Jagga Jasoos : critique du Tintin indien sur Netflix

Clément Costa | 11 janvier 2022
Clément Costa | 11 janvier 2022

À la croisée des chemins entre un Sherlock Holmes en herbe et un Tintin sans Milou, la filière indienne de Walt Disney nous propose Jagga Jasoos : un mélange d’enquête, d’aventures, d’action…le tout en chanson. Une expérience aussi radicale qu’efficace à rattraper sur Netflix.

ON A MARCHÉ SUR BOLLYWOOD

Dans sa logique de conquête du monde entier et de rachat d’à peu près tout ce qui peut rapporter au box-office, Walt Disney vise également l’Inde depuis quelques années. Sans draguer Bollywood autant que le marché chinois, la firme aux Grandes Oreilles a tout de même coproduit plusieurs films locaux visant à séduire un très large public familial.

De cette ambition est né Jagga Jasoos, long-métrage qui était vendu comme un Tintin indien qui enchanterait les petits et les grands. Sur papier, le film avait tout pour être un divertissement lisse et calibré sur mesure pour plaire au plus de monde possible. Dans les faits, le cinéaste acclamé Anurag Basu en fait une œuvre unique, parfois déstabilisante, mais toujours emballante.

Avec Jagga Jasoos, on suit l’histoire d’un jeune orphelin nommé Jagga (Ranbir Kapoor) qui a deux particularités. Premièrement, son sens de l’observation extrêmement développé et sa curiosité à toute épreuve font de lui un détective en herbe redoutable. Deuxièmement, il est incapable de communiquer sans bégayer. Jagga s’exprime donc presque uniquement par le chant. Accompagné d’une journaliste malchanceuse mais téméraire, il se lance dans une enquête à portée internationale qui leur fera vivre des aventures toutes plus folles les unes que les autres.

 

Jagga Jasoos : Katrina Kaif, Ranbir KapoorKatrina Kaif et Ranbir Kapoor

 

Comme le suggère ce résumé, Jagga Jasoos a la particularité d’être un film musical. Bien évidemment, le cinéma indien est souvent accompagné de chansons, mais celui-ci est une réelle exception dans l’univers Bollywoodien. On ne parle pas de chansons extra-diégétiques ou de séquences fantasmées. Dans Jagga Jasoos, à l’image du Annette de Leos Carax, tout se chante.

Le journal télévisé parle d’un trafic d’armes qui menace la politique mondiale ? Faisons-le en chanson ! Jagga résout un meurtre ? Son grand moment d’explication façon whodunnit est en chanson. Et plus les personnages côtoient Jagga, plus ils se mettent eux aussi à chanter, comme contaminés par sa fièvre musicale. Le film s’ouvre même sur une chanson décalée qui invite le spectateur à éteindre son portable et à oublier les réseaux sociaux pour profiter du spectacle. Si le parti-pris pourrait refroidir, la musique de Pritam et Anirudh Ravichander dégage une telle énergie qu’elle pourrait bien surprendre les plus sceptiques.

 

Jagga Jasoos : photoBollywood n'a qu'à bien se tenir

 

THE INDIAN DISPATCH

Une fois la surprise initiale dépassée, Jagga Jasoos déploie son univers visuel singulier. Le réalisateur l’avait déjà prouvé avec son précédent film Barfi ! – déclaration d’amour au cinéma de l’Âge d’Or truffée de références qui en faisait une sorte de The Artist indien en bien plus inventif et ludique –, son cinéma est avant tout esthétique. Se joue alors devant nos yeux un spectacle qui ne peut qu’émerveiller.

Dans sa rigueur, ses explosions de couleurs vives, son inventivité et son perfectionnisme, la plastique de l'univers de Jagga Jasoos n’aurait pas à pâlir face aux meilleures œuvres de Wes Anderson. Réussir à proposer un tel travail d’artisan dans ce qui était censé n'être qu'un sympathique divertissement enfantin relève déjà de l’exploit.

De plus, le film est toujours animé par une générosité folle à l’enthousiasme communicatif. On le ressent notamment dans les transitions de registres. La première partie se concentre essentiellement sur deux chapitres qui offrent des enquêtes plus courtes ainsi que le récit d’origine de notre héros. L’occasion de s’attacher à notre jeune Sherlock avant de l’envoyer vivre des aventures trépidantes.

 

Jagga Jasoos : Katrina Kaif, Ranbir KapoorJungle Cruise ?

 

La seconde partie crée une bascule narrative en espaçant les moments musicaux pour se concentrer sur le grand spectacle. Le réalisateur se veut le plus créatif et surprenant possible avec une course-poursuite à dos d’autruche, une course contre la montre entre un biplan et une locomotive à vapeur, entre fantaisie et anachronismes, le monde de Jagga Jasoos est résolument unique.

