Critique : Chromophobia

Johan Beyney | 9 mai 2006
Johan Beyney | 9 mai 2006

Avec Short Cuts, Robert Altman a ouvert la voie à un genre en soi, celui du film choral qui voit plusieurs histoires a priori indépendantes s'entremêler, s'imbriquer, partant du principe que tout individu est le personnage central de sa propre histoire et le personnage secondaire de l'histoire des autres. Cette forme narrative en a séduit plus d'un, et l'on pourra évoquer à ce titre le Magnolia de Paul Thomas Anderson ou le plus récent (et plus raté) J'adore Huckabees de David O. Russel. Jusqu'ici pourtant étiqueté « cinéma indépendant américain », le genre franchit cette fois l'Atlantique et vient s'installer à Londres où il se propose de nous présenter les affres de la bourgeoisie contemporaine.

Martha Fiennes nous emmène donc à la rencontre d'une galerie de personnages qui détiennent chacun une part de pouvoir, qu'il soit médiatique, politique, économique, juridique ou culturel. Cela n'est pas sans conséquence, ils détiennent aussi un fort pouvoir…d'achat. Bien heureusement, la réalisatrice vient ici nous rappeler que l'argent ne fait pas le bonheur et que derrière des apparences fastueuses, il y a bel et bien quelque chose de pourri au Royaume-Uni. Solitude, incompréhension, perte des valeurs morales, tout part à vau-l'eau mon pauvre ami ! Les personnages sont bien écrits, le casting prestigieux, l'interprétation irréprochable et pourtant, l'entreprise tourne à vide. On regarde, sans trop s'y attacher, se débattre ces personnages déjà vus (la femme riche qui compense le vide de sa vie par le shopping et le yoga, l'avocat d'affaires qui aurait voulu être un artiste, l'homo cultivé en proie aux réalités sociales de son quartier..) avec une seule question en tête : mais où veut-elle en venir ? Pour y voir plus clair, jetons un œil sur le dossier de presse et sur les propos éclairants des deux producteurs du film. Pour Tarak Ben Ammar, le film est une « méditation incisive sur la vie moderne dans les grandes cités ». Quant à Ron Rotholz, il y voit « un drame à caractère introspectif, internalisé, loin des schémas habituels des films dits londoniens » qu'il classerait dans « un mouvement artistique que j'appellerais ‘post-cool britannia' ou ‘post-nouveaux travaillistes' ». Nous voilà mieux renseignés…

L'insertion dans l'intrigue de deux personnages assez émouvants et plus proches de « l'Angleterre d'en-bas » (mère-célibataire-prostituée-mourante et travailleur-social) a beau essayer de jouer la carte du contraste pour modérer le propos, elle ne rattrape pas un scénario qui, même bien foutu, sonne creux. Si l'on veut vraiment avoir un discours de classe sur l'Angleterre, autant opérer un retour aux sources et (re)voir Gosford Park de… Robert Altman.

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