Severance : critique qui retourne le cerveau sur Apple TV+

Alexandre Janowiak | 8 avril 2022 - MAJ : 08/04/2022 13:33
Alexandre Janowiak | 8 avril 2022 - MAJ : 08/04/2022 13:33

Apple TV+ est sans aucun doute la plateforme de streaming la plus sous-côtée du marché, et elle le confirme une fois de plus avec sa nouvelle création SeveranceCréée par Dan Erickson et réalisée en majeure partie par Ben Stiller (qui continue son chemin derrière la caméra après l'excellente Escape at Dannemora), la série dystopique raconte l'enfer du monde du travail et se révèle un sacré tour de force esthétique et scénaristique.

escape at lumon industries

Une femme est allongée sur une table de réunion. Une voix retentissant via un interphone lui demande "Qui êtes-vous ?" pendant que la femme se réveille doucement, puis lui demande de participer à un petit questionnaire. Alors qu'elle refuse et commence à paniquer en comprenant qu'elle est enfermée dans une pièce sans savoir où elle est, la voix masculine lui fait comprendre que répondre aux cinq questions de l'enquête est une étape à laquelle elle ne peut échapper.

Elle accepte alors par dépit et son questionnaire se révèle concluant aux yeux de son examinateur, car elle ne sait ni qui elle est ni d'où elle vient ou n'a pas non plus de souvenirs du visage de sa mère. En quelques secondes, Severance commence fort, sans fioriture et parvient à accrocher immédiatement le spectateur en le plongeant dans l'inconnu.

 

Severance : photoUn réveil étrange

 

Comme le personnage féminin au centre de l'examen (Helly R. incarnée par l'excellente Britt Lower), on est perdu, incapable de comprendre totalement ce qu'il se passe et la tension monte au fur et à mesure de l'avancée du questionnaire particulièrement étrange. Où est-elle ? Qui-est elle ? Quel est le petit déjeuner préféré de M. Eagan ? À l'image de Helly, on cherche des réponses et on angoisse devant la situation troublante se jouant devant nos yeux. Une ouverture d'autant plus percutante qu'elle jouit d'une mise en scène savamment orchestrée par Ben Stiller.

Alors que les cadres calmes et posés s'enchainent d'abord doucement pour coller au réveil difficile d'Helly, la caméra va gagner en mouvement au fur et à mesure de sa prise de conscience avant que le montage s'accélère pour représenter l'inquiétude grandissante du personnage, l'étouffer dans des cadres plus resserrées au fil du questionnaire et nous oppresser par la même occasion. En moins de cinq minutes, Severance donne le ton et va vite devenir une quête de tous les instants.

 

Severance : Photo Britt LowerUne panique exténuante

 

borné out

Cette ouverture et son questionnaire terriblement angoissant, le premier épisode l'expliquera très rapidement, le présentant comme un simple contrôle, un test vérifiant si la technique de "Severance" (qu'on pourrait traduire par dissociation en français) a fonctionné ou échoué. Car Severance raconte justement l'histoire des employés de Lumon Industries. Une entreprise qui a mis en place la méthode "Severance", chacun de ses employés subissant (volontairement) une opération chirurgicale consistant à dissocier leurs souvenirs professionnels à ceux personnels afin de trouver un équilibre plus harmonieux entre leur travail (les employés s'appellent ici les "innies") et leur vie privée (et ils s'appellent ici les "outies").

Le moyen parfait sur le papier pour créer un capitalisme ultime où le rendement est le maitre-mot, où les émotions parasites des employés disparaissent sitôt leur arrivée au bureau. Le moyen parfait aussi pour leur distiller des informations dont personne n'a connaissance à l'extérieur et leur attribuer des tâches qu'ils exécutent sans vraiment broncher ou même comprendre leur utilité (ces chiffres qui font peur, quelle idée).

Sauf qu'évidemment, à travers le parcours des quatre employés qu'on va suivre durant toute cette saison 1, la Severance va se révéler aussi déficiente qu'étrange. Le générique flamboyant est d'ailleurs une petite merveille pour mieux comprendre rapidement les enjeux au coeur du récit.

 

Severance : Photo , Adam ScottAllez, au boulot !

