Portrait de la jeune fille en feu : critique cramée

Simon Riaux | 8 septembre 2021
Simon Riaux | 8 septembre 2021

Portrait de la jeune fille en feu, ce soir à 20h55 sur Arte.

Depuis le très remarqué Naissance des pieuvres, le cinéma de Céline Sciamma n’a de cesse de grandir en ambition, en puissance dramaturgique et accomplissements plastiques. Avec Portrait de la jeune fille en feu, récompensé du prix du scénario à Cannes, elle fait office de sérieuse concurrente aux plus hautes distinctions et pourrait bien représenter la France aux prochains Oscars.

IRRIDESCENCE DES PIEUVRES

Une peintre est chargée de réaliser le portrait d’une jeune femme de bonne famille, fraîchement sortie du couvent et sur le point d’être mariée, en dépit de ses réticences. Entre les deux femmes croît bientôt une relation passionnée. Plus qu’un instantané de fièvre amoureuse, le récit de Céline Sciamma choisit un angle plus éminemment mental, en s’attachant à chroniquer le souvenir d’un amour, l’empreinte intellectuelle d’un lien indéfectible.

 

Photo Adèle HaenelAttention, ça brûle

 

C’est ce qui de prime abord, avant que l’oeuvre passionne et enivre, peut rebuter, ou à tout le moins questionner le spectateur. Construit autour de deux axes, soit la progressive montée du désir puis une volcanique communion, Portrait de la jeune fille en feu fait oeuvre de pensée, oeuvre d’écriture et d'une précision terrassante.

Fréquemment, les somptueux dialogues de  Sciamma évoquent la précision cristalline des haïkus, quand la géométrie harmonieuse du cadre rappelle la palette émotionnelle du cinéma d’Ozu. Des choix qui éloignent le métrage des attendus du mélo passionnel (une pente que n’emprunte jamais le film), préférant déployer un langage qui privilégie l’introspection, la politique et le dialogue avec le spectateur.

 

Photo Adèle Haenel Adèle Haenel

 

BIG BANG DE FILLES

À l’évidence, le sujet est pour la cinéaste l’occasion de se livrer à une profonde réflexion sur son rôle, la relation qui l’unit à Adèle Haenel et la mission esthétique qu’exige tout acte de mise en scène. D’une toile passée à l’eau d’un coeur symbolique dévoré par les flammes ou d’un échange puissant au sujet de la peinture des hommes, Sciamma multiplie les trouvailles et les accomplissements, transformant son récit progressivement en volcan politique sur le point d’exploser. Grâce à des personnages parfaitement interprétés, un découpage exigeant et chirurgical, la cinéaste réinvestit des schémas aussi classiques que les rapports de classe, l'attraction ambivalente entre Pygmalion et muse, pour enfin sonder avec une énergie nouvelle la puissance émancipatrice d'un amour interdit. 

Sans jamais céder au pensum politique, ou au commentaire opportuniste de l’actualité, Portrait de la jeune fille en feu explore les problématiques qui traversent actuellement le corps social, de la représentation des femmes, en passant par la domination qu’une société conçue contre elle leur inflige. Avec une exigence cinématographique qui ne se dément jamais et une pertinence sans cesse renouvelée, le métrage s’impose comme un des films les plus flamboyants de l'année 2019, jamais écrasé par sa folle ambition d'établir un renouveau du regard féminin par l'image.

 

Affiche française

Résumé

Avec une intelligence de chaque instant, Céline Sciamma interroge la nature de la passion amoureuse et la question du regard au cinéma. Elle livre une romance réflexive de prime abord, un geste de mise en scène et d'écriture formidablement abouti.

Autre avis Alexandre Janowiak
Avec Portrait de la jeune fille en feu, Sciamma dessine avec simplicité et préciosité une relation brûlante, vibrante et indélébile, magnifiée par son parfait duo d'actrices. L'émotion arrive peut-être tardivement mais explose dans un final ravageur et hiémal. Déchirant.
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Lecteurs

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commentaires
Peintagruel
23/01/2024 à 04:16

Un très beau film, à l'écriture exigeante (certains échanges sont d'une qualité littéraire fulgurante), à l’esthétique soignée et à la composition magistrale. Le feu qui couve à l'intérieur de ces personnages, magnifiquement interprété par un trio d'actrices habitées, perce parfois tout en retenue, parfois en éclatant abandon. Mention spéciale à Luàna Bajrami, dont le petit rôle crève pourtant l'écran.
L'issue est inexorable, frustrante ou injuste sans doute, mais le pathos n'a pas sa place : "on ne vous enlève pas le tango que vous avez dansé" dit le proverbe ; ici, l'amour impossible qui est fugacement vécu continu à vivre dans ses 2 protagonistes et couve longtemps après son embrasement, mais ne laisse pas qu'une brûlure, mais un feu qui vous meut et peut ponctuellement se ranimer. Chaque image est un tableau : tantôt peinture bourgeoise, marine, nature morte, nu, néo-classique ou romantique, voir onirique et convoque ses grands thèmes (l'eau, la femme et la mort ; les thèmes mythologiques ; Ophélie...) c'est un régal qui offre quelques pistes et regards complémentaires au spectateur, comme dans le cinéma de Peter Greenaway. Le tout est porté par une photographie, un sens de la composition et de la colorimétrie consommé et aboutit. Oui, Céline Sciamma est une grande réalisatrice.

