Lost Girls : critique d'un thriller Netflix qui s'est perdu en chemin

Camille Vignes | 24 mars 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Camille Vignes | 24 mars 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après plusieurs documentaires, dont deux nommés à l’Oscar du meilleur film documentaire (What Happened, Miss Simone ? et The Farm : Angola, USA), Liz Garbus s’est déporté vers le thriller inspiré de faits réels. Mais sans talent ni fulgurance, Lost Girls ne rend jamais justice à la triste histoire des victimes du tueur en série de Long Island.

 

LE CIEL VA NOUS TOMBER SUR LA TÊTE

En entendant « thriller », nombreux sont ceux qui auront en tête l’image poivre et sel d’un paysage grisonnant, d’un ciel si bas qu’il se fond dans l’asphalte des routes d’une bourgade américaine, d’une météo pesante, comme le calme avant la tempête, d’une atmosphère crépitante tendue entre un camaïeu de gris et quelques flashs de gyrophares.

Malheureusement, à trop vouloir user de cette image surannée, en réfléchissant moins à ce qu’elle peut vouloir dire qu’au besoin de s’inscrire dans une lignée de films usant de ces couleurs, elle en perd son sens. Dans Lost Girls, les ciels nuageux ne sont finalement pas tant des agents d’oppression que des indicateurs d’espace ou de météo. La photographie lissant toutes les couleurs dans un océan grisâtre laisse l’impression désagréable de n’avoir pas été appréhendée autrement que pour être raccord avec les images d’archives disséminées ça et là par Liz Garbus - sans que d'ailleurs ces images n'aient jamais franchement d’impact.

 

photo, Amy RyanMissing : la signification des choses 

 

Un manque d’originalité et de considération d'Igor Martinovic (directeur de la photographie) qui se mêle malheureusement à la réalisation souvent incompréhensible, ou faussement signifiante de Liz Garbus. Décentrant quasiment systématiquement l’objet de son propos du centre de l’image, les personnages sont presque toujours filmés à travers un encadrement, dans un rétroviseur, à côté d’un mur occupant le centre de de l'image… Un choix dommageable puisqu’on ne sait jamais trop ce qu’il veut dire. Est-ce pour montrer la pression qui pèse sur les personnages ? L’incompréhension face à un quotidien qui continue de vivre sans se soucier de ce qui accable les personnages ? Le mystère reste entier…

Hormis une ou deux scènes, les rares plans larges de plage, de marais et autres terrains vagues devraient provoquer un vertige d’immensité et renvoyer les personnages à leur propre inutilité face à ces crimes qui les dépassent, mais ils échouent à le faire. Et au final leur mauvaise utilisation amoindrit le sentiment de pesanteur général.

 

photo, Amy Ryan, Thomasin McKenzieRencontre avec la mort, sans enjeu ni profondeur 

 

AVOIR LA PROFONDEUR D’UN PÉDILUVE

Pour autant, s'ils avaient été contrebalancés par une solide caractérisation des personnages, ces choix hasardeux auraient pu être dépassés. Malheureusement, les personnages sont souvent réduit au strict minimum. Une des filles n’est plus que sa schizophrénie naissante (Oona Laurence), l’autre ses accusations à l’encontre de sa mère (Thomasin McKenzie) et cette dernière (Amy Ryan), sa colère face à l’inaction des services de police.

Là encore réduire les personnages à un (voire deux) traits de caractère aurait pu être acceptable s'il avait été justifié par le point de vue du film, si, par exemple, l’enquête avait été racontée par les yeux de la police par exemple. Mais non. C’est par ceux de la mère que l’histoire se déploie. Le point de vue global est sciemment subjectif mais ne permet jamais vraiment au spectateur de s’identifier à qui que ce soit. Pire, ce dernier est presque toujours mis à l’écart des enjeux sentimentaux de l’histoire, rendant impossible une quelconque empathie pour les familles, alors qu’elles vivent un drame horrible. Difficile dans ces conditions pour les acteurs de croire en leur personnage... 

 

photo, Amy Ryan, Thomasin McKenzie, Miriam ShorUn trio qui ne bouleverse jamais vraiment 

 

Malgré tout, à mesure que le film portraitise la principale disparue, la jeune Shannan Gilbert (Austyn Johnson), on comprend ce qu'a voulu faire le réalisateur. On comprend que la mère ne voit plus en ses filles que les erreurs qu’elle a commises avec son aînée. La médication de sa dernière fille témoigne de son incapacité à gérer la maladie mentale de sa première, Shannan (troubles bipolaires). Et son deuxième enfant lui remet systématiquement le nez dans ses mauvaises décisions et ses mensonges.

