Super Pumped : la face cachée d'Uber - critique qui veut l'argent d'Uber sur Canal+

Ange Beuque | 16 juin 2022
Ange Beuque | 16 juin 2022

Créée par Brian Koppelman, David Levien et Beth Schacter, Super Pumped est une série d'anthologie auscultant des entreprises dont la réussite a provoqué d'importantes répercussions sociétales. Sa première saison est à suivre sur Canal+ et place Joseph Gordon-Levitt en PDG d'Uber, avec Kyle Chandler dans le rôle d'un investisseur et Uma Thurman en gourou à l'accent chatoyant.

HeCrashed

Le problème d'une entreprise de taxi, c'est que les chauffeurs lui coûtent cher. C'est du moins ce qu'ont dû se dire Garrett Camp et Travis Kalanick en 2009 au moment de fonder UberCab, qui deviendra Uber. Leur solution : développer une application qui met en contact des particuliers et des chauffeurs, sans salarier ces derniers. Un coup de génie conceptuel qui débouche sur une licorne, ces fameuses start-up valorisées à plus d'un milliard de dollars... et soulève quelques interrogations éthiques.

Du Steve Jobs de Danny Boyle au WeCrashed récemment porté par Jared Leto sur Apple TV+, en passant par The Dropout avec Amanda Seyfried, les scénaristes puisent régulièrement l'inspiration dans les coulisses de la Silicon Valley, ce microcosme foisonnant où la frontière entre l'idée révolutionnaire et la bouffée délirante ne tient parfois qu'à une poignée de relais médiatiques et financiers.

 

Super Pumped : Joseph Gordon-LevittOn ne peut pas avoir 91 millions d'utilisateurs sans se faire quelques ennemis

 

Super Pumped évoque tout particulièrement le bijou The Social Network de David Fincher, avec son héros dont la réussite objective ne peut étancher les fêlures narcissiques. D'ailleurs, les créateurs ont déjà annoncé que la seconde saison traitera d'un certain... Mark Zuckerberg.

La série s'appuie sur le livre Super Pumped: The Battle for Uber du journaliste du New York Times Mike Isaac et exploite à plein la fascination exercée par la Silicon Valley et ses incubateurs sur patte, dont l'inexpugnable combativité et la rouerie suscitent une admiration mêlée de défiance.

 

Super Pumped : Joseph Gordon-Levitt Vous ai-je parlé de mon idée de prototype d'hoverboard ?

 

Loin de rebuter le spectateur, leur dimension passablement distante et antipathique participe du succès de ces fictions « fortement inspirées de faits réels ». Que ce soit par curiosité hypnotique pour ces épicentres du capitalisme échevelé, soif de potin, besoin de traquer un cœur palpitant derrière les algorithmes qui scandent nos quotidiens ou espoir morbide de voir durement châtiés ces margoulins, les raisons de rester subjugué devant leur geste entrepreneurial ne manquent pas.

Super Pumped coche scrupuleusement les cases du rise and fall dans le milieu de la Tech sans le transcender. Même sans être particulièrement au fait des soubresauts bien réels qui jalonnent la croissance d'Uber, la trajectoire globale des protagonistes est prévisible. Rien de rédhibitoire en soi puisque le spectateur obtient précisément la course qu'il avait commandée, mais en privilégiant le rythme effréné des péripéties, le récit s'interdit tout approfondissement qui lui aurait permis de dégager quelques spécificités.

 

Super Pumped : Uma ThurmanLe fil d'Arianna

 

De la Tech tonique

Entre recherche de partenaires aux reins solides et à la foi inébranlable, cadrage de la concurrence, gestion du personnel, lutte d'influence, quête de visibilité, changement d'échelle et obstacles légaux, la pérennisation d'une licorne n'est pas de tout repos. La série adosse son rythme à cette succession ininterrompue d'impondérables, épousant l'élan mortifère du grow or die en une fuite éperdue vers l'avant.

Super Pumped pimpe son programme par sa narration non linéaire, son montage ultra-dynamique et sa réalisation énergique enrichie de petites pastilles ludiques. Qu'il s'agisse d'une discussion téléphonique en split screen dont le sous-titrage traduit la teneur réelle derrière l'apparence policée, de ces inserts tapageurs ou de cette voix off sarcastique assurée par un certain Quentin Tarantino, les idées ne manquent pas pour polir la carrosserie.

