Arcane : la série League of Legends réussit son tour de magie sur Netflix

Matthias Mertz | 7 novembre 2021
Matthias Mertz | 7 novembre 2021

Arcane est le dernier pas de géant de Riot Games dans sa boulimie de projets crossmédia. Le studio angelin fondé en 2006 et autrefois vanné pour la marque du pluriel qu’il arborait bien qu’il n’ait sorti qu’un seul titre s’est vengé en bonne et due forme en colonisant un spectre toujours plus large de l’industrie vidéoludique.

Face à une animation toujours en progrès dans sa quête de marketing évènementiel ou e-sportif, ce n’était qu’une question de temps avant que le studio ne décide de se mettre en route pour une série ou un métrage. La boussole pointe désormais vers Piltover et Zaun, et les riches éléments narratifs mis en place pour constituer un univers cohérent nécessaire à la sortie en 2020 de Legend of Runeterra, leur jeu de cartes numérique.

Mais la série Arcane est-elle capable de satisfaire des audiences aussi diverses que les fans les plus aguerris de League of Legends comme les aventuriers de la plateforme Netflix ?

 

photoPiltover, bouillonnante cité du progrès

 

FICTION autonome

Dans la région de Runeterra, Piltover voit cohabiter une ville fantasque et pleine de progrès fortement inspirée du steampunk avec sa contrepartie souterraine, une undercity sombre et fumeuse, bourrée d’étrangers cryptiques et de vapeurs toxiques, où le crime et les malices semblent monnaie courante, quand bien même ses habitants semblent unis par la nécessité d’être soudés pour y survivre.

À la surface, nous suivons donc Jayce, inventeur sûr de lui aspirant à maîtriser une science surnaturelle et prohibée dont il a été témoin des miracles. Pour se faire, et sous le chaperonnage bienveillant du yordle centenaire Heimerdinger, il s’entiche de l’assistant de ce dernier, Viktor.

Dans l’undercity, nous suivons un groupe de délinquants espiègles, mais relativement inoffensifs. Il est composé de Vi et Powder, deux sœurs aux caractères et aux capacités très différentes, ainsi que leurs amis Mylo et Claggor. Sous la surveillance de Vander, ils font les quatre cents coups, jusqu’au jour où un cambriolage a des conséquences beaucoup plus lourdes que prévu. Pendant ce temps, un sombre personnage orchestre la création d’un élixir transformant les quidams en bêtes sanguinaires, sur fond de tension entre Piltover et son ghetto souterrain.

 

photoIl a l'air sympa ce nouvel opus de The Last of Us

 

Le risque le plus important pour Arcane était très probablement de ne pas trouver son équilibre. Si on ne peut pas parler stricto sensu d’adaptation, la série reprend l’univers de son titre phare, League of Legends. Dès lors, elle pouvait s’égarer aux deux extrémités du spectre, c’est-à-dire être un divertissement comestible uniquement pour l’audience du jeu (et ainsi ressembler à des heures de cinématiques mettant en scène des champions usant de leur catalogue fourni de compétences), ou au contraire revendiquer de façon incorrecte son autonomie en ne rappelant pas aux joueurs pourquoi ils sont tombés amoureux de cet univers.

Arcane ne tombe pas dans le panneau. Si la série parvient à donner envie aux joueurs de la parcourir en étant attentifs aux détails, dialogues et designs des personnages (dans l’espoir espiègle de reconnaître un champion ou un visage familier), elle est en fait une fiction autonome dans une itération de fantasy très traditionnelle. Il est presque plus probable qu’elle ne parle à des novices qu’aux joueurs expérimentés, qui pourraient ne pas réussir à apprécier sa narration dans l’attente d’avoir de la cinématique à gogo.

 

photoC'est ça que vous voulez hein ?

