Peninsula : critique morte-vivante

Déborah Lechner | 29 décembre 2021 - MAJ : 20/01/2023 17:04
Déborah Lechner | 29 décembre 2021 - MAJ : 20/01/2023 17:04

Le film de zombie est un genre poncé jusqu'à la moelle et pourtant loin d'être esseulé tant la figure du revenant cannibale fascine toujours l'imaginaire collectif et parvient ponctuellement à faire peau neuve, comme dans Dernier train pour Busan en 2016 (critique ici). Ce huis clos sud-coréen jouit d'une belle réputation chez les cinéphiles, qui attendaient donc avec impatience Peninsula, une sorte de spin-off-suite-continuation du premier film, présenté au Festival de Deauville dans le cadre du partenariat avec le Label Cannes 2020, qu'on ne peut malheureusement pas qualifier de nouveau coup de maître. 

BUSAN-VERSE

Le film se déroule ainsi près de quatre ans après la dévastation de la Corée, ostracisée par le reste du monde, où doit retourner un ancien soldat émigré à Hong Kong pour récupérer plusieurs millions de dollars, au risque de tomber sur les hordes de zombies et les survivants aliénés qui peuplent encore cette zone de non-droit. Installer Peninsula dans le même univers que Dernier train pour Busan (et le film d'animation Seoul Station sorti juste avant), sans se positionner comme une suite directe sur les rescapés du massacre ferroviaire, était un argument marketing à double tranchant pour le nouveau film de Yeon Sang-Ho, qui est retourné derrière la caméra pour l'occasion.

 

photoL'objet de toutes les convoitises

 

Si cette assimilation au précédent volet lui garantit une plus grande visibilité et une meilleure identification auprès du public (encore plus aux États-Unis où le film a été vendu sous le titre Train to Busan Presents: Peninsula), le long-métrage n'échappe évidemment pas à la comparaison avec son magistral prédécesseur, ce qui ne plaide pas en sa faveur. Alors qu'on imaginait ce nouvel opus comme un thriller d'action intense qui bénéficierait de la même maîtrise technique et intelligence scénaristique, l'approche de Peninsula est au contraire très conventionnelle, décevante et dépossédée de toute la puissance narrative et visuelle

À travers son scénario schématique, son cadre décloisonné trop générique et ses personnages caricaturaux et manichéens auxquels les acteurs peinent à donner du relief (en particulier les antagonistes), le film a laissé de côté toute la subtilité et la finesse qui a fait le succès de son aîné, subtilisant sa poigne et son rythme frénétique par des tirs de gros calibres et des courses-poursuites en drift dans les rues étonnamment dégagées de la péninsule coréenne. 

 

photo, Dong-won KangL'armée des morts

 

RETOUR À ZOMBIELAND

Indépendamment de Dernier train pour Busan, Peninsula aurait pu revendiquer un statut de série B déjantée et décomplexée, abandonnant l'horreur et versant sans retenue dans le vidage de chargeurs et le vroum-vroum survolté à la Mad Max : Fury Road ou Fast and Furious pour un résultat plus exaltant et moins barbant. En plus de passer à côté des thèmes lourds et récurrents du genre qu'il tente maladroitement d'introduire (rédemption, isolationnisme, déshumanisation), le film se vautre dans un pathos forcé et inefficace malgré les litres de larmes versées par les protagonistes et les discours niais sur musique tragique.

 

photoComme Dom Toretto le dirait, le plus important, c'est la famille

 

Ces scènes étirées et clichées freinent ainsi le rythme et la dynamique du métrage de presque deux heures, même s'il sait s'emballer quand il se donne un peu de mal. À côté de cette émotion décharnée, certaines scènes démesurées réussissent à dépasser ce premier degré plombant, pour proposer du spectacle violent, effréné et absurde qui aurait pu déboucher sur un bon gros délire d'initiés, si le film avait lâché la bride jusqu'au bout. 

Les quelques moments de tension sont également bienvenus, notamment dans l'espèce de dôme du tonnerre où les soldats abandonnés, probablement inspirés des militaires cinglés du Jour des morts-vivants de Romero, organisent des tournois à morts entre des humains retenus captifs et des zombies. Cette séquence avait retenu toute l'attention des fans dans la bande-annonce, mais cette promesse alléchante est finalement peu exploitée et ne sert que momentanément l'aspect spectaculaire, sans nourrir de réelles ambitions narratives, alors même que le casting était tout à fait apte à les porter. 

 

photoÇa va mal finir cette affaire 

 

ZOMBIES désincarnés

Si le film a laissé sur le carreau l'habileté du Dernier train pour Busan, le réalisateur a également retiré tout esthétisme à son univers post-apocalyptique. Pour créer un environnement urbain dévasté et réaliser des scènes plus ambitieuses, notamment les nombreuses courses-poursuites en bolides tunés dans les rues étroites et autres vagues-submersion de zombies, le cinéaste a opté pour la facilité du numérique.

Le charme des morts-vivants joués par des acteurs qui témoignait d'une réelle authenticité et démarche cinématographique a laissé place à un marasme de CGI criard à la World War Z, qui donne l'impression d'être coincé dans une cinématique de jeu vidéo. En plus de perdre leur réalisme, ces cadavres ambulants servent davantage d'accessoires pour le scénario et de chair à canon pour faire grimper le taux d'hémoglobine, que de créatures centrales dans le récit !

