Critique : Bubba Ho-Tep

Patrick Antona | 13 février 2006
Patrick Antona | 13 février 2006

Après trois années entières passées à écumer avec succès les festivals du monde entier, Bubba Ho-Tep nous arrive enfin dans les salles françaises, et c'est une sacrée bonne nouvelle. Car non seulement il nous permet de retrouver le metteur en scène Don Coscarelli qui a marqué la genre fantastique avec sa série des Phantasm, mais aussi d'apprécier le talent de Bruce « Evil Ash » Campbell dans un vrai premier rôle à sa mesure, laissant de côté ses caméos dans les Spiderman de Sam Raimi. De fait, leur collaboration a accouché d'une des meilleures comédies horrifiques jamais réalisées, tout en se parant d'une réflexion aiguisée sur la vieillesse et le statut d'icône culturelle. Le pari principal du film de faire accepter Bruce Campbell en Elvis Presley décati, reclus dans une maison de retraite du sud des USA, n'était déjà pas évident, mais le faire affronter, en compagnie d'un compère noir, Jack, se prenant pour JFK, une momie mangeuse d'âmes décimant les patients de l'hospice, relevait d'une gageure des plus hasardeuses ! Non seulement Don Coscarelli évite les écueils qui auraient fait basculer Bubba Ho-Tep dans le délire trash gratuit ou la grosse farce façon Troma, mais il réussit à faire de son film une œuvre plus complexe qu'il n'y paraît.

Tout en menant son intrigue avec un suspens et un sens du merveilleux qui donnent au film une tournure le rapprochant d'un conte ou d'une fable, le réalisateur se sert de son scénario délirant pour aborder avec sens des thèmes concrets, comme le statut des seniors dans notre monde, la peur de mourir ou le destin des gloires oubliées. Toutes ces émotions sont véhiculées par le biais de cet Elvis Presley presque grabataire (ayant pris l'identité d'un de ses multiples sosies, Sebastian Haff) qui décide de renouer avec son statut de légende du Rock'n'roll, uniquement pour avoir la fierté de finir sa vie en tant qu'homme et de préserver son âme menacée. Les scènes où il récupère les derniers souvenirs des victimes de la momie, ainsi que celles où il se remémore avec amertume ses erreurs du passé, participent à donner au personnage d'Elvis un relief et une stature humaine qui évite la parodie avec soin. L'interprétation de Bruce Campbell y participe grandement, tenant du miracle, évoluant sur le fil du rasoir, entre sublime et grotesque. Il « est » cet Elvis Presley si particulier, avec des attitudes et des inflexions de voix confondantes de réalisme, jusqu'à l'affrontement final, assis sur sa chaise roulante ! C'est sous les conseils éclairés de Sam Raimi que Bruce Campbell fut approché pour le rôle, et bien lui en a pris, au vu du résultat particulièrement bluffant qui en résulte.

Mais Don Coscarelli ne verse pas dans l'hommage servile, ni dans le larmoyant, pour décrire le dernier round de l'idole du rock. Il sait se servir d'un humour jouissif et iconoclaste : des joies de ressentir une érection longtemps oubliée à la peur de son voisin de se faire aspirer son âme par son anus, jusqu'aux punchline insultantes envoyées à la face de la momie, tout contribue au second degré savoureux de Bubba Ho-Tep. Il est à signaler que l'interprète de Jack, l'avatar comique de John F. Kennedy, Ossie Davis, est le réalisateur du premier film policier noir du cinéma américain, Cotton comes to Harlem, réjouissante adaptation d'un roman de Chester Himes. Ossie Davis est décédé en février 2005, après une carrière de plus de cinquante ans.

Pour le côté horrifique de son film – car n'oublions pas que Bubba Ho-Tep est un film d'épouvante – , Don Coscarelli fait montre de son talent de vieux briscard du genre. Il illustre les exploits épouvantables de la momie sans verser dans le spectaculaire à outrance, évitant l'overdose numérique en préférant des effets spéciaux de maquillage plus classiques (commis par le talentueux studio KNB), et en s'appuyant sur une atmosphère onirique et oppressante, rappelant par là qu'il est l'immortel auteur de la série Phantasm.

Remis en selle par le succès culte de Bubba Ho-Tep, il a depuis participé à l'anthologie Masters of horror, et planche sur une séquelle, titrée Bubba Nosferatu, avec à nouveau Bruce Campbell. C'est définitivement ce dernier qui remporte la palme du meilleur effet spécial du film. En Elvis revenu d'entre les morts et élevé définitivement au rang d'icône en tant que héros d'une certaine Amérique, celle des exclus et des oubliés, il démontre par là même et avec génie que l'on peut être respectueux d'un mythe tout en le malmenant un peu.

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