Us : critique de la dernière convulsion sur la gauche

Simon Riaux | 13 mars 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 13 mars 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

En 2017, Get Out débarquait, transformant le comique reconnu Jordan Peele en promesse détonante du cinéma horrifique et politique américain. Deux ans plus tard, il revient avec Us, une proposition radicale… et radicalement différente.

GORE SWEET HOME

Avec ses bandes-annonces évocatrices, où une famille afro-américaine se faisait agresser par ses dopplegangers et ses affiches annonçant au spectateur qu’il est « son propre ennemi », Us avait des airs de continuation consciente de Get Out, lorgnant du côté de l’analyse sociétale. Mais Jordan Peele avait prévenu, son nouvel opus ne s’intéressait pas aux questions identitaires et raciales, on aurait dû l’écouter, car dès son introduction, le métrage nous emmène sur les rives d’un tout autre cauchemar.

Si Peele peut être considéré comme un des créateurs horrifiques les plus originaux du cinéma américain, il est passionnant de constater que les paysages spectraux qu’il nous invite à explorer trouvent leurs racines au cœur de la littérature de genre nord-américaine. Ainsi, Us nous plonge dès ses premières minutes au cœur d’une Fête Foraine dont les couleurs, attractions et proportions évoquent instantanément les écrits de Richard Matheson, leur capacité à transformer en mythe le moindre ingrédient du quotidien occidental.

 

photoL'enfer, c'est les autres

 

Mais c’est bien évidemment La Foire aux Ténèbres de Bradbury qui fait ici surface, alors qu’une petite fille s’égare, d’attractions en bonimenteurs. Et entre une Main de Gloire et un Palais des Glaces, c’est le fantôme de Le Carnaval des âmes qui surgit. Dès cette ouverture en forme de labyrinthe trop balisé pour être honnête, le cinéaste nous indique qu’il a violemment rebattu les cartes, changé les règles, pour nous abandonner au cœur d’un univers bien moins familier et « sécure » que le spectacle des vicissitudes racistes de la classe moyenne supérieure.

 

LA MÉLOPÉE DU MALHEUR

Quand, après une ellipse et quelques minutes plus tard, Us déraillera totalement à l’occasion d’une séquence de home invasion éprouvante, le réalisateur nous murmure à l’oreille que le frisson terre-à-terre de Get Out est passé de mode, et que les règles n’ont plus cours. En effet, il ne se passe pas 15 minutes sans que Jordan Peele explose le cadre de son propre enfer, redéfinissant constamment la focale de la narration, le point de vue, l’angle général.

 

photoIl ne fait pas toujours bon rencontrer son double

 

Le home invasion se fait trip existentialiste tendance morbide. L’angoisse existentielle vire au simili-slasher, lequel cède soudain la place à une hallucination de fin du monde, qui nous reconnecte brutalement au carton introductif, avant de nous immerger sans pitié dans un purgatoire qui rappelera de glaçants souvenirs aux vétérans du Grand Nulle-Part de Silent Hill premier du nom. Faire le catalogue des légendes et influences que le récit entreprend alors de coaguler serait fastidieux, tant elle aimante à elle des identités redoutables, des clochards célestes en passant par les Mole People, sans oublier de relire la figure du Double Maléfique.

Il est particulièrement impressionnant de constater comment, à la manière d’un Rod Serling (dont il remake actuellement La Quatrième Dimension), l’auteur a consciencieusement construit une mosaïque de motifs allant de l’inquiétant au proprement terrifiant, et combien il est parvenu à les tresser autour d’une liane cohérente, enserrée autour de la gorge du spectateur. Une richesse scénaristique qu’on retrouve bien sûr dans la mise en scène, qui comme dans Get Out, alterne savamment entre percées stylistiques et rigueur représentative. Peele sait quand démultiplier l’impact d’un membre arraché, comment générer le dégoût d’une situation amorale, mais aussi comment conférer à une image dissonante une beauté maladive.

