Mary : Critique

Erwan Desbois | 12 décembre 2005
Erwan Desbois | 12 décembre 2005

Qu'est-ce que la foi ? Comment l'exprimer ? Une telle démarche spirituelle a-t-elle encore sa place dans notre monde actuel ? Voici quelques questions brassées par Mary, le dernier long-métrage d'Abel Ferrara. Radicalement différent de ses films précédents (et de l'image qu'on se fait de lui), Mary représente l'aboutissement d'une décennie plus « cérébrale » et moins hard boiled. On peut même y voir un nouveau départ, puisque cette variation sur le personnage biblique de Marie-Madeleine coupe tous les ponts avec l'univers des films de genre d'habitude employé par le réalisateur. Pas de dealers de drogue ou de héros déchus avec du sang sur les mains à l'horizon dans Mary : simplement trois personnages contemporains aux prises avec les contradictions du monde et de leurs vies, et qui tentent d'y trouver une réponse par la foi. D'un côté de l'intrigue (à New York) se trouvent Theodore (Forrest Whitaker), animateur d'une émission télévisée sur les religions, et Tony (Matthew Modine), réalisateur d'un film sur la vie du Christ, qui vont chacun devoir faire face à un événement remettant profondément en cause leur conduite. De l'autre, à Jérusalem, vit Marie (Juliette Binoche), que l'expérience vécue en interprétant le rôle de Marie-Madeleine dans le film de Tony a bouleversé au point de lui faire tout abandonner de sa vie passée pour se consacrer pleinement à sa foi.

 

 

La grande réussite d'Abel Ferrara est de nous faire ressentir par sa mise en scène toute la distance, non seulement physique mais aussi spirituelle, qui sépare les deux new-yorkais de Marie. Les apparitions de cette dernière font en effet l'objet de séquences très courtes, et sans contexte précis ; un aspect intemporel qui les rend plus proches des scènes du film de Tony intercalées dans le récit que de la vie réaliste et contée avec nombre de détails des deux protagonistes masculins. Comme si la « fusion » entre Marie et Marie-Madeleine était accomplie, faisant des deux femmes une seule et même entité, source d'inspiration pour Theodore et Tony au cours des épreuves qu'ils traversent. Juliette Binoche aurait pu se fourvoyer dans ce rôle d'icône inaccessible, doublée d'une croyante dont la ferveur religieuse ne souffre aucune discussion ; elle le sublime au contraire par son jeu, d'une pureté étonnante. La sérénité qu'elle transmet à chaque instant est la preuve que ce rôle signifie bien plus pour elle qu'un simple personnage de fiction à interpréter.

Face à une telle présence, on sent que même Abel Ferrara est troublé au point de se livrer comme jamais auparavant. Ses thèmes de prédilection (la quête de rédemption, la face cachée du monde du cinéma) sont bien présents, mais ils ne servent que d'introduction à ce qui apparaît clairement comme la représentation à l'écran de la propre quête spirituelle du cinéaste. Ce dernier prête ainsi nombre de ses traits de caractère aux deux personnages masculins – Tony est un réalisateur volontiers provocateur, et le chemin menant Theodore du scepticisme à la foi fait écho à celui de Ferrara, dont les longs-métrages sont de plus en plus apaisés au fil des ans. L'aspect semi-documentaire du film (l'émission télévisée présentée par Theodore sert de prétexte à des séquences informatives sur les Nouveaux Évangiles et à des interviews passionnantes de théologiens dans leur propre rôle) renforce lui aussi cette impression de suivre en direct le cheminement de pensée d'un homme. C'est cela qui fait de Mary une œuvre foncièrement sincère et touchante, dont les quelques maladresses – exagérations stylistiques qui ne sont pas à leur place ici, tentatives malhabiles de faire passer un message sur l'état du monde – n'écornent ni la force ni l'unicité.

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