Sentinelle Sud : critique qui passe l'arme à gauche
Sentinelle Sud attire l'oeil. Non content de rassembler plusieurs brillants comédiens français dont Niels Schneider, Sofian Khammes et Denis Lavant, le réalisateur Mathieu Gérault se penche sur la question des vétérans d'Afghanista, mais aussi des actions parfois problématiques d'un état-major rarement remis en question. Mais réussit-il à le faire avec le langage du cinéma ?
KILLING IN THE BLED
Niels Schneider et Sofian Khammes sont deux comédiens à part. Faux jeunes ayant tous deux dépassé la trentaine, leur jeu conserve une qualité versatile, une physicalité changeante, capable de les pousser vers des gouffres de vulnérabilité, ou des éruptions menaçantes.
Dans la peau de deux jeunes soldats de retour d’Afghanistan suite au massacre de leur unité, c’est précisément la tension que parvient à engendrer leur duo, tandis que chacun fait son possible pour garder au pied au sein d’une société qui n’a jamais voulu d’eux, et encore moins dès lors qu’ils incarnent jusque dans leurs traumas les impensés de la nation.
Crade and Furious
Car si autour d’eux, personne ne comprend, ne veut comprendre ou même savoir, de quoi relevait leur engagement, leur mission, ce déni généralisé va de pair avec les origines de chacun. Frères d’âmes avant de devenir frères d’armes, tous ont grandi dans la misère, dans une cité solidaire, mais malade, au sein de familles reconfigurées qu’on devine bienveillantes, mais dysfonctionnelles. Et c’est là la première réussite du film de Mathieu Gerault : une capacité tranchante à synthétiser des situations complexes, trop rarement représentées dans le cinéma français.
Ses cadres demeurent élégants, mais jamais placides, épaulés par la splendide photographie de Laurent Brunet. À deux, ils enregistrent quelque chose du désespoir pré-insurrectionnel, bruit sourd d’une partie de la population française. Faussement froide quand elle enregistre la langueur cafardeuse des étendues bétonnées, bouillonnante quand elle s’arrête sur des carnations, ou sur les éclats d’or qu’une lumière rasante disperse à travers les décors, la mise en scène rappelle les meilleures heures du polar populaire français, mâtinées de la colère sociale d’un Yves Boisset.
L'apéro des guerriers
GARDE A FOU
Contre toute attente, et en dépit de personnages très bien caractérisés, c’est du côté de l’intrigue que Sentinelle Sud a - nettement – plus de mal à convaincre. Les spirales dans lesquelles s’enchâssent ses protagonistes sont attendues. De la dépendance induite par la mutilation à l’hostilité croissante d’une institution désireuse d’effacer les traces de ses errements, jusqu’à un trafic aussi crapoteux que foireux, tout ou presque paraît terriblement attendu.
Et ce ne sont pas les nombreux seconds rôles, tous affûtés, qui pourront faire grand-chose contre les clichés qu'ils doivent nous servir tièdes. Un souci d’autant plus patent que dans son dernier tiers, le découpage semble soudain plus chahuté, comme si le film avait dû se débattre contre lui-même.
Une soignante qui aura peut-être besoin d'aide
On retiendra notamment les dernières confrontations avec l’officier interprété par Denis Lavant, qui s’articulent d’autant plus mal qu’elles souffrent d’une spatialisation curieusement flottante, qui confère au nœud dramatique de l’ensemble un regrettable sentiment d’amateurisme. C’est finalement la chair des personnages qui amène l’histoire à bon port, la capacité de leurs interprètes à laisser exploser les dilemmes qui les minent. Pour ses flous et ses quelques stéréotypes attendus, Sentinelle Sud propose des confrontations parfois saisissantes.
C’est toute la précision sociale du film, l’humilité avec laquelle il sonde un corps social souffrant, qui se révèle quand l’excellente India Hair confronte au détour d’un couloir grisâtre le vétéran qui a caressé l’espoir d’entamer avec elle un semblant d’histoire d’amour. Et si les dernières images du long-métrage laissent penser à un happy end, ce dernier ressemble à un piège, qui ne doit pas nous empêcher de voir que la sérénité retrouvée de notre anti-héros se sera payée au prix du sang et d’un bannissement symbolique.
Lecteurs
(4.4)07/05/2022 à 17:31
Le film ne m'attire pas du tout mais Neils Schneider est magnifique sur l'affiche (il semble magnifique tout court mais sur l'affiche c'est encore plus flagrant)
J'espère avoir l'occasion de profiter de son talent dans une production international.