Entre fusillades improbables, comédie slapstick, investigation auprès de méchants très méchants, voyages merveilleux, l’esprit de Tintin n’est jamais très loin. Au point même de détourner la célèbre houppette du reporter créé par Hergé en version décoiffée et chaotique collant un peu mieux au personnage de Jagga.

 

Jagga Jasoos : Ranbir KapoorTintin, la relève

 

ÉLÉMENTAIRE MON CHER JAGGA 

Cependant, une des forces majeures de Jagga Jasoos est aussi sa limite. Après un premier acte enchanté dans lequel tout semble réfléchi à la rime près, le film perd de sa magie et de sa cohérence lorsqu’il délaisse le musical pour offrir une narration plus classique. Là où la résolution de l’enquête devrait nous mener vers un feu d’artifice final en apothéose, on se perd dans un récit plus confus, qui ne sait pas toujours sur quel pied danser – à l’image de l’improbable chanson moralisatrice sur le trafic d’armes expliqué aux enfants qui rappelle les heures les plus sombres de Sonic Va Vous Causer.

Un problème de ton qui trouvera son paroxysme dans le cliffhanger final sorti de nulle part, qui n’a pour seul objectif que d’afficher la volonté des producteurs de lancer une franchise… Et cela n’a rien de surprenant quand on connaît les conditions de production du film.

 

Jagga Jasoos : photoUne aventure semée d'embûches

 

Alors que son tournage avait débuté en 2014 en Inde, Jagga Jasoos ne sortira pas sur les écrans avant 2017. En trois ans, le tournage sera un véritable cauchemar : séparation à la ville du couple de stars à l’écran, reshoots imposés par la production qui jugeait le produit initial trop peu accessible pour le jeune public, un rôle secondaire important totalement coupé au montage suite au départ ultra-médiatisé d’un acteur… Pas étonnant qu’on se retrouve avec un film malade, parfois inégal et au rythme traître.

Cela dit, quand on connaît les circonstances de production, le résultat qu’est parvenu à obtenir Anurag Basu n’est en que plus impressionnant. Malgré tous ses bégaiements, Jagga Jasoos reste un vrai divertissement plein de sincérité, qui ne demande qu’à nous émerveiller autant qu’il semble l’être devant ses personnages fantasques.

Après un flop box-office initial lors de sa sortie en salles – qui a condamné les espoirs de franchise de Disney – le film est déjà largement réhabilité en Inde. Grâce à Netflix, il est grand temps que le public français se lance à son tour dans l’aventure.

Le film Jagga Jasoos est disponible sur Netflix.

 

Jagga Jasoos : affiche

Résumé

Jagga Jasoos est ludique, divertissant et visuellement sublime. Malgré sa seconde partie moins maîtrisée et son parti-pris musical surprenant, le film a tout pour conquérir les grands enfants en manque de cinéma d’aventures sincère et passionné.

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commentaires
Kouak
11/01/2022 à 19:05

En réalité le seul chant dans Minnal Murali c'est... "Vive le vent d'hiver"... Ce qui m'a un peu désemparé...


11/01/2022 à 17:53

@Kouak : Merci pour le retour, ravi d'avoir pu partager ces belles découvertes ! Baahubali c'est tellement généreux, autant assumer le plaisir ;)

@Numberz : Pour Jagga Jasoos ça peut refroidir un peu, mais contrairement à la croyance populaire les chansons dansées se font de plus en plus rares dans le cinéma indien ! Minnal Murali dont on parlait la semaine dernière ne contient aucune séquence dansée par exemple.. C'est presque devenu la norme.

Kouak
11/01/2022 à 15:35

@Numberz : Rien du coté de Minnal Murali...Et très peu (mais surtout très courtes scènes) dans
Baahubali...
Bollywood ce n'est pas Tollywood ou Mollywood... ;-)

Kouak
11/01/2022 à 15:29

Hello...
Je remets ici ce que j'ai écrit dans l'article sur Minnal Murali, qui s'est perdu dans les abysses du site...
Merci pour le tuyau Baahubali, mister Costa !! J'ai dévoré les 2 opus ce week-end et je me suis régalé...
Et j'assume complètement... ;-)
(A voir en hindi parce-que les sous-titres de la version anglaise sont à CH***)
Minnal Murali : Un régal également...

Numberz
11/01/2022 à 14:35

C'est le souci avec ces films. J'aimerais en regarder, comme celui avec le super héros. Mais y a toujours des moments de danses où ce n'est pas possible pour moi.

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