Vikram : critique le bon, la brute et l'explosion

My multiverse of madness

Fraîchement débarqué dans les salles obscures, Vikram de Lokesh Kanagaraj était un des films les plus attendus de l’année pour le cinéma tamoul. Son premier argument de taille était évidemment son casting XXL. Réunir les trois monstres sacrés que sont Kamal Haasan, Vijay Sethupathi et Fahadh Faasil dans un seul et même projet relevait de l’exploit.

Et s’il y a bien un lien entre ces trois acteurs, c’est leur capacité rare à allier triomphe commercial et amour d’un cinéma plus expérimental. Vijay Sethupathi et Fahadh Faasil s’étaient d’ailleurs déjà croisés il y a trois ans dans Super Deluxe, exemple typique de ce que le cinéma indépendant tamoul offre de plus réussi. Enfin, le légendaire Kamal Haasan revenait après quatre ans d’absence, autrement dit une éternité pour les superstars indiennes qui enchaînent généralement deux à trois films par an.

Un retour qui ne sera pas de tout repos

Autre particularité du projet, Vikram s’inscrit dans ce que certains critiques appellent le LCU ou Lokesh Cinematic Universe. En effet, le réalisateur Lokesh Kanagaraj se crée peu à peu un univers étendu dans lequel toutes ses œuvres se croisent et se répondent, sans jamais être des suites directes. On croisera ainsi dans Vikram au détour d’une scène des personnages de son précédent film Kaithi.

L’avantage de ce procédé est qu’il récompense les fidèles du cinéaste sans pour autant perdre les novices. Passer à côté des références n’empêche en aucun cas d’apprécier le spectacle. D’autant que Kanagaraj pousse la référence à son paroxysme en allant chercher un personnage que le vétéran Kamal Haasan incarnait dans un film de 1986. On se retrouve dans une sorte de chasse au trésor de la pop culture indienne habilement dosée.

Where is Vikram Hyde ?

Ne coupez pas

Lokesh Kanagaraj n’en est peut-être qu’à sa quatrième réalisation, mais il se distingue déjà en tant que brillant technicien. Son savoir-faire pourrait être la définition même d’un cinéma populaire qui ne prend jamais son public de haut. Pour Vikram, il est allé chercher le directeur de la photographie Girish Gangadharan qui avait fait des merveilles sur Jallikkattu. Leur collaboration fait des étincelles et nous offre un film visuellement aussi exigeant que stimulant.

Non seulement les plans inspirés et iconiques s’enchaînent, mais on notera également un soin tout particulier accordé aux transitions. La caméra bascule, on change d’échelle de plan, la fumée d’une cigarette nous guide vers un autre décor. Le découpage et le montage redoublent d’ingéniosité pour parvenir à une forme de fluidité absolue de la narration.

Mettre le feu à l'écran

Le jeune prodige Anirudh Ravichander s’occupe de la bande-originale et signe une nouvelle réussite totale. En tout juste dix ans de carrière, Ravichander s’est déjà illustré dans trois industries cinématographiques différentes et signe une réussite de plus avec Vikram.

On regrettera cependant la chanson d’ouverture qui dénote avec le reste du film. L’esthétique y est trop lumineuse, la composition n’a rien de bien marquant. Mais difficile de blâmer Ravichander ou Kanagaraj tant cette séquence semble être un pur moment promotionnel. Il s’agissait clairement de capitaliser sur le grand retour de Kamal Haasan avec une chanson à sa gloire et non pas d’enrichir la narration.

Plomo o plomo

Triple dose

Comme souvent avec le cinéma indien, Vikram ne se limite pas à un genre. L’ambition est d’offrir un spectacle total qui mêle au moins trois univers. Tout d’abord un pur thriller. Les premières images affichent une esthétique sombre, pluvieuse, pesante. L’enquête est diablement efficace et nous offre une série de twists bien pensés. Pour un film durant près de 3 heures, il fallait absolument une écriture solide permettant de maintenir une telle tension.

Le grand méchant campé par un Vijay Sethupathi terrifiant tend vers le film de gangsters. Le personnage est clairement pensé comme une relecture locale de Pablo Escobar, jusqu’à faire référence au célèbre "plata o plomo". Mais plus qu’un simple copié-collé de Narcos, on a droit à un vrai antagoniste brutal et sadique. Le genre de méchants sanguinaires que l’on ne voit plus dans les blockbusters hollywoodiens à destination du grand public, trop frileux pour risquer de perdre les plus jeunes.

Indian Doll

Enfin, le dernier acte verse dans le film d’action spectaculaire. Et là encore, le pari est globalement très bien tenu. On retiendra un final aussi épique que chaotique, mais aussi la scène de l’agent Tina, une leçon d’action superbement chorégraphiée. Pour ne rien enlever au plaisir viscéral du spectacle, Lokesh Kanagaraj décide de privilégier les plans-séquences et évite le piège des coupes excessives.

Les dernières minutes servant uniquement à annoncer le prochain film du cinéaste relèvent quasiment de la scène post-générique et risquent de perdre le public non initié. Cela dit, le plaisir d’entendre rugir toute une salle de cinéma devant l’apparition surprise d’une nouvelle superstar ravira les fans.

S’il faudra par moments fermer les yeux sur quelques dialogues moralisateurs et des intrigues secondaires dispensables, Vikram n’en est pas moins une vraie réussite. La preuve que le blockbuster artisanal a encore de beaux jours devant lui.