Quant à la police, ce n'est pas pour rien si l'affaire du tueur en série de Long Island est toujours irrésolue, donc il n’y a que peu de chose à dire dessus. Le premier homme chargé de l’enquête sur la disparition de Shannan est grossièrement caractérisé comme un flic ripoux, celui qui protégerait le tueur. Et c’est à ce point caricatural qu’on se demande comment personne n’a pensé à investiguer sur lui. Enfin, l’inspecteur qui s'occupe de l'affaire du tueur de Long Island, campé par Gabriel Byrne, est à un stade bâtard de sa carrière. Soumis à la pression de sa direction d’une part, il semble avoir à coeur de trouver le coupable mais s’étouffe bien souvent dans sa propre incompétence.

 

photo, Gabriel ByrneUn rôle mal-dégrossi, pas très intéressant

 

L’ART DE REUSSIR À ÉCHOUER DANS TOUS SES MESSAGES

À ce stade il ne reste plus grand chose à garder de Lost Girls. Et ses enjeux, pourtant extrêmement importants, sont, là aussi, sacrifiés. On voit fleurir de plus en plus de productions s’attaquant directement au système judiciaire américain. Très forte, la série Netflix d’Ava DuVernay, Dans leur regard, pointait du doigt le racisme systémique américain avec brio, et soutenu par le très beau duo de Michael B. Jordan et Jamie Foxx, La Voie de la justice rendait un puissant hommage aux plus démunis et aux victimes de ce système, tout sauf juste.

Avec Lost Girls, Liz Garbus s’attaque à un gros morceau : le dédain de la police quand il lui faut enquêter sur la disparition de prostituées. Mais entre la grossièreté de son scénario, l’épaisseur de ses dialogues, la mauvaise gestion de son rythme, et tous ses problèmes de réalisation, de photographie et de caractérisation des personnages, le film échoue à faire de son principal propos un enjeu sociétal ; et ce, alors qu’il semble que cela soit son objectif principal. Or c'est vraiment dommage, parce que ces oubliées du système méritent d’être extraite de ce silence qui les accable.

 

photo, Amy Ryan, Thomasin McKenzie, Miriam ShorUne justice impossible pour les plus démunis ? 

 

Malheureusement, les enjeux féministes de Lost Girls ne réussissent pas non plus à se détacher du lot. Quelques dialogues accusent les ingérences masculines, mais ils ont si peu de grâce et de subtilité qu'ils confinent au grotesque. Sans jamais réussir à faire avancer l'enquête ou plier la police pour qu'elle traite avec plus d'intérêt ces meurtres, les femmes des familles des victimes finissent pas se séparer, laissant couler dans les abysses de l'oubli leur sororité naissante. Sans parler du seul homme vraiment prêt à les aider, très vite dépeint comme un ermite paranoïaque

Pendant de ce groupe de femmes, le principal suspect est caricatural (Reed Birney). Cravate rouge, sourire narquois en permanence posé sur ses lèvres, comme immunisé contre des crimes qu'il pourrait avoir commis, personne n'aura aussi grossièrement décrit l'homme blanc de 50 ans, cisgenre et sûr de lui. Comme pour le reste du film, le problème n'est pas tant d'être face à des caricatures que d'être confronté à des personnages ou des groupes tellement futiles qu'ils sont incapables de porter un message impactant, quel qu'il soit. 

 

photo, Thomasin McKenzieCasting très féminin pour film pas bien profond 

 

Les faits divers représentent un énorme business. Certains grands artistes sont capables de s'en emparer et de rendre de magnifiques hommages aux victimes et aux personnes qui se démènent pour connaître la vérité. De Zodiac à Mindhunter, David Fincher a transcendé de nombreux faits divers pour y apporter un éclairage nouveau.

Mais entre les mains de Liz Garbus, l’histoire du tueur en série de Long Island de ses victimes et de leur famille sont plus qu’oubliables. Au fond, l’intégralité du film laisse un goût amer. Celui d'un film baclé auquel il manquerait trente bonnes minutes de subtilité.

Lost Girls est disponible sur Netflix depuis le 13 mars

 

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Résumé

L'histoire du tueur en série de Long Island permettait d'aborder de nombreux enjeux sociaux et sociétaux, d'attaquer le système judicaire américain à deux vitesses et de redonner leur voix à des familles et des femmes détruites. Malheureusement, Liz Garbus passe à côté de ces enjeux avec Lost Girls pour finalement offrir le brouillon d'un film, une trame globale à laquelle il manque 30 minutes pour sortir de l'anecdotique. 

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