Critique : Le Caïman

Sandy Gillet | 24 mai 2006
Sandy Gillet | 24 mai 2006

On avait quitté Nanni Moretti avec La Chambre du fils, incursion réussie du cinéaste italien dans le mélodrame au sens le plus noble du terme et Palme d'or 2001 à Cannes. On le retrouve aujourd'hui avec Le Caïman, sorte de retour aux sources au sein d'un cinéma qu'il connaît bien, mais malheureusement uniquement « vendu » comme un pamphlet anti-Berlusconi. La vérité est en effet plus complexe ou plus simple (c'est selon !) puisque si le titre même du film, Le Caïman, fait bien référence à l'homme fort de l'Italie depuis onze ans, celui-ci ne le traite qu'en négatif via l'histoire d'une tragédie ordinaire.

C'est celle d'un homme (savoureux Silvio Orlando, acteur fétiche du cinéaste) qui voit sa vie de famille lui échapper (sa femme le quitte) doublée de celle d'un producteur de films de série Z qui ne produit plus rien depuis dix ans. Dans sa descente aux enfers il va rencontrer une jeune cinéaste en herbe (Jasmine Trinca découverte dans La Chambre du fils justement mais qui a surtout explosé grâce à sa formidable prestation dans Nos Meilleurs années de Marco Tullio Giordana) qui lui propose un scénario intitulé Le Caïman sur l'ascension controversée de Silvio Berlusconi. Et Nanni Moretti de raconter ce personnage pour une fois pas ou peu autobiographique qui se bat au quotidien pour sauver ce qui reste de son couple et pour préserver ses enfants. Moments de paradoxale plénitude qui nous vaut certainement les plus belles séquences du film par leur côté simple tant dans la mise en scène aux plans épurés que par le ton voulu entre comédie à l'italienne et drame quotidien de la famille.

Le cinéma et la problématique de sa mise en scène font aussi partie des sujets traités ici puisque notre homme va se mettre en tête de produire ce brûlot dont personne ne veut. Non qu'il se découvre une conscience politique mais plus certainement parce qu'il a envie de se prouver à lui-même et à sa femme (qu'il espère toujours reconquérir) qu'il est capable de faire un film « important ». Le Caïman dérive dès lors dans une énième déclaration d'amour de Moretti pour le cinéma (de genre, d'auteur…) dont on peut signifier la naissance sur pellicule en 1994 avec son magnifique Journal Intime. Et c'est par ce biais seulement qu'il va pouvoir disposer à sa guise du Cavalieri. Dire que la critique est acerbe, sans concession et d'une grande intelligence serait enfoncer des portes ouvertes mais que cela est vrai. Il faut voir comment le cinéaste, par un jeu subtil de film dans le film, ridiculise l'homme en le mettant face à ses contradictions et en utilisant les mêmes armes que Berlusconi qui s'est fait, on le sait, uniquement via le pouvoir des images.

À ce titre la séquence finale, si elle fait froid dans le dos, est aussi un grand moment de cinéma politique remettant ainsi au goût du jour un genre typiquement transalpin qui fit florès dans les années 70 mais qui depuis lors a disparu sans qu'aucune raison valable quant à ce constat puisse être réellement avancé. On peut cela dit se rallier à l'avis de Moretti qui pense que la vie politique italienne est tellement riche en turpitudes en tous genres que l'imagination des scénaristes s'en est trouvé tarie (sic !). Manière élégante d'affirmer avec désinvolture mais aussi avec un désenchantement définitif que la démocratie italienne est une véritable mascarade au service d'une population plus que docile.

Avec Le Caïman, Moretti ne se veut donc pas un électrochoc car il sait la partie perdue d'avance (les élections remportées d'un souffle par une gauche qu'il a lui-même brocardée de par le passé pour son immobilisme et par ses représentants sans réelles personnalités en sont encore une fois la preuve) mais bien un message d'amour pour un pays dont il ne se résout pas qu'il puisse être gangrené de l'intérieur à ce point. À quand la même lucidité courageuse chez nous ?

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