 

photo, Madison CurryLe Cris, de Peele

 

DEAD OUT

L’arsenal déployé par l’auteur est, on l’aura compris, beaucoup plus varié et riche que dans son premier long-métrage. Et pour cause, son but est nettement plus ambitieux. Plus question ici de s’ancrer dans une réalité politique quotidienne, ou de rendre compte de la domination d’un groupe social sur un autre. Le discours se veut ici bien plus général et pose le problème des joies mauvaises, passions coupables, de la part noire de chaque individu mais aussi de chaque groupe constitué. Combien de temps avant que nos pulsions, individuelles, collectives, ne viennent réclamer ce monde soit-disant dominé par la raison ?

On pourra voir dans le déferlement de violence (symbolique et physique) qui s’empare de la seconde partie du film une allégorie de la victoire de Trump, une métaphore d’un vivre-ensemble décousu, une représentation de la bataille d’égos que se livrent persona et avatars numériques, ou une vision particulièrement sardonique des transferts de classe… La matière qu’offre Us est de celle dont sont faits les cauchemars, offrant une source inépuisable d’interprétations à nos angoisses, que cette fable vorace réveille si durablement.

 

photo, Lupita Nyong'o Lupita Nyong'o, absolument bluffante

 

Face à tant de richesse, on regrettera néanmoins que le maître en devenir dose maladroitement l’humour, délaissant parfois sa verve féroce (trop rare et brillante) pour lui préférer un versant plus absurde (qui déjoue parfois la tension). De même, le scénario veut à tout prix se tordre en une ultime convulsion, afin de faire passer une évidence pour un twist, ce qui nuit grandement au mystère de l’ensemble.

Enfin, on espère que Jordan Peele reviendra un jour à son montage initial, abandonnant un plan fixe bardé de dialogues explicatifs, qui ôte une grande partie de la poésie du climax, comme de son aura énigmatique. Ajouté dans les derniers jours de post-production, c’est l’un des rares défauts de ce poème rauque, à la résonnance politique indéniable, contorsion hallucinatoire qu’on n’oubliera pas.

 

Affiche française

 

 

Résumé

Découvrir Us revient à arpenter pieds nus un labyrinthe jonché de verre pilé. Chaque pas s'y fait plus douloureux, cauchemar sans retour, peuplé seulement des cris d'effroi de ses visiteurs.

Autre avis Geoffrey Crété
Malgré ses idées, ses ambitions, ses éclats formels et ses audaces, Us est un film boiteux. La peur, le trouble et le discours se court-circuitent, et Jordan Peele accouche d'un film fragile et peu satisfaisant.
Autre avis Christophe Foltzer
Jordan Peele brouille les pistes et nous offre un long épisode de la Quatrième Dimension, imparfait certes en termes de rythme mais passionnant dans l'univers qu'il installe. L'une des propositions du genre les plus fortes actuellement.
Autre avis Alexandre Janowiak
Us est une oeuvre ultra ambitieuse aux multiples visages qui peut sembler un peu incohérente de prime abord avant de se révéler terriblement harmonieuse au fil des visionnages et des multiples interprétations qu'elle propose. Reste juste à Jordan Peele à apprendre à mieux doser l'humour dans ses trips cauchemardesques. Lupita Nyong'o est dingue.
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Lecteurs

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commentaires
Ahlisine
03/04/2022 à 12:03

