Le Petit lieutenant : critique pas glamour

Sandy Gillet | 1 juillet 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sandy Gillet | 1 juillet 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Tel un boomerang ciné lancinant puis obsédant, on a bien du mal en visionnant Le Petit lieutenant, à ne pas garder dans un coin de sa mémoire le formidable L.627 de Bertrand Tavernier. C'est que le cadre choisi pour l'action, filmé un peu à la manière « cinéma-vérité » et sa trame apparente (les premiers pas d'un jeune inspecteur au sein du groupe « crim' ») ne laissent pas vraiment le choix. Le problème, c'est que si Le Petit lieutenant est un bon film, il peine un peu à se lancer et à se démarquer de son aîné. Le nouveau film de Xavier Beauvois a bien du mal à exister, tout du moins dans sa première partie. C'est certainement conscient de cet écueil majeur que le réalisateur de N'oublie pas que tu vas mourir oriente la seconde moitié de son récit vers quelque chose qui lui ressemble plus, revisitant les quelques thèmes qui lui sont chers et réalisant au final un film qui en ne respectant que très peu les codes du genre, finit par devenir atypique et passionnant.

IN SITU

Pourtant dès les premières images on est en terrain connu, celui d'un cinéaste adepte d'une mise en scène frontale et naturaliste qui se traduit à l'écran par une séquence entière consacrée à une remise de diplôme filmée in situ. Antoine défile en effet devant le ministre de l'intérieur avec l'ensemble de sa promotion et s'en va choisir son affectation (Paris parce que c'est là que ça se passe). En cinq minutes Xavier Beauvois campe son personnage (Jalil Lespert en tous points convaincant), l'heure suivante lui permettra d'affiner les traits mais surtout d'ancrer son film dans une réalité sociale et matérielle indissociable de son cinéma.

On y suit donc sa période d'adaptation avec ses collègues, tous aguerris au métier, un peu blasés mêmes. Rien de nouveau ici sinon que le trait n'est pas appuyé et fait montre d'une réelle volonté de coller au plus près avec la vérité. Point ici de beaux voyous à la Mesrine associés à ce que l'on appelait le grand banditisme, juste quelques affaires crapoteuses qui mettent en scène des proxénètes russes et des SDF de la même nationalité noyés dans la Seine.… Pour le « glamour » propre au genre on repassera.

 

photoLe charme (très) discret du poste de police

 

À cette machinerie trop bien huilée qui peine à provoquer plus qu'un intérêt poli, Xavier Beauvois ne faisant qu'appliquer ce qu'il sait faire à un récit balisé, déjà vu et par ailleurs cent fois mieux traité dans L.627 (on y revient), s'immisce pourtant d'entrée de jeu un second personnage majeur en la personne du commandant Vaudieu joué par une remarquable Nathalie Baye. Celle-ci, de retour dans le service après avoir vaincu son alcoolisme, choisit ce « petit lieutenant » qui a l'âge de son fils disparu pour compléter son groupe. Entre eux va se nouer quelque chose d'indicible à mi-chemin entre l'amitié coup de foudre, le respect mutuel et l'attraction physique.

C'est finalement l'évolution de cette relation qui va intéresser Xavier Beauvois titillant le spectateur dans un premier temps pour ne plus le lâcher aux trois quarts du film quand le cinéaste décide un virage à 180° de sa narration qui rappelle sans conteste le parti pris génial de William Friedkin en plein coeœur de Police Fédérale, Los Angeles. Il n'y a plus dès lors qu'à dévider l'écheveau, aller jusqu'au bout de sa logique et de sa thématique : comme dans ses précédents films, Beauvois filme l'inexorable destin d'êtres creusant leur propre tombe.

 

photoNathalie Baye et Jalil Lespert

DE PROFUNDIS

Le Petit lieutenant n'est alors ni un polar ni même un drame, c'est juste un film de Xavier Beauvois qui témoigne de la réalité souvent absurde pour ne pas dire dépressive d'un quotidien qui prend pour cadre le milieu très cinégénique de la police. De cette association qui sur le papier peut paraître bancale, le cinéaste, « responsable » depuis plus d'une décennie avec Arnaud Desplechin, Cédric KahnPascale Ferran ou encore Noémie Lvovsky, d'une très belle relecture de la Nouvelle Vague, réalise ici un film qui a le mérite de confronter son univers avec celui d'un genre ultra codifié dans le seul but de s'étalonner et d'en renouveler les principaux diktats.

Si le pari n'est qu'à moitié réussi et le résultat certainement moins abouti que ses trois précédents opus où la radicalité des sujets savait se fondre avec l'apesanteur de la réalisation, le tout est suffisamment osé pour en faire une expérience de cinéma plus que défendable.

 

Résumé

Si Le Petit lieutenant fait craindre dans sa première partie une chronique sociale sans grande fantaisie, il se retourne comme un gant et prend aux tripes dans sa seconde moitié, se permettant au passage de casser habilement les codes de son genre.

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commentaires
Olivier637
02/07/2018 à 11:30

Très bon film. Même s il n arrive pas à la cheville de N’oublie pas que tu vas mourir, le chef d œuvre absolu de Xavier beauvois

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