Chloe : critique obsessionnelle sur Amazon

JL Techer | 24 juin 2022 - MAJ : 28/06/2022 19:59
JL Techer | 24 juin 2022 - MAJ : 28/06/2022 19:59

Créée par Alice Seabright et Amanda Boyle pour Amazon Prime Video en collaboration avec BBC Studios, Chloe offre une plongée dans la psyché de Becky, jeune femme coincée dans une insatisfaction constante. La mort de Chloe, une ancienne amie avec laquelle elle entretenait une relation trouble, l'entraîne dans un thriller psychologique entre quête de vérité, faux-semblants et recherche d'identité. Critique garantie sans spoiler.

Chloe n'est pas Chloe

La série Chloe n'est pas ce qu'on veut nous faire croire. Chloe n'est pas une série qui parle de Chloe, et pour cause : Chloe n'est pas Chloe, elle n'est qu'une image diffusée sur les réseaux sociaux, qui apparaît au hasard des heures de scrolling sur Instagram, noyée parmi des milliers d'autres. Pourtant, tous ses followers prennent plaisir à croire à cette image, à liker, commenter, partager chacun des instants de sa vie dorée, parfaite en apparence. Qu'elle ne soit qu'apparence ou non, qu'importe, seul compte le fait que le monde se plaît à y croire, ou à faire semblant d'y croire.

Avec Chloe, Alice Seabright et Amanda Boyle (Kursk, Skirt, Pop Art) posent le personnage de Chloe comme une énigme qui vient questionner le rapport de tout un chacun aux réseaux sociaux, et surtout se demandent pourquoi il est si aisé et si séduisant de vouloir y croire. Leur réponse est simple : cette nouvelle foi masque et comble le vide de nos propres vies. Quand un Cronenberg hurle son culte de la nouvelle chair, les créatrices du show clament l'importance d'une nouvelle foi : celle de l'existence de la vie parfaite existant sur les réseaux sociaux.

 

Chloe : photo Erin DohertyVis ma vie de follower

Pour Seabright et Boyle, les réseaux sont à mettre en parallèle avec l'allégorie de la caverne de Platon : il est bien plus aisé de rester fasciné par le spectacle des ombres projetées sur le mur de la caverne que de se libérer des chaînes qui entravent le jugement et l'esprit critique. Briser ces chaînes, c'est le risque de tout voir s'effondrer autour de soi, le risque d'être confronté à une réalité morne, triste, faite de déception et de violence. Cependant, il s'agit du seul moyen d'accéder à la vérité.

Chloe est l'odyssée hors de la caverne menée par Becky Green qui, au lendemain de la disparition d'une ancienne connaissance, Chloe Fairbourne, décide de faire la lumière sur les raisons de son décès. Elle se retrouve confrontée aux zones d'ombre de la vie de cette amie avec qui elle a entretenu une relation ambiguë, loin de l'image parfaite qu'elle s'était bâtie sur les réseaux sociaux. Chloe n'est donc pas l'histoire de Chloe, mais celle de Becky, qui du fond de la caverne, tâche de trouver le chemin de la vérité : la vérité sur l'identité de Chloe, mais aussi sur la sienne.

 

Chloe : photo Erin DohertyElle a l'air moins glam sans les filtres Insta

 

CHloe VS Becky VS Sasha

Erin Doherty, déjà brillante dans la peau de la Princesse Anne de The Crown, porte la série entière sur ses épaules. Dans le rôle de Becky Green, elle dévoile un panel d'émotions impressionnant. Tour à tour forte, passionnée, fragile, ambiguë, elle endosse une multitude d'identités différentes, grâce à un jeu maîtrisé d'une rare puissance. De la première à la dernière seconde, elle est d'une sincérité totale, et est la colonne vertébrale des six épisodes de ce thriller.

Qu'elle soit femme fatale, le regard perdu dans le vide de moments de détresse, ou alors la Becky femme-enfant prisonnière d'une relation-prison envers sa mère atteinte d'une maladie cérébrale dégénérative, Erin Doherty est d'une crédibilité à toute épreuve. Elle éclipse le reste du casting, pourtant très honnête, dont Billy Howle dans le rôle d'Elliot Fairbourne, époux éploré de Chloe, et Pippa Bennett-Warner qui campe Livia Fulton, ancienne meilleure amie de la disparue.