 

League of champions

Du côté des personnages, la série régale. Tous parviennent à sembler authentiques et pas dénués d’intérêt dans le monde riche qui les entoure. Le doublage de ces derniers est excellent, et tout particulièrement celui de Viktor, où Harry Lloyd excelle. Le casting parvient à trouver une diversité très appréciable de designs, mais aussi de personnalités, en faisant de Vi une combattante farouche, mais bardée de valeurs ou au contraire en montrant un Viktor soucieux du bien commun, mais avide de découvertes quel qu’en pourrait être le prix. En outre, leurs relations fonctionnent également, et on ne peine pas à croire en leurs liens, probablement grâce à des dialogues très bien sentis.

Le problème, c’est que les champions du jeu sont encore trop surlignés à l’écran. Au milieu de certains designs trop classiques, au premier rang desquels Mylo et Claggor, ceux de Vi et Powder forment un contraste qui en dit trop, et on peine à ne pas avoir un train d’avance sur ce qu’on voit à l’écran.

 

photoVous le voyez là, le design des champions qui éclipse ce qui les entoure ?

 

Le design de la plupart des personnages est l’élément suffisant pour déterminer s’ils ont ou non une place dans la continuité du récit, et ça aurait demandé un effort supplémentaire sur la conception des personnages secondaires pour ne pas sentir qu’elle roule à deux vitesses. C’est probablement moins vrai à la surface de Piltover, ou les personnages secondaires jouissent d’un design plus riche.

Et si le récit est bourré de vitalité, les intrigues qu’ils présentent sont très traditionnelles, et trouvent leur écho de l’autre côté de la surface. Viktor et Jayce ont une relation similaire à Vi et Powder, modulo leur absence de parenté. De la même façon, Vander et Heimerdinger incarnent le même mentorat bienveillant. L’élément perturbateur à la surface comme en dessous est une nouvelle technologie, qu’il s’agisse du poison de Silco ou de l’Hextech de Jayce. Si cela rend la narration très cohérente, ça ne donne pas le sentiment de suivre plusieurs intrigues qui fourmillent dans un monde étendu, mais juste de se laisser guider par un fil rouge parfois grossier.

 

photoCertains seconds rôles parviennent toutefois à délivrer, à l'image de Medarda

 

plastique irréprochable

Niveau direction artistique, c’est canon. On retrouve le studio Fortiche, avec qui Riot Games collabore depuis la très bien accueillie vidéo Get Jinxed, et qui s’est depuis illustré avec le groupe de K/DA ou encore Rise, vidéo promotionnelle des championnats du monde 2018. Leur animation est léchée et sublime, et donne le sentiment de regarder de la peinture s’animer.

Et parce que Fortiche a été fondé par trois Français (cocorico) dont l’expertise va de l’animation jusqu’à la musique, le studio est capable de délivrer une bande-son de très bonne facture qui ne se cantonne pas aux canons épiques, mais roulants de la fantasy. Pusha T, Denzel Curry ou Bea Miller rappellent à nous le plaisir qu’on avait eu à écouter la bande-son diverse et inspirée dans Spider-Man : Into the Spiderverse. Le générique d’ouverture est quant à lui interprété par Imagine Dragons, qui revient après le célèbre Warrior pour une nouvelle performance réussie dans Enemy.

 

photoLes yeux attentifs reconnaîtront que le studio Fortiche a réalisé des clips pour Gorillaz

 

Piltover est magnifique et rappelle Kaladesh, la cité des inventions de l’univers du jeu de cartes Magic : The Gathering dans son design steampunk. On y trouve une noblesse éduquée spécialisée dans le mécénat d’inventeurs, sous le contrôle d’une oligarchie dirigée par un conseil des sages (dont le design donne envie d’en savoir beaucoup plus). Elle fourmille de détails, de couleurs, et les pérégrinations de la bande à Powder dans la ville sont un plaisir pour les yeux, rappelant à nous cette ambiance très « concours Lépine début 20e siècle ».

