Val : critique d'un film qui valait le coup

Simon Riaux | 3 février 2023 - MAJ : 06/02/2023 10:27
Simon Riaux | 3 février 2023 - MAJ : 06/02/2023 10:27

Comédien à l'ascension fulgurante, mais à la carrière chaotique, Val Kilmer fait partie de ces acteurs d'autant plus attachants qu'on les aura toujours sentis légèrement à côté de leur potentiel. Capable de transcender un second rôle comme de saboter un premier, accompagné d'une réputation d'artiste difficile à gérer, il nous propose aujourd'hui de revenir sur plusieurs décennies de son existence à l'occasion de Val.

BLAST FROM THE PAST

Dès son ouverture, difficile de ne pas vaciller devant ce que nous propose le documentaire introspectif concocté par Kilmer, ainsi que les deux metteurs en scène crédités au générique, Leo Scott et Ting Poo. L'artiste y rappelle qu'il a dû interrompre la tournée de la pièce qu'il avait écrite et qu'il interprétait, consacrée à la vie de Marc Twain, après le diagnostic d'un cancer de la gorge.

Les cordes vocales endommagées, dans la quasi-incapacité de parler, il a ressenti le besoin vital de s'exprimer, et a décidé d'ouvrir ses archives vidéo. En effet, depuis son enfance, Kilmer enregistre, chronique, capture son existence, privée et publique.

 

Val : photo, Val KilmerVal nous aura manqué

 

Courts-métrages d'enfance, évènements familiaux, trips hallucinés de jeune star à l'égo cosmique, essais filmés, ou quotidien de tournages tantôt pharaoniques, tantôt chaotiques... tout y passe. Le moindre élément de cette existence romanesque est remâché, redigéré par l'esprit, la mémoire et le vague à l'âme de Val Kilmer, qui livre sa vision de son parcours, de son existence, et donc d'Hollywood.

Il a confié la narration de l'ensemble à son propre fils, dont la voix demeure très proche de ce que fut la sienne. C'est dès les premières minutes de ce surréaliste exposé que le dispositif nous est dévoilé, qu'il nous est donné à comprendre les enjeux émotionnels colossaux que plusieurs de ses protagonistes investissent dans le projet.

Et le spectateur d'embarquer pour ce dédale qui n'est pas sans évoquer Tarnation de Jonathan Caouette, lui aussi vertigineuse exploration de la psyché de son auteur via la surface d'images intimes, ordonnées en maelstrom de cinéma. Sauf qu'ici, c'est avec l'égo, tantôt délirant, tantôt joliment accessible d'un comédien aux aspirations puissantes, contrariées et bientôt brisées que se débat le spectateur. 

 

Val : photo, Val KilmerItinéraire d'un enfant gâté

 

VAL FILMEUR

Ce dernier, cinéphile ou non, aura l'opportunité de plonger dans des coulisses de l'industrie telles qu'elles n'apparaissent à peu près jamais. En effet, les quantités de making-of qui auront fait les belles heures du DVD  auront beau avoir un peu levé le voile sur la fabrication des longs-métrages hollywoodiens, l'écrasante majorité est un assemblage d'images contrôlées, validées, jugées dignes d'être assimilées à du matériel promotionnel. Ce n'est jamais le cas ici, et on découvre bien les authentiques arrière-boutiques, où Kilmer promène son regard.

D'où un film qui déborde littéralement d'anecdotes, et nous fait croiser, parfois avec sidération, un Marlon Brando rêvassant sur le tournage apocalyptique de L'Ile du Docteur Moreau, quand on n'est pas soudain projeté entre deux prises de Batman Forever.

 

Val : photo, Val KilmerSouriez, vous êtes filmés avec de gros pixels

 

On pouvait redouter un collage d'éléments disparates, un proto-bonus sans grand intérêt outre celui de flatter les groupies de Kilmer, mais Val revêt une qualité plastique inattendue. Tourné pour l'essentiel avec des caméscopes dont la finesse de captation, les couleurs et les spécifications techniques sont depuis longtemps dépassées, il en vient à proposer, au sens strict du terme, une représentation à peu près jamais vue de la production hollywoodienne.

Ces plateaux d'ordinaire éclairés parfaitement laissent la place à de longues balades floues, ces entretiens millimétrés dont rien ne dépasse s'émaillent soudain d'un look curieusement craspec. Le sentiment de traverser le miroir du cinéma américain, pour la toute première fois, est une véritable surprise.

 

Val : photo, Val KilmerVal, il a un Top Gun et un super coiffeur

 

L'effet est tour à tour vertigineux et saisissant, tout autant qu'il donne à voir le ressenti d'un individu sur sa propre célébrité, sur l'électricité phénoménale qui l'accompagne. Et c'est là le plus intéressant de l'entreprise : donner à toucher du doigt comment Kilmer ne parvint jamais à rattraper sa carrière, quand il passa sa vie à courir après. De débuts parfois fracassants, en gros succès rarement à la hauteur des investissements placés en eux, le sentiment d'entrer au coeur d'une centrifugeuse qui ne laisse à l'individu embarqué dans son mouvement aucune possibilité de recul est simultanément tragique et terrifiant.

On pourra demeurer très extérieur à la vie intime de Kilmer, longuement évoquée, dans ses aspects dramatiques ou plus pittoresques. Mais à moins d'être d'emblée intéressé par le destin de l'artiste, voire d'en connaître déjà plusieurs clefs, ce n'est pas ce qu'on retiendra du métrage. Bien sûr, une disparition tragique, laquelle engendrera une absence qui hante tout le récit, aura de quoi émouvoir, mais le compte-rendu d'un mariage hollywoodien à la dérive provoque moins de questionnements.

Enfin, la part énigmatique de l'ensemble demeure la plus intéressante : l'acteur recrée-t-il une nouvelle vérité à l'aune de sa mémoire et des possibilités offertes par le matériel qu'il a amassé ? Ou témoigne-t-il honnêtement d'un passé surréaliste ?

 

Val : affiche

Résumé

En puisant dans ses incroyables archives vidéo, Val Kilmer a pu composer un long-métrage étrange, entre confession, documentaire et exploration poétique. Si seuls ses fans hardcore se passionneront pour le détail de sa vie, les spectateurs en général apprécieront le ton émouvant de l'ensemble, ainsi que l'illusion de traverser le temps d'un bref récit l'histoire.

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Lecteurs

(3.2)

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commentaires
dahomey
06/02/2023 à 14:04

quand on voit déjà la capacité malgré son égo à se moquer de lui même avec Top secret...si ca c'est pas culte aussi...

Zola
06/02/2023 à 03:24

Tout ce qui passe sur ARTE est en replaaaaaay +7 au moins d'office.
Les impots ça sert à ça aussi.
Bref, le Val il est génial dans The Doors et Heat;
et aprés c'est un secret de polichinelle qu' il avait pris un boulard pas possible....
C'est tout l'interet du doc justement malheureusement.
Comme Mickey Rourke quoi.
C'est quasimment un syndrome à Hollywood en faits.
Il s'est grillé tout seul en enchainant un mauvais Batman et surtout le Saint et Moreau.
C'est comme ça .... :'(

Hugo Flamingo
04/02/2023 à 20:15

Vu hier soir sur Arte (j'espère qu'il est en Replay car j'ai loupé les 20 premières minutes), quel documentaire cinématographique. Je vais payer pour voir le debut loupé, car c'était de la bombe.

galetas
04/02/2023 à 20:02

Je me rappelle toujours de ce passage à la fois délirant et tordant dans DR MOREAU, vêtu comme BRANDO d'une tenue cocasse , il se met à l'imiter et réciter ses longues tirades ésotériques à la PERFECTION. A croire qu'ils abusaient aussi de substances en salle de montage..

Tom’s
04/02/2023 à 13:04

J’oubliais ce passage où il simule un malaise devant la Caméra, non quel enfoiré lol

Tom’s
04/02/2023 à 13:02

Bouleversant, drôle, et je pense profondément honnête ds sa démarche, ce doc , son travail d’acteur, les extraits de l’île du Dr Moreau on vois clairement qu’il ne s’agit pas de caprices mais de l’insulte ressenti, quand Mme Brando est sur le plateau, Frankeneimer s’en tape œuvrant comme un mercenaire, mais pour moi les acteurs font bloc D.Thewlis inclus.

