Ammonite : critique du portrait de la jeune fille à l'anglaise sur Canal+

Salim Belghache | 7 juillet 2021 - MAJ : 07/07/2021 18:19
Salim Belghache | 7 juillet 2021 - MAJ : 07/07/2021 18:19

Présent dans le Label Cannes 2020 du festival avorté pour cause de Covid, Ammonite est la seconde réalisation de Francis Lee. Le jeune cinéaste avait déjà réussi une belle entame de carrière avec son portrait d’une romance entre deux hommes dans Seule la Terre. Cette fois, c’est en compagnie de Kate Winslet et de Saoirse Ronan que l'Anglais retrace dans l’Angleterre du milieu du 19e siècle, la romance fictionnelle de Mary Anning, paléontologue de renom, et de Charlotte, une femme de la ville en convalescence. Privé de sortie cinéma en France, le film est diffusé directement sur Canal+.

Portrait de la jeune fille en feu le retour

Les esprits malins iront directement vers une comparaison évidente, mais en partie inexacte, avec Portrait de la jeune fille en feu (notre critique). Prix du scénario au Festival de Cannes en 2019, le long-métrage de Céline Sciamma, porté par Adèle Haenel et Noémie Merlant, avait également mis en exergue une relation homosexuelle aux siècles passés. Époque où les conventions sociales et amoureuses étaient largement plus coercitives et normatives qu’aujourd’hui (en théorie, entendons-nous bien).

Effectivement, Ammonite présage avec subtilité une mise en contexte d’un monde dominé par les hommes dès la première séquence. Elle s’organise autour d’une figure féminine assignée à nettoyer le sol, à se “pousser” pour laisser passer les hommes et à s’effacer du cadre pour laisser place à la découverte de ses messieurs. Toutefois, au-delà de l’asymétrie des places accordées aux femmes par rapport aux hommes, la dimension sociale et économique apporte une dureté supplémentaire à l’exercice de domination de ces bonhommes. 

Et alors que le film de Sciamma mettait davantage en évidence l’émancipation de deux femmes face au modèle patriarcal traditionnel, Ammonite réussit le tour de force de mêler plusieurs lignes de combats idéologiques qui n’empiètent pas non plus sur la libération amoureuse et sexuelle des deux femmes, ni sur le récit plutôt bien structuré du long-métrage.

 

photoIls ont même mis un fleuve pour être associés au film de Céline Sciamma

 

Justesse et sans précipitation

En effet, Francis Lee, précédemment salué pour son premier film Seule la Terre (notre critique), s'attèle avec une assez grande justesse à montrer l’écart social entre les deux femmes et la distinction des corps de ses interprètes féminins. D’abord, en discrétion et élégance, le réalisateur accorde un soin particulier à filmer Kate Winslet au travail. Véritable moteur de la vie de son personnage, la mise en lumière des efforts physiques et mentaux offre une grande force à ce personnage et le définit dans l’espace social, a contrario de Charlotte, issue de la ville et sous la tutelle de son mari.

Néanmoins, ces champs contraires trouvent à se lier par la sexualité et également par l’effort considérable de Charlotte pour s’associer à la rigueur de Mary lorsque ces dernières vont, par exemple, extraire ensemble une lourde pierre et trouver un fossile. Et même au niveau de l’attraction des corps, les différences physiques entre une femme fatiguée par le travail et une femme entretenue forment l’attraction sensuelle et érotique entre ces deux personnages. Dans ce cas précis, les choix de Kate Winslet et de Saoirse Ronan au casting sont plutôt en la faveur de Francis Lee, qui apporte une certaine pudicité à filmer ses comédiennes avec courtoisie. 

 

photo, Kate Winslet, Saoirse RonanLe travail c'est la santé

 

Ainsi, Ammonite parvient à poser très précisément la problématique du regard. Le cœur même de la réussite de ce projet est le fait qu’il interroge la représentation d’une romance lesbienne en se confrontant directement à des questions de mise en scène, de place que l’on donne à la caméra. Cette position du regard se retrouve assez judicieusement dans les scènes de sexe qui ne viennent pas combler un désir libidineux de son auteur, mais cherchent plutôt à capter l’hésitation, l’envie de donner du plaisir à l’autre, mais aussi la peur enfouie que tout s’arrête.

Malgré quelques écueils et un certain académisme dû à l’univers victorien, Francis Lee capte, avec Ammonite, les non-dits et maîtrise à merveille les séquences muettes où d’autres cinéastes auraient ajouté une ligne de dialogue pour faire passer le temps. Vers la fin du film, une des répliques de Mary vient d'ailleurs livrer un touchant rappel sur les passés amoureux secrets. Une manière de montrer la difficulté d’évoluer dans cette société en tant qu’homosexuel(le)s et le chemin sévèrement périlleux qui les attend pour tendre vers l'épanouissement sentimental.

Ammonite est disponible sur MyCanal à partir du 7 juillet 2021

 

Affiche US

Résumé

L'ensemble cohérent avec le coeur de son sujet fait d'Ammonite une jolie réussite, malgré son trop grand académisme. Il n'en est pas moins agréable de voir l'humilité et la justesse d'un cinéaste plein de promesses.

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commentaires
manolita
19/02/2023 à 15:31

Très bon article

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