Promising Young Woman : critique Barbie Vengeance

Geoffrey Crété | 31 mai 2022 - MAJ : 11/08/2023 19:17
Geoffrey Crété | 31 mai 2022 - MAJ : 11/08/2023 19:17

Carey Mulligan part à la chasse aux hommes dans Promising Young Woman, en salles dès le 26 mai en France. Vue en actrice notamment dans la série The Crown, et productrice-scénariste de la série Killing Eve, Emerald Fennell marque ici ses premiers pas comme scénariste et réalisatrice, avec à la clé l'Oscar du meilleur scénario original. Et ce premier film avec un gros casting de seconds rôles (Bo Burnham, Alison Brie, Connie Britton, Alfred Molina, Adam Brody, Laverne Cox) mérite le détour.

RAGE AND REVENGE

Depuis les années 70, le refrain du film dit de rape and revenge est bien connu : un personnage féminin est violemment agressé, violé et laissé pour mort, puis se relève, et se venge. De La Dernière Maison sur la gauche à Hard Candy, en passant par L'Ange de la vengeance et Irréversible, il y a un autre point commun quasi inévitable dans le genre : un homme derrière la caméra, et le scénario. Est-ce un problème ? Non. Est-ce un problème que ce soit la norme ? Oui.

Promising Young Woman se pose donc comme une nouvelle exception, après notamment Revenge de Coralie Fargeat ou The Nightingale de Jennifer Kent. Et c'est d'autant plus remarquable que c'est le premier film écrit et réalisé par Emerald Fennell, qui avait jusque là évolué entre ombre (showrunneuse de la saison 2 de Killing Eve) et lumière (actrice dans les saisons 3 et 4 de The Crown). C'est en partie grâce à une autre actrice que le film a vu le jour, avec Margot Robbie, productrice via sa boîte LuckyChap Entertainment. Carey Mulligan était la dernière étoile à s'aligner pour lancer la machine.

 

 

Autre différence avec les codes du rape and revenge : ici, le viol a déjà eu lieu, et la mort est déjà derrière. C'est la dernière partie, la vengeance, qui occupe toute l'attention. Une vengeance d'abord aveugle et insidieuse, puis frontale et chirurgicale, avec une héroïne bulldozer derrière ses airs de petite chose. Soit la parfaite image d'un premier film (d)étonnant.

 

Promising Young Woman : photo, Carey MulliganCassie, une amie qui vous veut du bien

 

pop sonde

C'est un film de vengeance, mais sans boucherie. C'est une histoire profondément noire, mais régulièrement drôle. Ça flirte avec la comédie romantique, mais ça finit presque en film d'horreur. À la manière de Cassie, qui piège les pires hommes en endossant le rôle de demoiselle alcoolisée, Emeral Fennell a conçu Promising Young Woman comme un reflet de son époque - trompeur, déformant, coloré.

Des costumes ultra-sexualisées de son héroïne (qui utilise un tuto YouTube pour avoir "une bouche à pipe", avec la réalisatrice dans le rôle de l'influenceuse) jusqu'à l'utilisation décalée de tubes (des reprises de It's Raining Men et Toxic de Britney Spears), Promising Young Woman défile comme un pur produit de pop culture, mais avec le regard de quelqu'un qui la connaît, l'aime, et l'interroge. La caractérisation de Cassie, avec sa longue chevelure blonde, ses bonbons et sa chambre d'éternelle adolescente, invoque tous ces clichés familiers, ici pervertis par la réalisatrice et scénariste.

Promising Young Woman avance sur une corde raide, avec des ruptures de rythme et un sens du décalage qui donne autant envie de rire que de trembler - et les deux sont intentionnels. Emerald Fennell reprend les codes de la comédie romantique (parenthèse musicale sur Paris Hilton, montage mignon et déclaration d'amour irrésistible), puis les atomise. Elle se paye Adam Brody, Alison Brie, Max Greenfield ou encore Christopher Mintz-Plasse dans des petits rôles, mais pour se jouer de leur image associée à des séries ou films populaires. Et jusqu'à la dernière scène, l'effroi le dispute au sourire.

 

photo, Carey MulliganThe Simple Life

 

LA BLONDE CONTRE-ATTAQUE

La réalisatrice s'empare avec malice de ces codes pour mettre en scène les rapports femmes-femmes avec une violence sourde. Et si la construction est parfois bancale (l'intro laisse planer un doute sur la réalité du piège de Cassie, mais le mystère est dissipé juste après), il y a une volonté claire et nette de ne pas simplement tracer de ligne facile entre les deux camps. Ce n'est pas un hasard si l'histoire désigne aussi deux femmes comme coupables : la responsabilité est collective, et Promising Young Woman fonce dans le tas.

Le manque de subtilité du scénario va de pair avec son aspect ludique assumé (le découpage en chapitres notamment), qui pourrait malheureusement masquer la finesse de certains partis pris. Car le mode opératoire de Cassie repose sur une idée terriblement simple : la peur doit changer de camp. Pas la violence, la peur. C'est pour cette raison qu'Emerald Finnell insiste autant sur les regards de l'héroïne, qui défie les hommes (dans la rue, devant une boîte de nuit), et également les femmes, si besoin. Pas besoin de frapper, cet aplomb suffit à faire vaciller l'autre.

Dans ces moments-là comme dans tous les autres, Carey Mulligan est particulièrement impressionnante. Actrice discrète à la carrière reluisante (en une décennie, elle a tourné avec les frères Coen, Baz Luhrmann, Oliver Stone, Steve McQueen, Nicolas Winding Refn, Thomas Vinterberg ou encore Dee Rees), elle trouve ici un grand rôle, qui contient tous les autres (éternelle adolescente, femme fatale, héroïne, figure tragique, clown terrifiant). Du début à la fin, elle règne en maître, et semble se réinventer dans chaque scène.