 

Chloe : photo Erin Doherty, Pippa Bennett-WarnerPar contre la fashion police sonne l'alarme face à ce motif floral

 

Becky est bien plus complexe qu'elle n'en a l'air. Pré-trentenaire obsédée par les réseaux sociaux, elle ne cesse de revenir constamment au compte de Chloe Fairbourne, dont elle envie la vie rêvée. Sans vie professionnelle passionnante ni relation durable, Becky ne trouve d'excitation que lorsqu'elle endosse d'autres identités spécialement celle d'Helena, pour s'infiltrer dans les soirées de la haute société, et souvent finir dans le lit d'une rencontre à son goût, qu'elle utilise pour son propre plaisir. En réalité, Becky n'est que blessures narcissiques et fractures psychiques.

Des meurtrissures qu'elle ne parvient à combler que par son jeu des fausses identités. À la mort de Chloe, personne/fantasme qui l'obsédait, Becky use de ses talents de caméléon social pour se fondre dans l'entourage de son ancienne amie, et découvrir pourquoi celle-ci a tenté de l'appeler quelques minutes avant son suicide. La quête de vérité se mue rapidement en autre chose, à mesure que Becky, sous l'identité de Sasha, se love dans les restes de l'existence de Chloe. Le thriller se travestit presque en film de hantise nihiliste, naviguant entre les styles comme son héroïne passe d'une identité à l'autre, au risque de finir par se perdre.

 

Chloe : photo Erin Doherty, Lisa PalfreyUne relation mère-fille enthousiaste (non)

 

Faux-semblants

À l’instar de Becky qui navigue entre les vies rêvées d'autres versions d'elle-même, le scénario d'Alice Seabright ballotte le public entre les genres. Enquête policière et thriller de prime abord, à mesure qu'elle sème indices et fausses pistes concernant la réelle personnalité de Chloe, la série glisse vers les autres genres, et va jusqu'à flirter avec les canons du film de hantise à partir de son quatrième épisode, avec quelques beaux moments hallucinatoires. Alors que Sasha prend le pas sur l'identité de Becky, l'image de Chloe vient bousculer la santé mentale de l'héroïne.

La réalisation un peu plate des premiers épisodes prend alors une tout autre ampleur, et alors que l'on pouvait craindre un ventre mou, la série assène une belle dose d'adrénaline au spectateur grâce à un malaise de plus en plus palpable. Une piqûre de malaise qui a clairement pour but de secouer le public, avant de ramper lentement vers un final intimiste et mélancolique, aux antipodes du whodunit classique. La critique acerbe des réseaux sociaux, le thriller psychologique, les relents de films de hantise... tout cela n'était là que pour amener le public à se questionner sur ses propres faiblesses, ses propres blessures et regrets.

 

Chloe : photo Poppy GilbertUn sourire de façade

 

Les vies de Becky et Chloe sont faites de rendez-vous manqués. Alors qu'elle s'éloigne des réseaux sociaux, Becky sombre peu à peu dans les moments d'absence, rêvassant des "Et si...?" qu'aurait pu être sa vie, déclinant les multiples variations de sa propre existence, comme si le temps de cerveau disponible consacré à cette navigation stérile avait tué dans l'œuf le champ des possibles d'une existence meilleure.

Bien que se dégage une forme de nihilisme latent de la série, celle-ci n'est pas sans espoir. Le message est clair : pour trouver sa propre paix, le chemin est long et douloureux, et passe d'abord par l'acceptation de sa propre identité et de ses racines. Ce n'est qu'à ce prix que l'odyssée-allégorie de Platon trouve sa résolution, qui ici se trouve dans le dernier plan, où Becky a enfin atteint la libération, et accepté sa propre vérité.

Chloe aurait pu s'appeler "Becky" tant Chloe n'est en réalité qu'un prétexte à la quête d'identité de l'héroïne. Une quête riche qui joue avec les genres pour interroger son public, mais qui malgré ses qualités narratives oublie un peu de le tenir en haleine. Alors que le thriller s'efface au profit d'une introspection presque paranoïaque, le rythme devient quelque peu souffreteux avant une libération finale subtile et douce amère. 

Chloe est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video depuis le 24 juin 2022

 

Saison 1 : Affiche officielle

Résumé

Chloe est une série qui brille par sa sincérité. Sous couvert d'un thriller psychologique, la série porte un regard mélancolique doux-amer sur les images factices véhiculées par les réseaux sociaux et questionne sur les vérités qu'elles cachent. Portée par une Erin Doherty magnétique, elle se dévore d'une traite avec un plaisir qui lui, est non feint. 

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commentaires
Metuxla
14/12/2022 à 17:06

Enfin vu et aucun regret. bon casting 6 épisodes donc le rythme est idéal avec son lot de twist et d'interrogation et même si le final est clivant, j'ai apprécié la forme et le fond

Barnabé Cherèle
27/06/2022 à 09:31

"La morte de Chloe" ;-)

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