Et Zaun n’est pas en reste, même si on pourra regretter une trop grande rareté des plans qui mettent en valeur son côté "techno noir". Elle n’est jamais aussi belle qu’à la lueur des néons, et en tant que ghetto souterrain, elle doit se rapprocher un poil plus d’une cantina à la Star Wars, en unissant plus qu’elle ne le fait la diversité des marginaux de Runeterra. Les costumes, quant à eux, ne font qu’enrichir un décor déjà très honorable.

Quant aux combats, ils sont étonnamment rares. Et heureusement. La tentation est grande de donner des cinématiques de 45min aux joueurs, où ils verraient leur mage fétiche enchaîner les sorcelleries (et au vu du catalogue de League of Legends, il y aurait fort à faire). Ici, l'affrontement est rythmé et cadré comme si c’était du cinéma noir hongkongais, et la chorégraphie suffit à donner de l’intensité. Nul doute cependant qu’au fur et à mesure du développement de l’Hextech et du dopant de Silco, nous aurons un aperçu légitime des compétences de nos champions favoris.

 

photoL'underworld de Piltover réclamera bientôt son indépendance

 

Qu'en attendre de plus ?

Arcane semble être le point de départ d’un récit plus grand. Dans League of Legends, l’Hextech est une technologie courante. Ses usages par de nombreux personnages dans de nombreuses régions seront des points de narration futurs. À l’instar de Warcraft, le commencement, Riot Games n’a pas sauté sur les aspects les plus appétissants de son univers pour s’attirer les appétences des joueurs. Le studio décide en effet de construire sa mythologie depuis l’apparition d’une technologie fantastique qui sera la base de la construction des champions, et donc des personnages.

Qu’attendre donc de la suite d’Arcane ? D’une autre série par la suite ? Arcane a encore cinq épisodes dans le ventre, et il lui incombe de nous montrer la révolution qui mènera Zaun à la lumière, mais aussi les destins liés de Viktor et Jayce, dont on attend impatiemment de découvrir les compétences relatives à l’Hextech. On espère également voir le dénouement de la relation unissant Powder, désormais Jinx à Vi, tout en sachant si la technologie de Silco et l’Hextech seront utilisées pour le bien commun ou mèneront au chaos. Mais surtout, on espère voir d’autres champions à l’écran, à l’instar d’Ezreal, l’archéologue impertinent, Singed, le vieillard cupide et transhumaniste, ou encore Ziggs, le fana d’explosifs et acolyte de Jinx.

 

photoLe mystique qui a sauvé la mère de Jayce laisse entrevoir une galaxie d'autres récits possibles

 

En tout cas, Arcane commence plutôt de manière prometteuse. Le récit est autonome, riche et donne envie de découvrir la suite, malgré ses quelques défauts (incluant un scénario pas souvent surprenant, et quelques longueurs narratives lorsqu’il faut nous mettre sur une piste dont on donc a déjà filé la trace). Il donne envie de se plonger dans le jeu Legend of Runeterra, qui a sans doute été la genèse de son univers, et aussi de suivre ce récit classique, mais efficace, en grande partie grâce à la concentration de talent responsable de sa production.

Pour en apprécier les qualités, il faut toutefois accepter que pour son bien (et le nôtre) il se refuse à immédiatement nous donner ce qu’on souhaite, c’est à dire un moment en compagnie de nos champions favoris, qui devrait arriver une fois que leur trame de fond sera soigneusement mise en place.

Trois épisodes de Arcane sont disponibles sur Netflix en France depuis le 7 novembre 2021. Puis trois nouveaux dès le 13 novembre et les trois derniers, dès le 20 novembre.

Tout savoir sur Arcane

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Sombre005
19/11/2021 à 23:58

Cette série mérite une sortie en Blu-Ray 4K et d'être dans ma collection personnelle.

Je ne connaissais pas le studio d'animation derrière. Français en plus, ils pourront toucher du monde à l'international. Le risque serait que les talents soient rachetés par Disney.

Peut-être une interview à faire des dirigeants.