 

Super Pumped : Joseph Gordon-LevittBeing a jerk in 14 lessons

 

Et si constater que la Silicon Valley n'est pas littéralement peuplée de licornes empathiques gambadant sur des arcs-en-ciel pailletés ne constitue pas un scoop – si c'en est un pour vous, vous devriez reconsidérer l'objet sur lequel vous lisez cet article – la série ne s'en montre pas moins pertinente.

Conformément au thème qui reliera les différentes saisons de l'anthologie, Uber n'a pas seulement révolutionné son secteur d'activité : son concept et son succès ont eu un impact substantiel sur nos sociétés occidentales et notre manière d'envisager le travail – la fameuse « ubérisation ». Les péripéties qui jalonnent sa croissance soulèvent des problématiques éminemment contemporaines : protection des données, précarisation des contrats, surveillance...

 

Super Pumped : Joseph Gordon-Levitt, Uma ThurmanYoga Thurman

 

Via l'immoralité de ceux qui ont façonné Uber, la série pointe les failles structurelles qui sous-tendent l'utopie d'extrême flexibilité. À titre d'exemple, l'implication d'Arianna Huffington – épatante Uma Thurman – n'est pas sans ouvrir quelques pistes de réflexion, puisque le site d'information éponyme qu'elle a fondé ne rémunère pas forcément ses contributeurs.

Super Pumped apporte quelques contrepoints humains aux puissantes magouilles du fondateur en suivant un chauffeur interprété par Mousa Kraish et une employée (Eva Victor) harcelée par son supérieur direct. La question soulevée de la toxicité et du sexisme dans la culture d'entreprise évite l'impasse du sous-arc opportuniste en se voyant consacrer un pan entier du cinquième épisode, à coup de destruction du quatrième mur et de prise à témoin du spectateur.

 

Super Pumped : Joseph Gordon-Levitt, Jeremy Howard« Are you an asshole »,  préambule d'un speed dating ordinaire dans l'éducation nationale

 

Le poulain qui se voulait requin parmi les licornes

Le cœur de la série demeure évidemment Travis Kalanick, qui a cofondé Uber et l'a conduit vers la renommée qu'on lui connaît. Joseph Gordon-Levitt lui prête ses traits et commue sa bonhomie naturelle en façade avenante derrière laquelle pointe la suffisance.

C'est peu dire que la série en dresse un portrait à charge. Immature, égotique, méprisant et méprisable, d'un cynisme à toute épreuve et plus enclin au damage control qu'à la repentance introspective, Travis étale ses failles narcissiques tout au long des sept épisodes. Il se gargarise d'enfreindre la loi et agit comme dans un cartoon dont il serait libre de composer les règles à sa guise, ou un jeu vidéo où seul compterait son accomplissement personnel.

 

Super Pumped : Joseph Gordon-LevittDe Snowden à Kalanick, combats opposés pour les données

 

Son goût prononcé pour les monologues inspirants et les apologues contemporains au débit mitraillette évoquent la verve sorkinienne et font écho au Zuckerberg interprété par Jesse Eisenberg devant la caméra de David Fincher.

Le procédé relève presque du pastiche et de la contrefaçon freudienne tant Travis jette sur les Jeff Bezos, les Larry Page, les Tim Cook un regard de fan frustré, convaincu de mériter une place à leur table tout en rêvant secrètement de les déboulonner. Ses discours sont gorgés de références et d'allusions à des modèles auxquels il tente de s'identifier, aspirant à devenir quelqu'un alors qu'il n'essaie finalement que de devenir quelqu'un d'autre.

La réalisation en épingle malicieusement les contre-vérités plus ou moins conscientes, trahissant l'artificialité de son univers en dévoilant parfois un pan de mur vert, qu'il s'agisse de déconstruire le récit sublimé d'une rupture ou de transformer un supposé entretien-vérité à Cupertino en Questionnaire à Mensonges Multiples.

