminels de nombreux quartiers de Glasgow, dont celui de Red Road, où des HLM solitaires et menaçants sont réservés aux anciens détenus en phase de réinsertion. Ce désert urbain d'une Ecosse proche de la misère, permet à la réalisatrice de créer une atmosphère très oppressante, en adoptant en permanence le point de vue de son héroïne.

Après avoir reconnu sur l'un de ses écrans un homme, dont le lien avec son passé marqué par une tragédie demeure longtemps assez mystérieux, Jackie débute une longue filature. Ces séquences sont sans doute les meilleures du film, elles sont imprégnées d'une tension étrange, renforcée par une bande son peuplée de bruits industriels lointains et de stridences angoissantes. A mi-chemin entre le Dogme de Lars Von Trier (auquel le collectif Advance Party, à la base de Red Road, se réfère) et le polar hollywoodien, Andrea Arnold agence une union apparemment contre nature entre réalisme social, véracité psychologique et pur film de genre.

Après la révélation sur l'évènement traumatique, la seconde partie de l'œuvre tient moins du thriller que du drame cruel, parfois glauque et ce n'est plus la peur qui vient saisir le spectateur mais un effroi plus humain et insidieux. Culminant sur une interminable (car quasi insoutenable d'intensité) scène de sexe très explicite, cette montée de Red Road vers un propos plus ambitieux entraîne aussi le film sur des terrains plus balisés et déjà fréquentés par d'autres œuvres (dont il nous faut taire le nom sous peine de révéler les clefs du récit). Ce crescendo éprouvant, se dote d'une conclusion un peu prévisible mais qui offre une respiration indispensable pour ne pas transformer le film d'Andrea Arnold en un véritable calvaire. Red Road aurait-il gagné à forcer le jusqu'auboutisme, à franchir le point de non retour vers le désespoir le plus absolu ? Certains spectateurs le penseront sans doute, mais ils passeront aussi à côté de la beauté déplaisante et tétanisante d'une œoeuvre aussi inclassable que géniale.

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