The Bear saison 2 : critique qui met les bouchées doubles sur Disney+

Antoine Desrues | 16 août 2023
Antoine Desrues | 16 août 2023

Succès surprise de 2022, The Bear a été dépeinte unanimement comme une pépite d’efficacité et d’écriture. En explorant les coulisses d’un restaurant mourant et sa difficile remise sur pied par le jeune chef Carmy (Jeremy Allen White, toujours excellent), la création de Christopher Storer (et Joanna Calo) a su assembler avec équilibre ses ingrédients. A la fois série culinaire alléchante et drame stressant, la saison 1 devait beaucoup à la finesse de ses personnages, et à la folie des situations qu’ils avaient à affronter. Forte sur ses appuis, sa suite parvient à aller encore plus loin, et à s’imposer comme l’une des séries incontournables de cette année.

Défaite de famille

S’il est facile de voir des professionnels critiquer sur Youtube la peinture de leur métier dans un film ou une série, beaucoup de restaurateurs se sont accordés sur la réussite de The Bear, et plus particulièrement sur son absence de glamour pour le monde culinaire. Au-delà des contingences d’un milieu fortement touché par la crise économique, la gestion d’une équipe et sa coordination dans l’urgence d’un service reste hautement stressante.

Ce stress, Christopher Storer en a fait le point d’orgue dramatique de sa série, en le laissant prendre toute la place de séquence en séquence, puis d’épisode en épisode. A travers chaque montage stylisé ou chaque gros plan à l’épaule, la pression construite par le réalisateur et showrunner a amené ce crescendo vers l'explosion inévitable de son avant-dernier épisode (La Critique), et son plan-séquence transformant ce chaos total en ballet déroutant.

A priori, ce point de non-retour symbolisait la nécessité de tout reprendre à zéro, à commencer par un restaurant qui se délestait enfin du lourd poids de son passé (le décès de Michael, le frère de Carmy). Pour autant, The Bear n’est pas soudainement devenue une série feel-good avec sa saison 2. Au contraire, elle détourne à plusieurs reprises nos attentes pour nous replonger au cœur de ses angoissantes situations. Là où la première salve d’épisodes se contentait d’un court flash-back, sa suite ancre son chapitre central (le sixième, Fishes) dans le passé, à la manière d’une clé de voûte inattendue.

 

The Bear : photoLe calme avant la grosse tempête

 

Nous voilà au cœur d’une fête de Noël chez la famille Berzatto, où les caméos (Bob Odenkirk, Jamie Lee Curtis) fusent autant que les cris et autres engueulades, le tout sur une durée volontairement éreintante (une heure, contre les 30 minutes habituelles de la série). Avec maestria, Storer façonne un huis-clos oppressant, où ses compositions obstruées montrent des personnages empesés par leur incapacité à dialoguer. Les tête-à-tête ne sont que de courte durée, et sont toujours rattrapés par la rancœur, la cacophonie et le mal-être d’une famille qui ne sait pas exprimer son amour.

La détresse ressentie par Carmy et sa sœur Natalie nous explose en plein visage, tandis que le final éruptif de Fishes nous renvoie aux mécanismes de défense qu’ils se sont construits depuis le début de la série. Par un langage de l’image et de la narration hautement maîtrisés, The Bear nous aide à comprendre la maladresse des Berzatto, et surtout celle de son protagoniste, véritable prodige qui cherche à se recomposer une famille, dans le but d’avoir enfin le contrôle sur elle, et d’en tirer un acte créatif satisfaisant.

 

The Bear : Jeremy Allen White, Ayo EdebiriPas de restau... pas de restau

 

Food Wars

Reste que la cuisine – symbole par excellence du partage – n’est pour Carmy qu’une nouvelle façon de se propulser dans ce stress, voire de reproduire les erreurs du passé à une échelle professionnelle. Mais c’est aussi dans ces moments que la série est à son meilleur : les fêlures de ses personnages n’ont jamais à être jugées, même lorsque leurs choix nous poussent à crier sur notre écran comme devant un film d’horreur. Carmy n’est que la face émergée et impulsive d’un iceberg qui se refuse de s’autoriser quelconque bonheur, par peur de tout casser.

Les expérimentations culinaires de la bande deviennent plus que jamais les tentatives contenues d’un accomplissement par l’harmonie et l’équilibre, soit exactement ce que leurs vies ne peuvent supporter. C’est pourquoi Christopher Storer a la brillante idée de sortir son héros désœuvré de sa coquille, et de lui imposer une relation amoureuse qui le dépasse avec un crush d’antan (offrant au passage l’une des plus belles scènes de la saison, au travers d’un champ-contrechamp d’une touchante intimité, concentré sur les visages de ce ping-pong verbal).

Ainsi, The Bear profite de sa structure sérielle pour prendre la forme d’une montagne à gravir, dans son enjeu principal (la réouverture du restaurant et son compte à rebours) et dans ses sous-intrigues parfaitement reliées entre elles. Si Carmy a une influence positive évidente sur les membres de son équipe, ceux-ci ont l’opportunité de progresser de leur côté, et de sortir des rouages toxiques dont est encore prisonnier le protagoniste.