 

Dès la fin du pilote, on comprend que les boss de Lumon n'ont pas subi la Severance et biaise finalement le contrôle de leurs employés. Alors qu'ils ont déjà les commandes au travail de par leur supériorité (la glaçante Patricia Arquette, le trop souriant Tramell Tillman), ils sont aussi de véritables espions, plus proches qu'on n'aurait pu l'imaginer, en dehors du boulot. De quoi provoquer encore un peu plus une inégalité majeure dans ce système décrit comme parfait à l'origine et pourtant très difficile à gérer.

Avec minutie et bizarrerie, sans omettre une touche d'humour noir incisive, Dan Erickson met ainsi en place le monde de Severance. Un univers où l'homme se prend pour Dieu en rebootant des êtres humains. Car avec Severance, Lumon Industries crée finalement à ses employés une autre personnalité, leur bourre le crâne de règles étranges, les menace de sanctions invivables s'ils sont désobéissants ou, au contraire, les récompense pour leur docilité.

Severance est évidemment une critique acerbe d'un capitalisme extrémiste qui, sous ses airs de solution parfaite à la productivité et la discipline, dissimule des desseins autoritaires, voire totalitaires, les grands pontes ne donnant à leurs employés que ce qui leur sera bénéfique à terme.

 

Severance : Photo Patricia ArquettePatricia Arquette fait encore des merveilles

 

the other side of the world

En cela, la série Apple TV+ impressionne tant elle dénonce avec vigueur le système capitaliste tout en s'appuyant sur une nouvelle vision du monde du travail aussi loufoque qu'effrayante. Et la série va plus loin, naturellement, car lorsqu'un élément va venir chambouler l'esprit des quatre employés incarnés par Britt Lower, Adam ScottZach Cherry et John TurturroSeverance va prendre un tournant majeur.

La dystopie SF, aussi bien influencée par Brazil, Twilight Zone, Dans la peau de John Malkovich voire The Office avec son humour de bureau, va monter crescendo en tension, en suspense pour devenir un véritable thriller et une quête existentielle aussi bouleversante que troublante. C'est bien simple, à l'image des personnages, les spectateurs se font retourner le cerveau au fil des épisodes, découvrant un peu plus les coulisses de ce système infernal (où les outies obligent leurs innies à vivre l'enfer, sans s'en rendre compte) et les horribles manipulations dont les employés sont les sujets.

 

Severance : Photo Britt Lower, Patricia Arquette, Tramell Tillman, Adam ScottUn appel au secours incompris

 

La recherche d'identité des personnages devient alors de plus en plus poignante au milieu du mystère entourant leur double-existence : qui sont-ils à l'extérieur ? Ont-ils une famille, des enfants ? De quel milieu viennent-ils ? Est-ce qu'ils se connaissent à l'extérieur sans le savoir, en voisins, amis ? Et pour le spectateur les voir parfois toucher au but sans le savoir ou sans pouvoir agir lorsqu'ils passent d'une personnalité à une autre est aussi frustrant que déroutant.

Un jeu de pistes labyrinthique qui amène à des questionnements passionnants sur le libre arbitre et la liberté tout court, alors que le quatuor est finalement captif contre son gré (et en même temps, à cause de son propre choix volontariste). Il y a d'ailleurs quelque chose de l'allégorie de la caverne à suivre ses personnages se révolter, tenter de comprendre comment s'échapper de leur travail afin de pouvoir crier l'horreur qu'ils vivent au sein de Lumon Industries au monde extérieur (où le spectateur sait que la méthode Severance est régulièrement louée par le gouvernement). 

 

Severance : photoSe soumettre pour mieux s'affranchir

 

Ainsi, durant ses huit premiers épisodes, Severance impressionne, interpelle, angoisse et devient de plus en plus tendu jusqu'à un apogée extraordinaire lors de son épisode final. Toujours admirablement mis en scène par Ben Stiller et reposant surtout sur le montage édifiant de Geoffrey Richmann (sans parler de la musique de Theodore Shapiro), ce neuvième épisode vient complètement rebattre les cartes et offrir une course contre la montre effrénée, d'une puissance rarement égalée sur le petit écran ces dernières années.

