Bholaa : critique d'un Assaut chaotique

Clément Costa | 4 avril 2023 - MAJ : 04/04/2023 12:27
Clément Costa | 4 avril 2023 - MAJ : 04/04/2023 12:27

Avec Bholaa, l’acteur et réalisateur Ajay Devgan nous promettait un blockbuster intense et spectaculaire. Est-ce que le cinéma indien nous offre la nouvelle claque de l’année après Pathaan ou s’agit-il d’une déception ?

ASSAUT : FURY ROAD

Aperçu brièvement en révolutionnaire martyr dans l’événement RRR de S.S. Rajamouli, l’acteur Ajay Devgan est une figure à part dans l’écosystème bollywoodien. Loin d’être un grand danseur ou de disposer d’un tempo comique remarquable, il est surtout célèbre pour sa façon d’incarner des héros sombres, mutiques et peu souriants. Il fait également partie des rares stars à vouloir passer derrière la caméra. Et même si ses trois réalisations précédentes ont échoué au box-office, il semblait bien décidé à inverser la tendance avec Bholaa.

Et pour ce nouveau projet, Ajay Devgan s’attaque à l’exercice délicat du remake. Il adapte en effet le film tamoul Kaithi sorti en 2019 et réalisé par le talentueux Lokesh Kanagaraj derrière Vikram. Le film d’origine reposait sur un concept particulièrement fort, tout le récit étant concentré en une seule nuit avec une narration découpée en deux axes principaux. D’un côté, une course-poursuite incessante à la Mad Max : Fury Road, de l’autre, une attaque de commissariat qui évoquait évidemment le classique Assaut de John Carpenter.

 

Bholaa : photoUn camion nommé désir

 

Le premier problème de Bholaa sera évident pour toute personne ayant déjà vu Kaithi : l’adaptation est beaucoup trop fidèle. On s’attendait logiquement à ce que la trame principale soit similaire. Cependant, le film va jusqu’à copier ligne par ligne certains dialogues en se contentant de les traduire du tamoul au hindi. Les rebondissements, le développement des personnages... tout ce qui se déroule à l’écran a un goût amer de déjà-vu.

Bholaa tente bien de modifier maladroitement quelques personnages secondaires, mais ne parvient pas à faire illusion. On assiste à une redite moins originale et beaucoup moins inspirée. La seule ambition que semble avoir le projet est d’avoir plus de budget et donc d’être potentiellement plus spectaculaire. Une manière pour Ajay Devgan d’avouer involontairement qu’il n’a pas compris ce qui fonctionnait tant dans le film d’origine.

 

Bholaa : photoDe la poudre aux yeux

 

Et c’est là tout le paradoxe de Bholaa, le long-métrage n’a pas compris Kaithi. Il copie son modèle sans en saisir la profondeur ni le symbolisme. Un exemple flagrant se trouve dans la séquence clé lors de laquelle le protagoniste explique ce qui l’a mené en prison. Dans la version d’origine, le cinéaste se contentait de filmer son héros en plan fixe. Un dispositif sobre, épuré, qui donnait la part belle à l’émotion. Incapable d’une telle finesse, Ajay Devgan y intègre alors un long flashback et une chanson romantique particulièrement malvenue.

Ces décisions ne font pas que gâcher l’expérience de ceux qui ont déjà vu le film d’origine. Elles vont totalement à l’encontre du récit. Bholaa sabote son unité temporelle et la tension qu’elle contenait. Il en sera de même pour la grande séquence finale qui se déroule en plein jour. Dans Kaithi, la nuit interminable traduisait toute la fatigue d’un héros brisé qui attend une aube paisible, mais semble condamné à la violence. Ici, le cinéaste semble simplement décidé à éclairer son final sans trop d’efforts, comme n’importe quelle production bâclée de Rohit Shetty.

 

Bholaa : photoUne romance totalement inutile

 

TROP C’EST TROP

Compte tenu de l’amour débordant du public indien pour les blockbusters spectaculaires, on peut comprendre pourquoi l’idée de transformer un petit film d’action modeste en machine commerciale a séduit les producteurs de Bholaa. Dans sa quête de sensationnalisme, le réalisateur tient particulièrement à faire des plans fluides et renversants. Cela passe en grande partie par une utilisation plutôt intéressante des drones. Une excellente idée pour retranscrire l’urgence et la vitesse, comme nous l’a récemment prouvé Michael Bay avec Ambulance.