 

The Bear : photoRichie (Ebon Moss-Bachrach), le meilleur personnage de la saison 2

 

Le Goût de la vie

L'épisode 6 devient alors un contre-point nécessaire au reste de la saison, et surtout à ses apartés : Sydney (Ayo Edibiri, rayonnante) cherche l’inspiration dans la cuisine de Chicago, Marcus (Lionel Boyce, touchant) part étudier la pâtisserie à Copenhague et Richie (génial Ebon Moss-Bachrach) retrouve une raison d’être en rejoignant l’un des meilleurs restaurants du monde.

Si on appréhende ces pas de côté et la manière dont ils pourraient (encore) rabaisser les personnages, Storer nous sort des codes habituels de sa série. Au détour de simples tâches, où le montage frénétique du metteur en scène et showrunner se calme, la caméra s’attarde sur des conversations. L’écoute et l’empathie se mêlent à la satisfaction de la précision, tandis que chacun partage ses leçons de vie, ses échecs comme ses réussites.

 

The Bear : Lionel BoyceL'une des scènes majeures de cette saison

 

Non seulement la saison accentue l’importance de ces instants par deux merveilleux caméos, mais elle en fait l’antithèse de l’épisode 6. Avec ses voix basses, ses gestes doucement répétés et son absence de musique, The Bear semble emprunter les préceptes de l’ASMR, afin d’offrir des moments suspendus, où la cuisine redevient ce symbole de partage délaissé par Carmy. Un geste d’amour, qui redonne du sens à ceux qui n’arrivaient plus à s’aimer eux-mêmes (métaphorisé par Richie, qui se met à chanter Love Story de Taylor Swift dans sa voiture, en pensant à sa fille).

Par ces petits détails, et l’intelligence de sa structure globale, cette saison 2 entreprend également un geste d’amour inconditionnel envers sa bande de cuistots, avec une tendresse bouleversante. The Bear est à n’en pas douter l’une des meilleures séries du moment, mais elle réussit surtout l’essentiel pour une série incontournable : nous faire oublier dans la durée la minutie de son écriture, pour que les personnages s’effacent au profit de véritables êtres humains, qu’on pourrait presque toucher de l’autre côté de l’écran. Tout comme leurs plats.

La saison 2 de The Bear est disponible en intégralité sur Disney+ depuis du 16 août 2023.

 

The Bear : photo

Résumé

Après une première saison surprenante, The Bear prolonge le parcours passionnant et contradictoire de ses personnages dans l’une des séries les mieux écrites du moment. Une précision en accord avec celle de ses cuisiniers, qui continuent de nous donner l’eau à la bouche autant qu’ils nous font pleurer.

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Lecteurs

(3.4)

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commentaires
Peter999
07/09/2023 à 07:40

Masterpiece

Lo
26/08/2023 à 20:26

Après l’excellente saison 1, j’appréhendais cette nouvelle saison. Et pourtant cette saison 2, qui a la bonne idée de s’attarder sur ses personnages, égale la première sans la copier. Ça faisait bien longtemps que je ne m’étais pas attaché autant à des personnages dans une série. Une mention spéciale à Jaimie Lee Curtis pour son incroyable interprétation.

Miss M
21/08/2023 à 12:38

Du pur caviar cette série ! 2 saison magistralement menées (je ne connais pas les infos mais j'en suis à souhaiter qu'il n'y ai pas de suite tellement ça se suffit et c'est bon...) avec en point d'orgue évidemment l'ép Fishes... Bon sang mais quelle tension, quels jeuc des actrices et acteurs... dans l'océan de déchats visuels qu'on se tape à longueur de temps, quel bonheur d'avoir ce genre de créations aux petits oignons.

MoiLeVrai
21/08/2023 à 10:16

La série est excellente, les deux saisons sont très bonnes. J'aime en particulier la finesse avec laquelle on nous raconte les personnages et qui ils sont, à travers des scènettes de 10s, parfois sans dialogues, couplées à des discussions simples au detour d'une tâche de cuisine.

Néanmoins, son défaut principal à mes yeux est que des solutions se résolvent un peu trop rapidement, comme par magie parfois. Et également l'épisode du diner durant lequel ca ne fait que gueuler pendant 1h, c'était presque insupportable en ce qui me concerne (mais j'ai du mal avec les scenes cacophoniques, ce n'est pas propre à cette série).

Charles010
21/08/2023 à 01:55

La saison 1 était excellente, la 2 est encore meilleure. Si vous ne l’avez pas encore regardée c’est le
Moment !

La purge
18/08/2023 à 20:50

J'ai décidé de regarder la série après avoir lu cette critique....mon dieu qu'elle est excellente! Acteurs géniaux.
On s'attache à tous les personnages qui évoluent durant les 2 saisons ( Richie est devenu mon préféré)
L'épisode 6 est hallucinant.
La scène de la banane au chocolat m'a fait verser une larme.
Je conseille très fortement cette série.

VIRGI29
18/08/2023 à 13:36

L'épisode sur richi est celui qui m'a le plus procuré d'émotion.
j'ai adoré le dernier épisode avec 2 salles de ambiance.
cette série est d'un réalisme ....

brucetheshark
18/08/2023 à 09:39

L'épisode 6 de la saison me hante encore

Picasso sensei
17/08/2023 à 20:52

Je confirme, la saison 2 est encore plus excellente. Bravo à l'équipe technique et surtout aux acteurs. Perso je trouve fantastique le jeu de la sous chef. Et jeremy Allen est toujours investi, il a réussi à se détacher du reste du cadting.

brucetheshark
17/08/2023 à 18:24

J'avais plus été attaché a des personnages depuis très longtemps

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