Decebe
16/11/2021 à 20:38

Il me reste seulement 3 épisodes à voir et la série est simplement magnifique. L’histoire est adulte, on se prend à aimer la majorité des personnages tous plus ou moins bien écrits et techniquement c’est d’une beauté époustouflante. Cerise sur le gâteau, la mise en scène est inspirée et les scènes de combat laissent loin derrière ce qu’on voit généralement au ciné : C’est super bien cadré et monté. Une véritable pépite à découvrir si vous ne l’avez pas encore fait.

Nimijeutron
10/11/2021 à 02:54

Pour apporter des précisions on adapte certe des personnages connue du League of legend mais au quel on en sait très peu mis a part dans d'autres médias qui sont dans le même univers comme par exemple de histoire courte, des collaborations avec Marvel avec des bd disponible gratuitement et en vente physiques sur le site de riot games dans la partie du moba avec une carte interactive et les biographies des personnages qui faut reconnaître s'ont assez vague en particulier pour des champions qui on plus de 10 ans d'existence et le cas de legend of runtera nous présente les personnages secondaires et principaux mais c'est informations doivent être prendre avec des pincettes car riot donne les outils est laisse les fans interpréter leur propre interprétation. Je n'excuse en rien les défauts comme la focalisation sur des personnages du jeux pour un néophyte de cette univers est un défaut mais pour quelqu'un connaissant l'univers a un peu payer pour se résultats donc cela est sujet à interprétation a voir se que propose la série dans son entièreté car la série viendra de manière dispatcher 3 épisode par 3 les premiers sorte le 7 novembre et les suivants arriverons le 15 novembre 2021 a voire .

Matthias Mertz
09/11/2021 à 23:59

@Olivier59 & @TheTruth :

Je me suis demandé si j'avais exagéré en disant que c'était un bon programme même pour une audience étrangère au jeu; très content que ça ne semble pas être le cas et que ça vous ait plu !

Olivier59
08/11/2021 à 23:42

Je suis tout à fait étranger à l'univers de base. Cependant, j'ai ADORÉ cette série. J'attends avec impatience la suite. La réalisation est tout bonnement incroyable, que ce soit sur l'animation ou le style visuel. Un grand BRAVO au Studio.

TheTruth
08/11/2021 à 11:19

Perso, je connais pas du tout le lore de LoL et Runeterra, j'ai adoré !
Gros respect ! Visuellement, c'est juste ma-gni-fi-que O_O
Rien à dire, ce mix 2D/3D, les animations...à ce niveau c'est presque une révolution !
Histoire un peu prévisible (quoi que, je m'attendais pas du tout à cette fin) mais terriblement efficace et touchante.
La meilleure production Netflix 2021 pour moi.

Pi
07/11/2021 à 14:38

J'ai regardé le premier épisode et franchement, je trouve ça très bon.

Le design d'abord. On sort enfin de la 3D lisse et froide des séries qui utilisent ce procédé pour aller vers le design classique du dessin animé 2D dessiné par des humains. L'animation est d'une fluidité et d'un naturel dans les mouvements et les expressions qui fait qu'on a plus l'impression de suivre une série live qu'un animé. Les décors, l'éclairage des scènes, la mise-en-scène, le design des objets, l'action en elle-même penche beaucoup plus du côté du cinéma que de l'animation d'origine américano-européenne habituelle. Et on sort aussi du design des animés nippons au kilomètre qui se ressemblent toutes.

Enfin, le fait que ce soit un studio français qui est à l'origine de cette oeuvre fait chaud au coeur. J'ai été intervaliste dans un studio à Angoulême dans mon adolescence et que je rêvais de faire carrière dans cette branche. On avait en France tous les talents disponibles pour faire du dessin animé un secteur aussi puissant que les Japonais. Un soutien des pouvoirs publics aurait pu permettre de protéger les auteurs français du dumping social japonais, puis coréen et chinois. Même Chalopin a dû faire dessiner ses séries en Asie.

Bref, le retour du dessin animé en France, surtout dans cette qualité est une très bonne nouvelle.