 

photo, Carey MulliganThe Neon Demon

 

À l'image de son héroïne, le film est d'autant plus passionnant qu'il ne cesse d'étonner. Promising Young Woman commence dans un mélange de brutalité et fausse légèreté (une trace de ketchup pour se jouer de la violence attendue), avance inexorablement vers une conclusion effroyable, puis rebascule dans un humour qui aurait pu être incongru. Mais Emerald Fennell dirige son récit d'une main de maître, et impose son tempo, jusque dans les excès.

Promising Young Woman multiplie ces moments forts et ces éclairs émotionnels, d'une confrontation sèche dans un bureau d'université à une altercation sur la route, en passant par un pardon inattendu. Pour son premier essai derrière la caméra, la réalisatrice démontre un sens évident de la mise en scène, à tous les niveaux (musique, photographie, découpage, mouvements). C'est parfois dans le détail (Cassie qui marche dans les bois en portant ses talons à la main, pour le réalisme tout simple d'une situation vue mille fois), et toujours avec une grande précision, notamment dès qu'il s'agit de filmer deux personnages en face à face.

Et y a finalement cette scène terrible, où sa caméra s'attarde sur l'horreur d'une situation avec une simplicité et une frontalité sidérantes. Le film souffle le chaud et le froid, l'amour et la violence, le désespoir et la légèreté. Captivant du début à la fin, troublant jusqu'à la dernière image, Promising Young Woman est un premier film de premier ordre.

 

Affiche française

Résumé

C'est le premier film d'Emerald Fennell et c'est déjà un petit ouragan, où s'entrechoquent la violence, l'humour, le plaisir de la mise en scène et la puissance des mots. Et c'est une énième preuve que Carey Mulligan est une très, très grande actrice.

Autre avis Alexandre Janowiak
Promising Young Woman est un sacré coup de poing brutal, audacieux et jubilatoire. Mêlant la comédie noire, le thriller et le revenge movie, il confronte surtout la société à ses brûlantes contradictions et son évidente misogynie, avec une Carey Mulligan impressionnante.
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Lecteurs

(3.6)

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commentaires
ceciloule
07/06/2022 à 13:32

Je suis d'accord, c'est cette oscillation entre les genres, ce côté patchwork, qui contribue à rendre le message plus fort. D'ailleurs, cela fonctionne peut-être aussi comme un moyen d'englober chaque strate, chaque sphère de la société actuelle.
Quant aux clichés et à la naïveté de façade, il faut effectivement aller jusqu'au bout du long-métrage pour voir l'envers du miroir et comprendre l'intelligence de la réalisation (j'en parle plus longuement : https://pamolico.wordpress.com/2022/06/07/promising-young-woman-emerald-fennell/)

Weezy
04/06/2022 à 14:54

Très bon film, intéressant par les thèmes abordés. La prestation de Carey Mulligan est excellente. Le long-métrage aurait peut-être gagné à traiter moins de thèmes pour aller plus en profondeur sur les sujets abordés. Peut-être qu'il aurait pu être un peu plus acide à certains moments. Quoi qu'il en soit, il reste très bon en l'état et se démarque d'une bonne majorité de films.

Kynapse
03/06/2022 à 02:17

@rientintinchti

Si vous le dites…
Bonne continuation de même.

rientintinchti
02/06/2022 à 12:55

@Kynapse
J'ai déjà répondu plusieurs fois mais je suis presque tout le temps censuré par ce site qui prétend défendre la liberté d'expression. Du coup je ne sais pas si vous aurez la possibilité de lire ce texte. Bonne journée quand même

Rorov94M
01/06/2022 à 06:25

Nul ce film.
Revoir QUE JUSTICE SOIT FAITE, À VIF, UN JUSTICIER DANS LA VILLE 1 et 2 pour se remettre de cette daube.
Mulligan excellente néanmoins.

Kynapse
01/06/2022 à 01:06

Cela dit, la critique m’a donné envie de voir ce film que je ne connaissais pas.

Kynapse
01/06/2022 à 00:06

@rientintinchti

Intervention aussi stimulante et honnête intellectuellement que celle que tu as faite sur la news d’Obi-Wan Kenobi, de laquelle tu as déguerpi comme un lâche après qu’on t’aie exposé à tes contractions :)

rientintinchti
31/05/2022 à 22:22

Film nul. Petite tocade féministe metoo nanani nanana tralala pour fanatisés sectarisés à la religion du progrès. Vraiment nul et opportuniste comme sujet qui s'inscrit dans l'air d'une époque aussi artificielle qu'hypocrite.

Piwi
23/11/2021 à 15:19

@Gregdevil

Un peu beaucoup facile et simpliste le "tous les hommes sont méchants", vu que le film montre plusieurs femmes comme étant clairement des ennemies pour l'héroïne aussi.

Gregdevil
23/11/2021 à 15:13

Déçu, vu les nombreux avis très positifs, je m'attendais à mieux.

Passé lintro j'ai pensé qu'on avait à faire à une vrai psychopathe, tueuse d'homme. Et l'affiche va dans ce sens. Mais non, ça reste très soupe au lait.
Les hommes y sont depints comme des prédateurs abusif, hormis le père tout les rôles de mâle sont négatif. Et sérieusement entre l'agression à la barre de fer en voiture et les mecs terrorisé en face à face par ce petit bout de femme niveau crédibilité on repassera.
Le final aurait pu être jouissif si ça n'était pas tiré par les cheveux, sans spoiler l'héroïne ne peut avoir anticiper tout ce qui va arriver.

Dommage car les acteurs sont bon, la photo est superbe, mais le scénario à de grosse lacune et ne sait pas trop sur quel pied danser.

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