La Nuit a dévoré le monde : critique infectieuse

Simon Riaux | 6 mars 2018
Simon Riaux | 6 mars 2018

Précédé d’une flatteuse réputation et présenté avec une belle réussite lors du Festival de Gérardmer 2018, La Nuit a dévoré le monde est un premier film de genre français particulièrement ambitieux et donc un défi aussi audacieux que casse-gueule.

 

ICI, C'EST PARIIIIIIIIIIS 

Paris s’éveille. Un homme seul, d’origine étrangère, rassemble ses esprits au lendemain d’une fête bruyante et sinistre. Sa vie est en ruine, mais c’est un autre cataclysme qui s’abat bientôt sur la capitale. Depuis l’appart où il se voit retranché, Sam assiste à une apocalypse zombie qui le force bientôt à transformer l’immeuble Hausmannien où il se trouve en citadelle assiégée.

Voilà pour le point de départ de La Nuit a dévoré le monde, dans lequel Dominique Rocher attaque de front le cinéma de genre et cinéma d’auteur, avec un égal appétit et une égale réussite. Dès l’ouverture du récit, la caméra et le montage s’efforcent d’établir combien notre héros est seul. Sa solitude va redéfinir l’espace, transformant le métrage en huis-clos, et chaque ingrédient de la mise en scène en traduction de cet isolement. Une ascèse naturaliste souvent perçue comme l’apanage d’un cinéma d’auteur moribond et grisâtre, mais qui revêt ici une pertinence absolue, tant elle épouse les thématiques du film de zombie et permet à La Nuit a dévoré le monde de porter l’héritage de Je suis une Légende, le chef d’œuvre de Richard Matheson.

 

Photo Anders Danielsen Lie"Au moins, vous avez vue sur la Tour Eiffel."

 

Introspection, solitude et isolement sont le plus souvent parfaitement traduits par des mouvements de caméra limités mais d’une immense maîtrise, capables en un instant de démultiplier l’ampleur de la narration, de révéler la force symbolique d’une petite routine survivaliste. Pour ce faire, le réalisateur use aussi bien de longs plans fixes à la lumière minérale, comme des plans séquences malins, qui autorisent le spectateur à s'approprier progressivement le labyrinthe architectural sur lequel s'étale bientôt la psyché du personnage principal.

 

CHARNIER LATIN

Mais La Nuit a dévoré le monde ne se limite pas à une relecture auteurisante d’un genre horrifique populaire asphyxié par ses propres succès internationaux. Dominique Rocher sait, quand la narration l’exige, se plonger dans les figures imposées de l’univers qu’il convoque. Que ses morts-vivants envahissent l’espace, s’empilent comme autant de goules affamées derrière les barreaux d’une fenêtre, ou le narguent au cœur même de son sanctuaire (sidérant Denis Lavant), ces cadavres enragés rendent un hommage puissant à ceux de George A. Romero.

 

PhotoUne scène glaçante

 

Et comme leurs aînés, ces corps suppliciés et affamés ont une portée politique. À travers cette chronique d’une survie solitaire, Rocher aborde une angoisse française, la tentation du repli total qui traverse aujourd’hui l’Hexagone. La terreur de Sam, cet homme, peut-être le dernier, qui s’est emparé d’un symbole de l’urbanisme (et donc de la civilisation) français pour s’y planquer, n’est pas tant la peur d’être dévoré par les monstres qui rôdent, que de devoir remettre en cause le peu qu’il possède. Rapport à l’autre, crainte de l’altérité, tentation nihiliste du retrait, La Nuit a dévoré le monde adresse avec agressivité quantité d’angoisses nationales.

Reste quelques scories inhérentes à beaucoup de premier film. Si Anders Danielsen Lie (Oslo, 31 Août) n’a rien à prouver et manifeste un engagement physique impressionnant, son accent, sa présence dans Paris jamais vraiment justifiée par le scénario ont tendance à distraire et créer une distance qui nuit parfois à notre empathie. De même, certaines articulations narratives manquent parfois de fluidité. Pour autant, il suffit à Rocher d’une scène, poignante et nerveuse, où un héros attire à lui la horde des affamés en musique, pour nous rappeler avec quelle hargneuse évidence il maîtrise son sujet.

 

Affiche

Résumé

Inventif et maîtrisé, La Nuit a dévoré le monde marie avec habileté le cinéma français et le film de zombie, pour un résultat intense, en prise direct avec les angoisses hexagonales.

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commentaires
Miami81
19/05/2020 à 00:11

Vu à reculons avec un à priori négatif sur le film, au final, il s'avère être une excellente surprise maîtrisée de bout à bout. Par moment long, mais franchement, je m'attendais à vraiment pire.
De très bonnes idées, une excellente réalisation, une musique juste, de bonnes idées scénaristiques.
Seule incompréhension, et je rejoints là aussi la critique : pourquoi un personnage étranger avec un fort accent qui empêche vraiment de rentrer totalement dans le film ?

Chris
14/04/2019 à 01:05

Simon Riaux à adoré ça ne m'étonne pas. Visiblement mes goûts sont à l'opposé des siens. Ce film est chiant au possible, il ne se passe.... rien. Vu ce soir et grosse déception, on s'ennuie du début à la fin, presque aucun dialogue ni musiques, aucun stress, on suis juste un gars coincé dans un immeuble où il ne se passe... rien. Ce film sera vite oublié mais m'aura couté le prix d'une location et une soirée bien rasante.

nico
20/09/2018 à 08:11

Je suis un immense adepte du cinéma de genre et du huis clos, alors quand j'ai vu cette curiosité française débarquer, j'étais aux anges. Immense fut la déception! Dominique Rocher n'excelle ni dans l'un ni l'autre. Il y a pourtant de bonnes idées scénaristiques mais la mise en scène n'a aucune ambition, elle n'est ni inventive ni rythmée, c'est plat, ennuyeux et contrairement à vous j'ai la désagréable impression de ne pas sortir du film d'auteur français dans ce qu'il a de plus pénible et de plus agaçant. Le message est là, les idées aussi, mais la forme est au abonnée absente. Décidément le cinéma de genre ne sied vraiment pas au cinéma français.

Simon Riaux
06/03/2018 à 17:14

@galocri
Peut-être qu'on l'a déjà précisé dans notre dossier consacré au film et qu'on a préféré se focaliser ici sur le film lui-même.

galocri
06/03/2018 à 17:09

peut-être que ce serait bien (et honnête) de dire que le film
La Nuit a dévoré le monde est tiré du roman de Pit Agarmen, pseudonyme et anagramme de l' écrivain Martin Page,
et que le litre est le titre du roman

Fil
06/03/2018 à 15:18

La BA m'avait donné envie. Votre critique en décuple l'effet ????. Et puis Denis Lavant...

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