Critique : La Saveur de la pastèque

Patrick Antona | 28 novembre 2005
Patrick Antona | 28 novembre 2005

Tsai Ming-liang nous revient avec La Saveur de la pastèque avec une nouvelle chronique sur la déshérence sentimentale et la perte de repère dans un monde de plus en plus déshumanisé. À l'image de The Hole, dont La Saveur de la pastèque peut être vu comme une version alternative, le réalisateur taïwanais tisse la toile des relations entre deux personnages, un homme et une femme, enfermés dans leur solitude et confrontés à un monde en crise.

Au monde baigné par une pluie diluvienne de The Hole, nous avons droit ici à une sècheresse drastique, obligeant les gens à acheter des pastèques pour pouvoir s'abreuver. Mais là où dans The Hole, la métaphore devenait abscons et dilué dans un récit où la pose prédominait sur la forme, Tsai Ming-liang laisse éclater un certain côté fantasmagorique, matérialisé par des séquences de comédie musicale d'un kitsch volontaire, et qui sont comme des respirations dans un récit basé sur l'enfermement. Véritables petits clips illustrés par des chansons de la pop taïwanaise des années 60, ces numéros musicaux colorés et volontairement naïfs expriment au premier degré le désir d'exaltation de personnages à la psyché bien confinée, mais aussi dispense un côté régressif, synonyme d'un désir du retour à l'innocence et aux vertus de l'enfance perdue.

Mais plus que dans cette ambivalence entre film d'auteur voulant dispenser un message fort (on a comprend vite que la sècheresse n'est qu'un prétexte pour démontrer l'assèchement des sentiments du monde moderne) et volonté ludique de rendre hommage à un monde disparu, c'est dans la dimension sexuelle que Tsai Ming-liang a poussé son expérimentation. Et il y est allé très fort !

En faisant de son héros masculin (Lee Kang-sheng Lee, déjà dans The Hole) un acteur porno en train de tourner un film amateur dans son appartement, le cinéaste déroule un nombre de vignettes crues et impressionnantes qui sont pour beaucoup dans la renommée de son film, lui faisant écoper d'une interdiction aux moins de 16 ans chez nous et ayant déclencher une véritable tempête dans son pays natal. En dévoilant le corps de l'actrice porno japonaise Yozakura Sumomo sous toutes les coutures et en l'utilisant (le mot est bien à propos) comme un outil de chair, Tsai Ming-liang montre qu'il a bien compris comment fonctionnait la pornographie. Le réalisateur taïwanais va jusqu'à mettre son actrice fétiche, la vénérable Lu Yi-Ching en position fort compromettante pour dépeindre un monde qui touche au sordide, malgré quelques éclairs de beauté. Toutes ces scènes, témoin de la manière frontale utilisée par les cinéastes asiatiques pour évoquer la question du sexe, peuvent être déconcertantes pour le spectateur occidental mais elles sont parfaitement intégrées dans une narration dont elles nourrissent parfaitement la désespérance. Allant du graveleux (on a droit à une éjaculation faciale !) au comique burlesque (le gag du bouchon de bouteille d'eau), en passant par le drame jusqu'au-boutiste, elles peuvent être perçues comme gratuites mais demeurent nonobstant des éléments-clés qui mèneront les deux personnages du film à se retrouver, dans une ultime scène libératrice et extrême. Il est à noter que de nombreux spectateurs quittèrent la salle lors de cette scène, quand le film fut présenté au Festival International de Berlin cette année !

Chronique douce-amère quasiment muette sur la dérive des sentiments (l'héroïne du film ne dit qu'une seule phrase), récit traversé de fulgurances érotiques, véritable mise en abîme d'un monde où les hommes ne sont devenus que des marchandises, mais évitant le côté donneur de leçon et poseur qui l'aurait rendu prétentieux, La Saveur de la pastèque est assurément le film-choc de cette fin d'année, que tout amateur se doit de déguster comme le fruit qu'il se présente. Ensuite ce sera à vous de voir après coup si cette saveur est amère ou rafraîchissante...

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire