Snake Eyes : critique as de pique

Flavien Bellevue | 15 novembre 2017 - MAJ : 27/09/2023 10:26
Flavien Bellevue | 15 novembre 2017 - MAJ : 27/09/2023 10:26

Revoir Snake Eyes de Brian De Palma aujourd'hui lui confère une dimension jusqu'alors absente. Mis à part une mise en scène virtuose et un plan-séquence d'anthologie, beaucoup n'avaient vu qu'une fantaisie obsessionnelle du réalisateur sans y déceler un avertissement sur l'assassinat politique (ou autre) filmé en direct. Représentant pour la troisième fois ce schéma (avec Greetings et Blow out), Brian De Palma nous positionne comme le 14 001ᵉ témoin oculaire, privilégié, du meurtre du ministre de la défense des Etats-Unis, Charles Kirkland, dont l'alibi n'est autre qu'un match de boxe truqué. Alors qu'un ouragan fait rage à l'extérieur du casino où se déroule l'action, Snake Eyes nous plonge dans un immense huis clos où l'on ne peut se fier à personne et en aucun cas à nos yeux.

THA PRUDER

Marqué, comme beaucoup d'autres cinéastes (Oliver Stone entre autres), par l'assassinat du président John Kennedy, Brian De Palma s'est toujours trouvé frustré devant les images du film d'Abraham Zapruder, unique témoignage filmé pour cause de point de vue unique. Le réalisateur se rendit compte qu'un tel film ne suffisait pas pour livrer la vérité sur un événement auquel on assiste en direct. C'est donc en parallèle avec le film de Zapruder que De Palma décide d'ouvrir son film par un plan-séquence (représentation formelle du cinéma la plus proche de la « vérité » de par son absence de coupe) où nous découvrons l'inspecteur de la ville d'Atlantic City, Richard Santoro, déambuler avec ferveur dans les couloirs et les coulisses du casino Millenium jusqu'au meurtre du ministre de la défense.

 

Photo Nicolas CageNicolas Cage, flamboyant

 

Durant quatorze minutes, De Palma nous inonde d'informations que nous ne pourrons pas complètement assimiler du premier coup. Le réalisateur passera donc l'heure et quart suivante à décortiquer cette scène grâce à différents récits de personnages qui vont former le rubicube dramaturgique du film. Campé par un Nicolas Cage survolté, l'inspecteur Richard Santoro, qui n'est autre qu'un mélange de Sailor Ripley (Sailor et Lula) et de Tony « Scarface » Montana (son costume en étant la meilleure preuve) dont le pouvoir lui donne l'impression d'être le roi du monde, va être le témoin impuissant du meurtre du ministre de la Défense et devra découvrir la vérité.

A travers les différents récits, Brian De Palma nous met dans la peau des personnages au sens strict du terme par le biais de la vue subjective tout en triturant l'image (splits screens, ralentis, plongées vertigineuses…) ou en donnant son point de vue de metteur en scène avec les retours vidéo et autres écrans de contrôle ; tout cela pour dérouter quelque peu, le spectateur qui à force de revoir le même événement plusieurs fois, finit par ne plus trop savoir ce qui est vrai ou faux. Une hésitation, hélas, de courte durée puisque le réalisateur révèle rapidement l'identité du véritable meurtrier.

 

Photo Carla GuginoOh tiens, une blonde hitchcockienne dans un film de De Palma

 

QUESTION DE POINT DE VUE

Jouant des codes du cinéma et surtout de ceux de son cinéaste fétiche, Alfred Hitchcock, dont la séquence du meurtre fait appel à L'homme qui en savait trop (avec une magnifique partition de Ryuichi Sakamoto inspirée par celles de Bernard Hermann), Brian De Palma critique les Etats-Unis à travers les hommes (de l'ombre) politiques qui dirigent véritablement le pays ainsi que ses médias où tout est arrangé pour plaire. Le casino en est la métaphore parfaite car son univers relève du contrôle total, à tel point que le temps ne semble pas d'avoir d'emprise dessus (pas d'horloge, ni de véritables fenêtres). Rick Santoro semblait coller parfaitement à cet univers jusqu'à ce que la vision d'un billet couvert de sang ne le révèle ; le fameux blood money dont personne ne veut avoir sur la conscience.

Malgré une fin amère et un semblant de happy end, Brian De Palma, conscient de la réalité, laisse passer le générique de fin pour livrer son dernier mot (via un nouveau plan-séquence) en une image ; celle d'un rubis rouge d'une femme scellé dans le ciment (clin d'oeœil évident au diamant du Complot de famille), preuve qu'un nouveau casino se construit sur des cadavres.

 

Photo Gary Sinise, Nicolas CageNicolas Cage et un expert

 

Usant des faux semblants (le plan séquence de début est, en fait, en trois parties) et semant presque la confusion, Brian De Palma transforme ce qu'il avait magnifiquement amorcé avec Mission Impossible en une véritable obsession : l'image et sa représentation (à ce sujet, l'occulaire géant publicitaire où se trouve la caméra révélatrice n'est autre que le faux miroir du peintre René Magritte qui lui aussi réfléchissait sur son art et sa représentation). Snake Eyes est un bon film qui vaut la peine d'être revu pour la maîtrise de la mise en scène et sa réflexion sur l'image, qui révèle une étonnante contradiction : la multiplicité, voire la sur-abondance de points de vue ne permet pas (toujours) à la vérité d'apparaître plus clairement et dans sa pleine objectivité. Au contraire, le trop plein la transforme en bruit permanent. On rappelle, ce film est sorti au XXe siècle.

 

Affiche

 

Résumé

Brian De Palma a vu le futur.

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commentaires
Saiyuk...
16/11/2018 à 16:53

Carla Gugino est une merveille.
Sinon oui superbe film mais desolè l impasse est 3 crans au dessus.

Bob57
16/11/2018 à 11:52

Magnifique film. Quel maîtrise ! C'est vrai que la fin est un petit peu en dessous, mais ça reste un grand film, pas assez connu. Et puis Nicolas Cage, un de ses meilleurs rôles sans hésiter.

Dirty Harry
16/11/2018 à 10:55

Excepté la fin un peu à coté de la plaque par rapport à l'exigence de tout le reste du récit, ce film est un des meilleurs de De Palma, exécuté avec classe, un Nicolas Cage impérial, et une superbe partition musicale. C'était la dernière fois que De Palma était vivant, si quelqu'un pouvait nous dire ce qu'il est devenu....

sylvinception
16/11/2018 à 10:24

Effectivement il est un poil trafiqué...
Satan LaBite --> CARLA GUGIGNO --> trop tard je dois changer mon slibard (rime)..

La série The House Of Haunting Hill nous rappelle qu'elle vieillit plutôt bien en plus, la Carla.

Satan LaBite
16/11/2018 à 09:10

On rappelle quand même que le plan séquence de 14mn initial est faux.

Hank Hulé
16/11/2018 à 09:03

classe !

jorgio69
15/11/2018 à 20:29

Un film magnifique porté par un très grand Nicolas Cage.
Chaque fois que je le vois, je prends une leçon de cinéma.

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