Ghob_
04/02/2023 à 08:48

Ca a l'air sympa, mais je paiera pas pour le regarder pour autant...
Après, vu de l'extérieur, je trouve que c'est une démarche intéressante et courageuse, surtout de la part d'un acteur qui est sur le déclin de sa carrière et qui sait pertinemment qu'il n'aura plus rien à attendre du cinéma à partir de maintenant. Et en ce qui me concerne, Val Kilmer est pour moi rattaché à beaucoup de grands moments/découvertes cinéphiles. Batman Forever (que j'avais vu au ciné à l'époque), The Doors (il est juste énorme, dans celui-là, associé à toute la folie du Oliver Stone de l'époque) ou bien Heat, qui est resté des années durant mon film préféré : dans ces ces quelques rôles, mais tant d'autres aussi à côté, Kilmer a brillé et donné une réelle identité aux personnages qu'il incarnait... (Je pourrais même parler de sa prestation "fantôme" et pourtant impeccable du Elvis fantasmé de True Romance, qui reste pour moi l'un des films les plus Kultes des années 90, avec un K majuscule, oui messieurs dames !).
Willow, Top Gun et compagnie, je les ai découverts sur le tard, donc ils ne font pas partie de mon patrimoine ciné perso, mais pareil ça a été un plaisir de le découvrir dans ces rôles, qui ont marqué sa carrière mais qui donne aussi à son CV des allures plutôt atypique, car il ne restait jamais sur un même type de rôle, en touchant à des genres très différents à chaque fois. Bien sûr, c'était une "belle gueule" et il était souvent embauché pour ça, mais pas que. Et c'est cette petite nuance et ce soupçon d'authenticité qu'il ramenait avec lui qui faisait tout le sel de ses prestations. Et comme dit dans l'article, effectivement c'est un acteur qui manque, dans le paysage audiovisuel actuel...

Quand bien même j'ai jamais été spécialement fan de Top Gun, je dois néanmoins avouer avoir eu la petite larmichette, dans cette courte scène qu'il partage avec Cruisy dans Maverick : tout cela est amené avec beaucoup d'humanité et de justesse, cette relation que les deux persos entretiennent et comment celle-ci a évolué sur la durée. Sans un acteur avec un minimum de "chair" et de présence, cela aurait pu être raté, mais encore une fois ici il crée l'émotion, sa maladie (et handicap) étant nouée aussi bien au personnage qu'au comédien qui l'interprète et il en joue parfaitement en trouvant la distance adéquate pour aborder le sujet. Et pour faire passer tout ça, même sans jouer sur l'affect du spectateur, bah il faut quand même un minimum de talent...

JR
22/03/2022 à 11:46

Idem, profondément ému pendant et après le film. C'est vertigineux de voir les années passer ainsi. Il y a une paix incroyable qui se dégage du doc, qui parle de cinéma puis bifurque sur quelque chose de plus philosophique.
C'est tout simplement beau.

Le Père Ennec
12/02/2022 à 00:01

Première fois que je post un message sur écran large alors que j'y passe un temps non négligeable depuis plusieurs années.
Première fois que je dépense de l'argent pour acheter un film en ligne.
Val est une icone de mon enfance, Willow, l'ombre et la proie, les doors & heat sont des films qui ont façonné mon imaginaire de cinéphile.
Dans ce documentaire, le temps d'un moment vous découvrez l'histoire d'un homme, ses forces & faiblesses, son intimité, ses drames & la poésie qui l'habite.
Ce film m'a touché, profondément ému, il n'est a pas exempt de défauts mais c'est peut-être ce qui en fait sa beauté, il me semble juste être honnête & sans filtre.
J'en ressors profondément troublé, chose qui ne m'étais pas arrivé depuis longtemps devant un film.
Je vous le conseil vivement à vous qui avez rêvez gamin devant ses films et à vous autres qui ne le connaissez pas ou peu. Il s'agit d'une tranche de vie, brute et sans artifice, une vie extraordinaire, parfois magique émouvante ou dramatique.
Un vrai film coup de poing...

Pseudonaze
22/01/2022 à 17:57

Formidable potentiel entra perçu dans des œuvres comme cœur de tonnerre, top secret, the Doors et bien sûr Heat pour ne citer que ceux là.
Malheureusement gâché par des envies de star system

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