Je connais pas toutes ces références dont le realisateur c'est inspiré, et j'ai l'impression que les gens ont cramés le plot twist a mille kilomètres mais du coup sans ces éléments, j'ai surkiffé ce film je pouvais pas le laché!
général les film d'horreur me font vraiment super peur et même si j'aime je suis trop fragile psychologiquement pour en regardé, t'as pas le temps de d'avoir peur si c'est pour miné ton quotidien,
mais la de bout en bout j'avais peur et j'étais suspendu a ce propos sur les differences de classe, enfaite c'est presque une illustration du fait que d'avoir des moyens différents ça fera pas de toi la meme personne et dans ce film l'exemple est tellement extreme que c'était incontestable du coup j'avoue que ça m'as vraiment plus,
Lupita est vraiment une actrice incroyable
donc tout ce coté incroyable en lisant les critiques je me rends compte que ce sont des idées et des films qui ont deja été fait un petit peu et surement qu'en regardant le film chacun y trouve et interprete plus les symboles horrifique selon ses propres angoisses mais je suis super contente d'avoir decouvert tout cet univers parce que je connaissais pas et j'ai vraiment adoré, et surement que j'ai pas l'oeil exercé mais je suis contente qu'il est fait un film un peu trop simple! ça m'as tellement surprise et c'est trop bien trouvé aaaaaaaaaaaa j'ai vraiment trop trop trop aimé voila

Celui qui a dormit à la séance de 22h
15/08/2019 à 18:31

Au bout de 10min écran noir, je me suis réveillé le lendemain. Pas moyen de trouver des transports à 1h du mat pour rentrer chez moi.

cepheide
04/08/2019 à 11:22

Tres decevant. L histoire est con comme ses pieds, et si c est bien joué, ca tourne completement a vide avec un twist final qui semble etre l unique raison du deroulé du film. Apres un get out moyen, jordan peele me laisse vraiment de marbre et me semble tres surestimé.

jay jay
22/06/2019 à 23:33

Encore plus bête que Get Out, il l'a fait! J'en peux plus de ces pitchs énormissimes qui reposent sur du sable, tu pètes dessus et tout s'écroule une fois de plus.
Merci d'arrêter d'encenser ce petit malin qui rêverait d'une carrière à la Shyamalan.

Andarioch
22/06/2019 à 17:20

L'histoire ne tient pas forcement la route, la tension est sans cesse sabotée par des traits d'humour, les acteurs ne sont en réalité pas terribles (à part Lupita, sa fille et Moss), bref le film fonctionne mal.
Par contre son déroulement et certaines actions des persos vont à contre courant des productions du même genre et c'est rafraîchissant.
Bref les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités

pepe
07/06/2019 à 20:16

Grosse déception après Get out

Le Waw
13/04/2019 à 23:05

Je viens de le voir et en fait au delà du fait que ce soit un excellent réal, son idée est fort mal foutue et il
s'est quelque peu planté sur ce coup malgré de fort bons passages. Une suite ou tout le délire des clones est expliqué et surtout une scène d'ouverture où les hélico leur balance du napalm serait de très bon goût. En tout cas le vrai twist est que Jordan Peel est en fait le clone de Shyamalan... Dans 10 ans à force de pauvre twists de blaireau il sera un vrai pestiféré. Dommage, il réalise bien au demeurant, mais plus ça va plus c'est pour les demeurés.

tom's
01/04/2019 à 11:27

Vu hier soir et je n'aurais juste pas dut y aller avec une meuf qui flippe devant ce genre de film donc a pas arrété de parler tourner la tête et puis j'ai dit c'est bon ta 30ans! bref sinon moi j'ai marcher a fond emporter par le scenario,la mise en scène et les acteurs lupita et sa fille en tête,j'ai même fini par arrété d'essayer d'anticiper le truc du scénario et je trouve l'idée originale,mais vraiment j'insiste jordan peele a digéré tout un pan de la culture ciné et fort de ca construit son propre récit pour nous hypnotiser limite,il ya longtemps que je ne suis pas rentré dans un film de genre comme celui ci la drniere fois c'etait pour get out hasard.

C.H.U.D.
31/03/2019 à 18:09

Peuple écrasé par l'élite, tous habillés de la même couleur : l'allégorie avec le mouvement des gilets jaunes est évidente (prouvez moi que j'ai tort).
Blague à part, j'ai apprécié ce film, surtout pour le côté mystérieux. Cependant, le scénario aurait dû être plus développé pour maintenir l'intérêt, le film m'a paru trop long.

noir et blanc
29/03/2019 à 22:46

Y a aussi les parents de l héroïne au début dans la fête foraine sinon tous les figurants sont blancs

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