 

Super Pumped : Joseph Gordon-Levitt, Babak TaftiPumbed and Pumber

 

Ceux qui l'entourent sont impuissants à tempérer ses mauvais instincts. Nombre de ses employés le suivent dans tous ses outrages, aveuglés par son audace et son narcissisme verbeux, trop heureux d'intégrer sa cour constituée pour l'essentiel de jeunes mâles blancs ayant troqué la session de golf contre une partie de Wii sport pour se rêver en maîtres du monde, et dont l'inconséquence serait touchante si elle n'avait de réelles implications humaines. Quant à Uma Thurman, qui campe une truculente Arianna Huffington, la seule dont il respecte sans réserve l'autorité, elle agit en électron libre.

Parmi ceux qui l'enjoignent à « prendre ses responsabilités » figure l'investisseur Bill Gurley interprété par Kyle Chandler (familier de l'univers du capitalisme décomplexé depuis Le Loup de Wall Street), qui tente de faire contrepoids pour éviter la sortie de route – moins par altruisme que par intérêt financier certes, mais dont la rationalité et la pondération offrent par contraste un semblant d'humanité.

Super Pumped est diffusé chaque jeudi sur Canal + depuis le 2 juin et disponible en intégralité sur MyCanal

 

Super Pumped : Affiche US

Résumé

Bien emballé, très rythmé et servi par l'abattage de Gordon-Levitt en visionnaire pathétique, La face cachée d'Uber ne se prétend pas aussi disruptif que la société qu'il dépeint, mais soulève nombre de problématiques sociétales on ne peut plus contemporaines. On est super pumped !

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Lecteurs

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commentaires
alulu
16/06/2022 à 20:10

Les propos de Pi m'ont fait penser à American Psycho et c'est vrai que ça casse un peu les yeuks, l'iconisation de l'ultra riche.

Kyle Reese
16/06/2022 à 19:02

J’aime bien Gordon Levitt mais je passerais mon tour car j’ai vue et récemment Drop out que j’aî bcq aimé mais je n’ai plus envie de découvrir ce genre de personnages antipathique qui misent sur le disruptif pour s’imposer de manière parfois irresponsable, et qui étaient érigés il y a peu en héros par la presse et le public qui ne voyaient que la surface visible de leur réussite, et le fameux story tellîng si facile à gober. Leur fortune demeusurée se fait souvent sur le dos de beaucoup d’autres.
Les choses commencent à changer, les investisseurs font plus attention et ces boites se font rattraper doucement par les états et leur lois. Juste retour de bâton, il était temps.

Et pendant ce temps là les cryptos monnaies se cassent la gueule … welcome to the real comme disait Morpheus. Vous prendrez bien une petite pilule de NFT pour la route ! :)

Pi
16/06/2022 à 18:18

Je n'ai pas dépassé le premier épisode que j'ai trouvé exténuant. La faute au montage qui rend l'ensemble difficile à suivre et n'explique pas grand chose, notamment sur les enjeux légaux et sociétaux, et au jeu d'acteur de Josph Gordon-levitt dont ce n'est pas le meilleur rôle.

Je le trouve plus intéressant dans des séries comme Mr. Corman.

L'aspect qui m'a le plus déplut c'est certainement le fait qu'à l'instar de Wecrashed, on nous narre la vie d'abrutis complets qui dans une réalité normale seraient considérés comme les branques qu'ils sont et probablement mis en prison pour escroquerie en bande organisée.

Dans les deux séries on nous montre donc l'ascension de sociopathes qui font et racontent n'importe quoi mais sont récompensés pour leur délires parce que dans le néo libéralisme plus c'est gros plus ça passe et plus ça rapporte de tune. L'idée étant de détruire les léglisations sur le travail pour transformer tout le monde en esclave 2.0 à disposition H24 des algorithmes.

Je suis d'accord pour dénoncer les travers de la Silicon Valley via des fictions plus ou moins en rapport avec des évènements réels mais pas pour que finalement ces séries finissent pas inconiser tous ces débiles. Surtout qu'à l'heure actuelle la Uber-économie se trouve face à pas mal de résistance partout dans le monde.

Stivostine
16/06/2022 à 18:14

Joseph Gordon-Levitt est insupportable, une horreur.

Sanchez
16/06/2022 à 17:34

Le sujet est pas hyper sexy

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