Chris11
19/01/2024 à 07:57

Enfin vu en entier.
Bordel, 2h de perdues. Que c'est mauvais, à ce point là ça frise le génie. C'est ça le renouveau du cinéma français ? C'est ça la banderole du féminisme 2.0 ? Ca donne furieusement envie de revenir au patriarcat et de renvoyer bobonne à la cuisine. Pas besoin d'ennemis à ta cause quand tu as des "alliés" comme ceux là.
Dialogues aussi intéressants qu'un bottin téléphonique et énoncés avec le rythme d'un épisode de Derrick. Sauf qu'il ne suffit pas de chronométrer 10 secondes entre chaque réplique pour donner un effet lent et intense. Surtout pour dire des platitudes.
Adele Haenele est une actrice? Sérieusement? Elle ne joue même pas mal, elle ne joue PAS, elle élucubre ses dialogues avec l'émotion d'une chaise de cantine. Elle a quitté le cinéma? Un éclair de lucidité sur ses talents qui existent sûrement, mais ailleurs. Elle manquera autant au cinéma qu'un congélateur sur la banquise.
Noémie Merlant, quel drame, Noémie Merlant si fascinante dans les Olympiades, seule lueur d'espoir dans L'innocent, elle émet dans ce film autant de de vie qu'un poisson sur un étal de marché.
Seule la photo est belle, et de temps en temps la mise en scène est top (les ombres dans la nuit, Noemie Merlant devant l'âtre du feu...), mais par ailleurs, ça devient tellement ridicule (les apparitions en fantôme/robe de mariée) qu'on se p*sse dessus de rire. Ca m'a rappelé les pièces de théatre du collège, effets spéciaux compris.
Ce film est au féminisme lesbien ce qu'est un kebab de quartier fermé pour raisons sanitaires à la gastronomie, une injure et une insulte. Je vais vraiment espérer que ce film a été récompensé par souci de complaisance politique.

Chris11
09/09/2021 à 20:40

J'ai juste vu 5 min du film, et je ne prétendrai pas en faire un avis de tout le film. Mais c'était 5 min parfaitement représentatives du pompeux sublimé de vide et de faux chic bobo (un dialogue sur la peinture entre Haenel et une brune). Pas évident que j'essaye un jour de tout regarder.

Greta Whore of Babylon
09/09/2021 à 12:31

ah mais je mes souviens que les les comiques de l'epoque "les Inconnus" debut annees 90 avait un sketchoù ils parodiaent la Critique et un certain cinoche qui se la raconte ;;;dans le sketch "cinema cinema" avec Toscan s'estplanté" face à Henri Papier::donc le film de Miline de Gwenalou intitule "amour, dereliction et doutage",
du Cinema d'intellos QI 150, "Bouleversifiant" comme dirait Toscaj s'est planté

Sofi
08/09/2021 à 19:34

Belle photographie mais le jeu et le placement très théâtral et poseur des actrices m’ont laissé devant un bel objet sans vie ni fièvre. Du cinoche bien élevé et sans rage. Très tendance dans notre époque moralement javelisée.

De passage
14/06/2021 à 22:53

Revue ce soir pour la quatrième fois au moins. Ce film est lent, peut être ennuyeux et n'est pas forcément mon "style" au départ.
Et pourtant, pour moi, c'est un chef-d'œuvre, l'un des plus beaux films sur l'amour.
Les 35 dernières minutes sont émotionnellement dévastatrices.
Retournes toi.

lyd29
24/02/2021 à 03:19

Extraordinaire !Un chef d'œuvre ! vue revue et revue encore et encore , avec toujours le même plaisir .

Kyle Reese
21/05/2020 à 15:39

Je rejoins Holly Boddy.

Fascinant en effet, jusqu’à un certain point quant même, à un moment ça fatigue.

Sinon toujours pas vu le film car l’histoire autour d’Adele H au moment des Césars avait un peu refroidi mon envie de le voir. (Alors que j avais défendu son courage lors de ses révélations de harcèlement sexuel)

Bref il est peut être temps de le découvrir enfin.

Holly Body
20/05/2020 à 12:25

Fascinant comme une simple critique positive sur un tel film offre une énième occasion à quelques uns d'étaler, encore, leurs petites obsessions et autres blocages profonds sur le monde. Qui fait que s'ils aiment pas/n'ont pas envie de voir/n'ont pas envie d'aimer, ça met forcément en jeu la limite intellectuelle d'autrui et un mal-être politique au-delà de leur nombril.

Dirty Harry
20/05/2020 à 12:11

Déjà qu'avec le pitch on a envie de se faire Conan le Barbare ou Robocop à la place...mais en plus vos critiques (bien rédigées tout ça, on sent que vous appréciez pour pas passer pour les néandertaliens que nous sommes, nous les êtres inférieurs n'habitant pas l'urbanisme aux trottoirs inclusifs et à la nourriture sans gluten !) donnent l'envie de fuir ce film autant qu'une réunion de dépressifs constipés : "l'émotion arrive peut être tardivement" (oula on sent qu'il faut se forcer à se sentir concerné par cette histoire pour avoir son biscuit) "préférant déployer un langage qui privilégie l’introspection, la politique et le dialogue avec le spectateur" : oh punaise là tu sais que James Cameron te manque déjà !

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