Critique : Tabac, la conspiration

Nicolas Thys | 5 avril 2006
Nicolas Thys | 5 avril 2006

La mode depuis quelques temps est à la diffusion de films à la télévision quelques jours avant leur sortie en salle : l'intérêt ? On en voit guère, sinon amener moins de monde voir le film en salle. Si les producteurs pensent encore que cela peut améliorer l'image dudit téléfilm (le fameux argument éculé du : « le cinéma est un art donc si ce que j'ai réalisé y est diffusé cela lui donnera une patine de respectabilité »), la majeure partie du temps l'entreprise reste vaine et se solde par un échec cuisant. Avec le film de Nadia Collot, Tabac, la conspiration, le scénario se répète une fois de plus à l'identique à l'exception près que, pour une fois, ce n'est pas Arte qui produit le film mais France 2. En effet, ce film a déjà été en partie diffusé sur la chaîne publique voici quelques mois (réduit à une version de 52 minutes, format télévisuel oblige).

Produit en partie par l'ONF, organisme canadien mondialement reconnu pour la qualité des documentaires et des films d'animation qu'il finance, l'attente était grande et donc justifiée. Malheureusement il n'en est rien et la déception est bien là. Alors oui, il est vrai que le sujet est sensible et qu'il est nécessaire de se mobiliser contre le tabagisme passif et actif, et que l'on y sera jamais assez sensibilisé. À ce niveau on pourra donc nous reprocher de dire du mal d'un film qui prévient et met en garde contre ces dangers. Mais le documentaire n'est pas qu'une question de politique et de point de vue, il est avant tout une forme cinématographique à part entière et c'est ici que le film est réellement blâmable. Ce film milite contre la clope et c'est très bien mais cela ne l'empêche pas d'être mauvais et on lui préférera pour le coup l'excellent Révélation de Michael Mann qui traite du même problème mais d'un point de vue purement fictionnel tout en étant inspiré de faits réels.

Le film de Michael Mann a, en outre, l'avantage d'être aussi direct dans sa dénonciation et dans la théorie du complot tout en étant moins hypocrite car il annonce son appartenance au régime fictionnel. À l'inverse, Nadia Collot, de manière plus perverse, nous fait du documentaire semi-fictionnel, ce qui est (cin)éthiquement assez discutable, et ce principalement lorsque le film s'apparente à une enquête, ce qui est le cas de Tabac.
Une enquête procède par étapes dont on doit pouvoir suivre la succession et se doit de reposer sur des documents précis, valables, vérifiables et sur des témoignages sur lesquels le spectateur doit avoir un rapport direct, ce que la réalisatrice fait très bien par moment en nous confrontant à des textes sortis tout droit des archives. La reconstitution, autre sous-genre documentaire dont La Commune de Peter Watkins est l'un des plus beaux exemples, part d'un tout autre principe qui est avant tout didactique. Elle permet d'essayer de revivre au plus près, sans pour autant aspirer au degré de vérité scientifique de l'enquête, un évènement le plus souvent historique. Alors que l'enquête se veut un rapport direct au sujet, la reconstitution est toujours plus ou moins romancée même si son scénario et sa genèse reposent sur la confrontation de témoins et de textes historiques multiples.
Le parasitage d'un genre par un autre nuit à la crédibilité du sujet traité car on ne sait plus ce qui est vrai ou inventé d'autant que dans Tabac, la conspiration, la réalisatrice l'affirme : elle ne possède quasiment aucun document concernant l'évènement bref et à huis-clos d'où rien n'a filtré et qu'elle met complètement en scène. Effectivement donc, quelque chose cloche d'autant plus que tout dans ces passages semble bon pour caricaturer au maximum les personnages et la situation évoquée, ce qui perturbe son approche et frise le ridicule. Alors oui, le documentaire n'est pas un genre « sexy » en soi comme le regrette Nadia Collot dans le dossier de presse. Mais tricher pour le rendre attrayant n'est pas non plus le meilleure moyen de parvenir à ses fins et parfois l'austérité convient mieux à certains sujets délicats.

Si le point de vue purement documentaire est contestable, que dire de l'aspect formel de l'ensemble ? On a en effet l'impression d'assister à un spot anti-tabac au long cours avec ses images écoeurantes montrant des parties du corps humains ravagées par le tabac, deux hémisphères d'un cerveau que l'on écarte, des souris torturées…
En outre, la réalisatrice enquête, se déplace partout mais, à part quelques minutes instructives consacrées à la publicité indirecte des marques et au tabagisme en Afrique, elle n'apporte rien de plus à un sujet déjà mille fois traités au cours de reportages à la télévision, dans des revues ou des journaux.
Si Michael Moore dénonce des dérives politiques et économiques de manière moins consensuelles et en s'adressant directement aux personnalités mises en cause (quitte à franchir de nombreuses limites), Tabac, la conspiration en reste au stade en dessous et Nadia Collot se fait davantage publicitaire que cinéaste. Un dispositif plus classique en mettant réellement l'enquête en avant aurait été plus adéquat et aurait fournit davantage d'éléments sur le problème de la cigarette. Le « docu-spectacle » n'était pas de rigueur.

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