Un final dont les spectateurs vont avoir du mal à se remettre tant il bouscule encore un peu plus l'univers de Severance et les desseins morbides de Lumon Industries, tout en décuplant en une fraction de seconde la densité scénaristique (et philosophique) de la série. Alors même s'il oblige cette saison 1 à se conclure sur un cliffhanger énorme, ce neuvième épisode vient surtout ancrer la création de Dan Erickson comme l'une des plus marquantes d'Apple TV+ (et du petit écran en général). Vivement la saison 2 !

Severance est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 8 avril 2022

 

affiche

Résumé

Severance est une petite bombe étrange, anxiogène et existentielle qui n'est pas près de quitter votre esprit.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(4.0)

Votre note ?

commentaires
nul
11/01/2023 à 02:18

surcoté, zzzzzzzzzz bonnesérie pr s'endormir

Plus d'espoir...
28/09/2022 à 14:34

Je commence tout juste la série dans une semaine où plusieurs séries sont proposées à des jours différents : lundi : House of the dragon, Mercredi : Andor et le vendredi : les anneaux de pouvoir, il y a toujours un créneau à prendre après chaque épisode hebdomadaire. J'en profite du coup pour me faire une semaine de séries. J'en suis au 4ème épisode et j'adore d'entrée l'atmosphère qui me fait certe penser à Brazil mais aussi à Vivarium pour le côté étouffement labyrinthique abyssal (oui j'invente des expressions lol). Avec cette froideur administrative chaque épisode me tient en haleine et j'ai hâte d'arriver au 9eme épisode. Je regrette seulement que cette série ne soit pas accessible à tout le monde car proposée encore sur une plateforme télévisuelle concurrente des autres. Avec Netflix, Prime, Hbo, Disney, Canal + et Apple + et j'en passe j'en suis sûr, ce n'est pas évident de tout voir sans un budget conséquent et surtout avoir réellement le temps de tout voir. Pour ma part le temps me manque et je n'ai qu'une vie hélas. Lol

Nathper
31/08/2022 à 20:48

Helly ressemble un peu au personnage de Patrick McGoohan dans Le prisonnier.
Elle n'a de cesse de s'échapper de cet enfer "qu'elle" s'est imposé.

Nathper
31/08/2022 à 20:32

Finalement, avec le recul, la question posée à Helly concernant le petit déjeuner préféré de M. Eagan lors du premier épisode prend tout son sens lors du dernier...

Tonto
24/08/2022 à 00:16

Effectivement, on est au niveau du chef-d'oeuvre...
Je ne sais pas comment on peut parler de remplissage et de détours scénaristiques étant donné qu'à l'issue de la saison 1, in est encore bien trop dans le flou concernant cet univers, et donc pour pouvoir discerner l'utilité de ce qui nous a été montré...
Et ce cliffhanger, putain, j'ai jamais connu de pire cliffhanger ! ^^

Michel.A.
02/07/2022 à 20:55

L'intrigue que l'on perçoit est alléchante et puis, comme bien souvent, ça traine en longueur... tellement qu'on en devine systématiquement les rouages..... je finis par m'ennuyer..... dommage

Pain au chocolat
28/04/2022 à 23:30

C'est pas humain un cliffhanger pareil ! Et vous n'avez pas parlé de John Turturro, magnifique comme toujours.

Gencive gainée
10/04/2022 à 22:42

Pas terrible. Une ambiance musical qui est beaucoup trop envahissante. Gimmick sonore redondant et agaçant par la force des choses.

alshamanaac
10/04/2022 à 10:31

Très bonne série, hâte de voir la saison 2.

J'aime vraiment bien le pitch de base, à savoir la dissociation qui ouvre pas mal de perspectives narratives (concept que j'aurais même bien envie de retrouver dans d'autres contextes/séries/histoires...)... L'ambiance (avec ce petit côté Kafkaïen / Orwellien), les décors, le casting sont top (avec une mention spéciale pour Tramell Tillman / Mr Milchick qui arrive à être malaisant en esquissant un sourire en coin)...
Bref, j'espère que la saison 2 sera du même calibre que celle-ci.

Porter
09/04/2022 à 11:41

Un xhzf d'oeuvre

Plus
votre commentaire