De l'autre côté du vent : critique d'outre-tombe

Simon Riaux | 2 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 2 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Émaillée de chefs d’œuvres, l’Histoire du cinéma l’est également de films inachevés, jamais advenus, dont le récit comme le fantasme nourrissent les spectateurs. Mais il est rarissime de voir une œuvre longtemps considérée comme perdue, rencontrer finalement le public. C’est le destin de De l'autre côté du ventoeuvre posthume d'Orson Welles, avec John HustonOja Kodar et Peter Bogdanovich.

BLAST FROM THE PAST

Preuve qu’on aurait tort de considérer simplement Netflix comme le déversoir des séries B n’ayant pas trouvé leur place chez les distributeurs classiques, De l'autre côté du vent, probablement l’événement le plus scruté de 2018 du côté du cinéma dit de patrimoine, vient d’y être dévoilé. Il s’agit de l’ultime film d’Orson Welles, tourné et en partie monté sur plus de 10 ans, jamais achevé, écartelé entre ses ayant-droits, puis entreposé pendant des décennies dans un obscur entrepôt d’Île de France.

Netflix aura déboursé six millions de dollars afin de rendre possible la restauration et l’assemblage d’éléments épars, afin d’aboutir à l’œuvre disponible aujourd’hui. Et c’est peu dire que d’affirmer que cet alliage curieux est porteur d’une émotion surpuissante. Nous y suivons les dernières heures de la vie d’une légende fictive du 7e Art, Hannaford, mélange de son propre interprète (John Huston), d’Ernest Hemingway et d’Orson Welles lui-même.

 

 

À la mondaine soirée qu’il donne et où se presse le tout Hollywood, il projette un film (le sien), nommé The Other Side of the Wind qui vient lui-même parasiter le récit initial. Il y a quelque chose de profondément bouleversant dans le fait d’assister, 33 ans après la mort de son auteur, à un tel cri d’amour envers le cinéma, si organiquement évident (le grain de la pellicule déborde du moindre photogramme, comme pour témoigner, au cœur même de la machine Netflix, de la primauté du celluloïde).

Cri d’amour, mais cri de mort aussi, alors que le pathétique contamine progressivement tout le film, qu’apparaissent les failles du colosse Huston, et l’incapacité du cinéaste à achever sa propre création.

 

photoLe film navigue entre plans entre N&B et plans en couleurs

 

GHOST PROTOCOL

Ce souffle du tombeau se retrouve jusque dans la tonalité de l’ensemble, terriblement sardonique. On ne saura jamais si Netflix a finalement atténué ou souligner cet aspect de De l'autre côté du vent, car l’ensemble se veut une attaque, amusée mais cruelle, à destination d’un certain cinéma arty des seventies, et le réalisateur n’y va pas du dos de la cuillère.

 

photoHuston, Welles et Bogdanovich

 

Ainsi, c’est toute une brochette de courtisans plus ou moins minables, plus ou moins hypocrites, croqués avec gourmandise comme autant de parasites, qui fourmillent autour d’un génie amusé mais las, lequel ne sait trop quoi faire de son dernier monstre, pastiche de Zabriskie point hanté par la silhouette d’Oja Kodar. L'idée est plaisante, mais semble parfois un peu limitée, eu égard au talent phénoménal de son auteur.

On pourra s’en amuser, mais cette dimension tend à limiter la portée du film, tant il se plaît d’ailleurs à épouser certains traits, des identités esthétiques immédiatement reconnaissables. Partagé entre l’amertume et l’humour noir, ce sermon funèbre laisse parfois d’autant plus circonspect que sa dimension de « work in progress » s’avère évidente, rendant parfois l’ensemble compliqué à suivre.

C’est éclaté, ça ne paraît jamais bien savoir par quel bout prendre son sujet ou ses personnages et surtout le montage souffre d’énormes trous d’air, personne ne sachant vraisemblablement quoi couper ou conserver, comment dynamiser l’ultime œuvre d’un maître disparu.

 

Affiche

Résumé

S'il est passionnant de redécouvrir un film perdu d'Orson Welles, ce dernier tient plus de l'esquisse que du joyau oublié.

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commentaires
Traxler
09/03/2019 à 07:40

Une sortie en dvd/blu-ray est-elle envisageable ?

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