Malheureusement, Ajay Devgan sabote là encore sa propre ambition en abusant des fonds verts et d’effets numériques peu convaincants. Le réalisme cru de Kaithi venait de la sensation d’immersion créée par les décors réels. On sentait la forêt dense se refermer sur nos personnages. À l’inverse, on ne croit jamais totalement au monde de Bholaa. Le film est coincé entre ses extravagances et l’envie de mettre un drame humain au cœur de son récit. On retiendra bien quelques séquences d’action, notamment celle du Trishula, mais l’ensemble manque de sensations fortes.

 

Bholaa : photoUne reconversion compliquée pour Aquaman

 

Autre parti-pris technique discutable, l’acteur et réalisateur développe une obsession presque parodique des ralentis et autres poses iconiques à la Zack Snyder. Difficile de nous investir émotionnellement pour ce héros infaillible et déifié alors que tout le suspense est censé être de savoir s'il peut survivre. L’ancien prisonnier se transforme en super-héros dans ce qui ressemble à un immense délire égocentré pour Ajay Devgan.

On notera par moments l’envie de créer un univers plus vaste pour les ennemis. Les gangs locaux sont remplacés par des méchants de plus en plus forts et extravagants. Une logique de jeu vidéo qui pouvait totalement fonctionner dans un film ouvertement outrancier. Mais là encore, cet entre-deux tiède empêche Bholaa d’être un réel plaisir décomplexé. Difficile de faire cohabiter l’enjeu intime d’un père qui doit survivre une nuit pour sauver son enfant et un ennemi mi-homme mi-robot sorti de nulle part.

 

Bholaa : photoCadeau de moi à moi, comment me remercier ?

 

EMPIRE OF LIGHT

Sous bien des aspects, Ajay Devgan est un honnête technicien en tant que metteur en scène. En revanche, la problématique qui semble se confirmer film après film est qu’il peine à s’entourer de talents qui correspondent à ses projets. Le compositeur Ravi Basrur en est un exemple frappant. Sa musique furieuse et assourdissante fonctionnait à merveille sur la saga K.G.F. Cette fois-ci, les pistes omniprésentes sont tout simplement épuisantes. Elles envahissent et expliquent le récit à tel point qu’on en vient à se demander si le réalisateur croit réellement en son histoire.

Côté casting, le constat est similaire. En rôle principal, Ajay Devgan fait un travail décent bien que loin d’égaler la performance originale de Karthi. Mais on constate tristement que même les immenses talents de Tabu et Deepak Dobriyal ne suffisent pas à sauver les meubles. Des acteurs de cette trempe méritent des rôles plus denses, plus nuancés.

 

Bholaa : photoQuand tu te demandes ce que tu fais là

 

On retiendra uniquement le toujours fiable Sanjay Mishra. Injustement habitué aux seconds rôles ingrats, l’acteur nous prouve une fois encore sa capacité à transformer en or à peu près tout ce qu’on lui donne. Il incarne cette fois-ci un personnage faillible, drôle à ses dépens, perdu au milieu du chaos. Au final, il apporte toute l’humanité dont le film semble cruellement dénué.

À défaut d’être la grande réussite que l’on espérait, Bholaa est un exemple type de ce qui peut pousser un blockbuster à l’échec créatif. Un long-métrage qui n’assume jamais totalement ses ambitions et ne parvient pas à faire des choix. S’il lui reste un mérite, c’est celui de nous rappeler à quel point Kaithi était brillant de bout en bout.

 

Bholaa : photo

Résumé

Remake peu inspiré, Bholaa est un blockbuster en pilote automatique. Le résultat manque d’âme, de créativité et de générosité. Mis à part quelques trouvailles sympathiques, on a surtout envie de retourner voir le film d’origine.

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commentaires
Pseudo2
04/04/2023 à 17:40

C'est toujours sympa dans une critique négative de conseiller un bon film !

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