Lost in Translation : critique qui Murray d'amour
Lost in Translation, le deuxième film de Sofia Coppola est sans doute son plus célèbre et son plus admiré. Celui qui lui aura valu, dès 2004, un salve de récompenses dont son premier oscar (et seul à date) avec la statuette du meilleur scénario original. Alors que son On the Rocks, disponible sur Apple TV+, a signé ses retrouvailles avec Bill Murray (non, on ne compte pas A Very Murray Christmas), on s'est dit que c'était l'occasion rêvé de se replonger dans ce vertige tokyoïte, entre amour et profonf ennui.
CHRONIQUES TOKYOÏTES
Elle était époustouflante de maturité avec Virgin suicides, un premier long-métrage qui l’avait vu manier avec brio la profondeur de la mort et colorer la tentative de suicide d’une jeune adolescente enfermée dans une société traditionnelle et puritaine des années 70. Après la lumineuse noirceur de son premier film, Lost in Translation a un goût doux-amer. Pendant de son premier film, ce deuxième est une invitation à la mélancolie. Il l’était en 2003, il l’est toujours en 2020.
Car l’adresse avec laquelle la cinéaste tire le portrait de ces deux personnages paumés sous les néons de Tokyo résonne encore dix-sept ans après sa parution. Témoin silencieux d’une rencontre amoureuse inattendue, la capitale nippone écrase de ses lumières les errances de Charlotte et les ratés de Bob Harris. Elle répond au règne que la solitude a instauré sur les grandes métropoles, tantôt absorbant les vies qui arpentent ses rues, tantôt les recrachant pour mieux leur laisser l’opportunité de contempler leur incroyable vacuité.
Trop à regarder, trop peu à dire
Derrière les immenses baies vitrées de leur chambre d’hôtel, avant que l’ennui et une bonne dose de déprime ne poussent les personnages l’un vers l’autre, Sofia Coppola prend tout son temps pour croquer le quotidien gonflant de Charlotte et Bob. En pleine crise middle age, lui est acteur sur le retour, venu à Tokyo tourner une pub pour du whisky ridicule, mais payante, prétexte pour déposer dans les yeux de Bill Murray un désespoir existentialiste profondément touchant. Campée par une Scarlett Johansson pré-superstar planétaire, elle, est beaucoup plus jeune. New-Yorkaise délaissée par son mari photographe qu’elle a suivi là-bas, perdue entre ses rêves d’artiste et la réalité... elle est enfermée dans un mariage qu’elle ne choisirait probablement plus.
Pour eux, même s’il daigne se montrer parfois, il est loin et vite balayé le voyage échappatoire à l’autre bout du monde. Celui qui permet de se découvrir en s’ouvrant aux autres, en se nourrissant d’une culture différente. Plutôt que de se perdre dans les rues de Tokyo pour mieux appréhender la ville et ses habitants, les personnages se perdent dans des prononciations incongrues, dans une langue qu’ils ne comprennent pas et qui ne rajoute qu’un peu plus à l’immense vertige de leur solitude. La visite d’un temple bouddhiste est certes une expérience à vivre, entendre parler une amie croisée par hasard parler de son incroyable métabolisme et de l’anorexie de son père, c’est quand même autre chose.
Mieux vaut boire dans ces verres hautement pratiques
EN APESANTEUR, DANS CET ASCENSEUR
Rehaussée de quelques traits d’humour portés par Bill Murray ou de quelques scènes gênantes jusqu’à en devenir ridicule, ponctuée de virées documentaires dans la ville, cette invitation à la dépression de Sofia Coppola fait surtout éclore l’une des histoires les plus délicates de ces dernières décennies.
Charlotte et Bob contemplent peut-être la ville et le vide qui s’est creusé en eux, mais plus que tout, c’est notre œil qui admire leur rencontre. La lenteur de cette dernière, qui prend son temps et se dessine dans l’esprit du spectateur avant même d’arriver. Chacun de leurs regards, porteurs d’autant d’espoirs sur l’avenir que d’insatisfactions et de désillusions, se savoure dans la proximité avec laquelle la caméra fixe leurs œillades et leurs moues.
Ils s’apprivoisent avec prudence dans l’ambiance feutrée du bar et des couloirs de leur hôtel de luxe. Dénuée de toute sexualité, cette romance platonique aux allures de coup de foudre ne prend pourtant jamais le chemin du puritanisme, ou de la rédemption par la chasteté. Cette caresse sur un pied et ce tendre baiser final suffisent à dire toute l’attirance et l’affection que les deux personnages se portent. L’érotisme de leur histoire est autre part. Il est dans tous ces regards mille fois plus expressifs et subtils que la chaire. Il est dans ce temps que la réalisatrice de Somewhere étire, réussissant presque à le suspendre. Dans ces silences partagés.
L’AMOUR AUX TROUSSES
Lost in Translation, c’est cette expérience de l’instant de la rencontre, du moment où tout bascule, où la réalité se transforme. Mais c’est aussi un foisonnement de détails, de petits moments amusants et de maîtrise du tempo, et de la caméra.
C’est le talent indéniable avec lequel Sofia Coppola habille son film. Alternant les scènes de brouhaha de la ville et celles de silences qui en disent long, laissant l’enrobage musical de son film à Brian Reitzell qui lui donnera ses notes pop, électroniques et contemplatives signées Kevin Shields, Jesus & Mary Chain ou encore des des frères Reid.
La vie devrait être aussi simple qu'un verre de Whisky
Lost in Translation, c’est aussi la fameuse culotte rose de Charlotte qui ouvre le métrage, clin d’œil à beaucoup d’autres culottes de l’histoire du cinéma et plan depuis devenu culte.
C’est encore la douche et le rasoir trop petit de Bill Murray, ressort comique dans le métrage de Sofia Coppola qui rappellera sans doute aux plus cinéphiles celui de La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock. C’est cette séance photo citant et récitant des personnages de films connus que Bill Murray incarne, mi-blasé, mi-amusé...
C’est cette fin enfin, dans laquelle chaque spectateur peut y voir ce qu’il veut, peut y projeter ses rêves, ses espérances ou ses démons. C’est la délicatesse de cet au revoir qui aurait pu ne jamais arriver, et qui clôt le métrage avec perfection. Lost in Translation, c’est ce bijou précieux, fragile, fugace.
Lecteurs
(4.3)15/12/2020 à 21:49
"à date", mais quelle horrible expression !
"l'occasion rêvé de se replonger dans ce vertige tokyoïte, entre amour et profonf ennui" -> vous devriez vous relire ;-)
15/12/2020 à 14:27
Profondément doux et aérien.
Simple et Grandiose.. ..
15/12/2020 à 04:02
Chiant et creux avec un Bill Murray caricature de lui-même. Du vide.
14/12/2020 à 17:53
Dans la langue francaise, il y a pour moi, deux mots tres importants :
Derisoire et Emotion
Dans le film, ils sont presents.
14/12/2020 à 17:49
Délicatesse, humour, histoire magique,finale subtile, un chef d oeuvre
14/12/2020 à 14:21
@l’autre
Totalement : la grâce c’est le mot à ce point là C’est magique
14/12/2020 à 13:46
Une petite pépite ! Un vrai plaisir à regarder, à écouter. Sofia a été touchée par la grace pour ce film...
14/12/2020 à 13:43
Un chef d’œuvre de finesse, le meilleur film de Sofiaet un grand film tout court
Marie Antoinette sera un peu moins bien mais un bon film néanmoins
Avec Somewhere c’est fini
Note vous avez oublié Roxy Music dans la bande originale
14/12/2020 à 12:05
Je suis passé totalement à côté du film.