 

photoVomissure numérique

 

Ce traitement pratique leur fait ainsi perdre leur caractère implacable et affaiblit la menace qu'ils sont censés représenter, ce qu'on recherche principalement dans un film de zombie. La mise en scène et le cadrage, qui n'ont rien de catastrophique, sont tout de même moins inspirés et réfléchis, tout comme la photographie trop colorée et contrastée, réveillée par moments par quelques jeux de lumière intéressants basés sur l'incapacité des morts à voir dans le noir. Le cadre désolé en images numériques ne facilite pas non plus l'immersion, même si certains endroits de cette ville portuaire parviennent à renvoyer l'image lugubre et poisseuse qu'on attend d'un monde post-apocalyptique. 

Peninsula aurait peut-être gagné à jouer la carte de l'animation pour pallier ses effets spéciaux négligés, le réalisateur étant familier de l'exercice avec Station SeoulThe King of pigs et The Fake. Résultat : Peninsula devient oubliable et se révèle surtout une grosse déception tant les attentes étaient élevées. Reste quelques moments non dépourvus d'ambition et de créativité, mais à peine de quoi passer le temps avant de passer à autre chose. 

  

Affiche

Résumé

Peninsula est un nouveau raz-de-marée cadavérique qui accumule les faiblesses de style et de narration, et souffre grandement de sa filiation avec le très estimé Dernier Train pour Busan. Yeon Sang-Ho propose une série B d'action post-apocalyptique convenue et divertissante, mais encore trop premier degré pour que le public adhère à ce spectacle bourrin, qui avait tout pour être jouissif.

Autre avis Geoffrey Crété
Un conseil : mieux vaut se lancer dans Peninsula en pensant à une version mongoloïde de New York 1997 à la sauce Far Cry, plutôt qu'en imaginant une suite à Dernier train pour Busan.
Autre avis Simon Riaux
Après Dernier train pour Busan et Seoul Station, Yeon Sang-Ho troque le scalpel sociétal pour le bazooka et nous offre un trip B invraisemblablement satisfaisant, qui n'est pas sans rappeler le glorieux et mal-aimé Doomsday.
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Lecteurs

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commentaires
Sascha
30/12/2021 à 10:20

J'ai littéralement tenu 20min... Jusqu'à la 1ère scène de retour en Corée du Sud... Et ses 4x4 qui driftent dans des rues de seulement 2m de large et qui sont capable de faire des virages en équerre dans une rue encore plus petite. J'ai trouvé cela tellement absurde que j'ai coupé aussitôt. Déçu car "Le dernier train" est vraiment un bon film de zombis

Maski mask
29/12/2021 à 15:34

Je pense être une des rare personne a avoir vraiment apprécié ce film

Hova23
14/07/2021 à 23:20

Pas compris comment on est passé du Dernier train à ça...dommage. A remater peut-être sans me dire que c'est la suite, mais quelle déception à sa sortie.

Pat Rick
14/07/2021 à 20:20

Un divertissement correct mais sans plus.

Marc
26/10/2020 à 11:54

j'ai vu enfin Le Dernier train pour Busan c'est lent .... rien a voir avec Peninsula effectivement je préfère plus sombre plus d'actions .

Andrew Van
22/10/2020 à 15:56

vous êtes bien généreux...

Ce film est extrêmement décevant, très mal écrit, mal mis en scène et techniquement vraiment affreux... Je comprend pas ce qu'il s'est passé !!

Batsy
22/10/2020 à 14:51

Ah, et ça l'air de vous surprendre ? La première bande annonce était extrêmement rincer, j'avais d'ailleurs pas compris pourquoi vous vous étiez extasier dessus.

Guéguette
22/10/2020 à 12:20

Mr Blabla t'es à la rue. Si World war Z c'est ton modèle et que tu ne vois pas la réussite du 1er Busan, et que Parasite est moyen, alors tout va bien, tout le monde aura compris qu'il vaut mieux t'ignorer. Amuse-toi bien.

Caracalla
22/10/2020 à 12:11

Mr Blabla "relecture de World War Z en plus cheap et plus cucul la praline" C'est vrai que le Film WWZ est un tel brûlot ... Les dirigeants de Pepsi Co en frémissent encore Ouh lala.

C'est sûrement ce qui est arrivé de pire au film de Zombies. Pire Uwe Boll ou les millions de sous-Shaun of the Dead qui ont pullulé dans les années 2000.

- Pas macabre - Pas gore - Apolitique - Mauvaise Adaptation du Livre - Sensationniste - CGI Dégueulasse (même à l'époque), Pas Drôle, Shaky Cam, Montage Épileptique, Bons Acteurs et Actrices sous Exploité(e)s ... La liste des innombrables qualités du Film de Foster est longue en effet.

Le livre est génial, bourrées idées inexploitées par un film qui juste voulue coller aux canons esthétiques, moraux et narratifs de son époque au détriment du matériaux d'origine. Une bouse infâme et un énorme Doigt fait aux fans de Max Brooks.

Mr Blabla
22/10/2020 à 01:29

Je ne sais pas vous mais à chaque fois que je vois un film coréen, j'ai l'impression de voir un film américain en pire. Celui-là et son prédécesseur surestimé n'en démordent pas : relecture de World War Z en plus cheap et plus cucul la praline. Les acteurs surjouent en permanence, les gosses chialent sur des musiques qui sont ni faites ni à faire, l'histoire est d'une bêtise abyssale, la mise en scène est digne d'un jeu vidéo pour joueurs lobotomisés, etc. Y trouver un semblant d'intérêt parce que les zombies étaient moins désincarnés dans le premier volet, franchement... Pas un argument. Et quand on pense que le haut du pavé de ce cinéma coréen, c'est Parasite, eh ben il vous en faut peu ! Bong Joon-ho se prend pour le troisième frère Coen, ni plus ni moins. Seul Park Chan-wook (Old Boy) sort un peu son épingle du jeu.

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