Beastars : que vaut le Zootopie hardcore de Netflix ?

Déborah Lechner | 19 mars 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Déborah Lechner | 19 mars 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Netflix s'intéresse de plus en plus à l'animation japonaise, que ce soit en rajoutant ses plus grandes oeuvres, séries ou films (notamment ceux du Studio Ghibli) dans son catalogue ou avec des contenus originaux. Après 7SEEDSDevilman Crybaby (critique ici) ou encore Baki, la plateforme propose une nouvelle création originale nippone, Beastars de Shinishi Matsumi. Et malgré l'histoire qui voit un gentil loup rencontrer une lapine intrépide, la série n'a rien d'un conte pour enfants. 

ATTENTION : SPOILERS !

L’HABIT NE FAIT PAS L’HUMAIN 

Beastars se déroule dans un pays moderne et similaire au Japon, à l’exception que tous les habitants sont des animaux anthropomorphes. Plusieurs races de mammifères, oiseaux ou reptiles aux comportements humains, vivent ainsi dans une harmonie illusoire et une égalité fallacieuse. Une ligne invisible sépare inévitablement les herbivores des carnivores, malgré un régime strictement végétarien et une sous-représentation des minorités comme les omnivores. La série fait ainsi un parallèle assez évident avec la fracture sociale entre les faibles et les puissants de notre réalité ou plus largement les dominés et les dominants.

Mais il ne faudrait pas étendre l'analogie sur tout le récit, qui ne s’arrête pas à une simple réécriture et représention de notre hiérarchie sociale par le biais de la faune et demande plus de réflexion, même si l’histoire adaptée du manga éponyme de Paru Itagaki ressemble énormément au film d’animation Zootopie dans son intrigue de départ. Beastars suit la relation entre Leboshi (Jonah Scott en anglais et Kobayashi Chikahiro en VO), un loup-gris introverti et mal à l’aise avec sa condition de carnivore, et Haru (Lara Jill Miller et Sayaka Senbongi en VO), une lapine en manque de reconnaissance du fait de sa race chétive. 

 

photoQuand ton casse-croûte a d'beaux yeux

 

Tous deux étudient au lycée Cherryton où un élève herbivore a été dévoré par un carnivore et dont l’assassinat réveille les tensions entre les deux clans. La comparaison avec Disney s’arrête pourtant là, car aucune machination ou putsch politique ne se trame derrière cet événement, qui n’est qu’un retour naturel à l’ordre des choses. Malgré leur évolution, certains prédateurs revendiquent leur besoin irrépressible de sang et de viande ou se comportent comme des toxicomanes en manque et créent de ce fait un climat de terreur pour les mangeurs d’herbes.

Contrairement à l’espèce humaine qui n’interagit qu’avec elle-même et cultive ainsi très peu de différence entre les acteurs de son système social, le monde de Beastars est peuplé d’individus tellement différents qu’ils finissent par ne rester qu’avec leurs semblables, y étant naturellement conditionnés. Leur impossible cohabitation semble ainsi pointer du doigt toute la possibilité de la nôtre, puisque contrairement à eux, aucun fossé naturel ne nous divise ou nous empêche de vivre ensemble. Ce message humaniste et fraternel, n'est évidemment qu'un des niveaux de lecture de la série, qui s’avère aussi sentimentale et romantique qu’existentialiste.

 

photoUne relation réellement impossible ? 

 

NAGER ENTRE DEUX ZOOS

Beastars se situe à mi-chemin entre les esprits shōnen et shōjo en alternant ces deux ambiances très différentes à plusieurs reprises et dans chaque épisode, pour qu’aucune ne prenne le pas sur l’autre. La série est donc généreuse en scènes d’action violentes et baignées d’hémoglobine, ainsi qu’en thématiques plus macabres et poussées comme l’existence d’un trafic clandestin d’herbivores destinés à la consommation ou bien d’un marché noir de viande où des herbivores SDF vendent à des carnivores des parties de leurs corps.

Un écho fort aux atrocités inhumaines et à l’asservissement de notre monde, le tout entrecoupé de tranches de vie lycéenne. L'autre moitié de l'histoire verse donc dans les querelles futiles, les triangles amoureux évidents et les monologues intérieurs des personnages qui font le point sur leurs sentiments, sur une musique mélancolique de Satoru Kōsaki qui dilate agréablement le temps.

 

photoQuelques parallèles sur les violences sexuelles également

 

Le résultat pourrait paraître déstabilisant pour ceux qui ne sont pas familiers des codes très marqués et situations récurrentes du shōjo, qui vise généralement un public plus féminin et s’articule globalement autour des émois amoureux ou amicaux comme peuvent le faire certaines teen séries à la Dawson (mais qui aurait fusionné avec Cats dans un rite satanique).

Dans Beastars, les romances mielleuses sur fond d’amour impossible prennent une tournure très perturbante quand il s’agit de voir un lapin tenter de masturber un loup ou quand les sentiments que développe Leboshi pour Haru s’accompagnent d’une envie obsédante de la goûter, et pas au sens figuré. La série n’est pas timide ou ne fait pas de détour pour aborder la sexualité des protagonistes, qui renvoie à notre propre conception de la norme sexuelle, mais sert également tout le message sur le passage à l'âge adulte, LE thème inoxydable.

Au final, ce balancement entre drame adolescent, satire sociale et violence déchaînée est un plat sucré-salé suffisamment bien assaisonné pour que les saveurs étonnent, mais n'écoeurent pas. La deuxième saison en perspective promet d’accentuer certaines sombres thématiques de fond, tandis que la relation entre Leboshi et Haru devrait se complexifier davantage, pour toujours plus de teen drama et de meurtres sanglants.

 

photoEntre séduction et prédation 

 

BELLE BÊTE

Au-delà de son intrigue, Beastars se distingue par ses ambitions artistiques. La série met en scène des personnages en 3D se déplaçant dans un environnement souvent dessiné à la main, ce qui donne beaucoup de reliefs à l’ensemble, malgré un certain manque de fluidité de l’animation 3D dans quelques scènes. Pour guider sa narration, notamment les flashbacks ou réflexions personnelles des personnages, mais aussi y apporter plusieurs dimensions, différents styles graphiques et palettes de couleurs se croisent au long des épisodes, comme une déclaration d'amour à l'animation et toutes ses possibilités.

La réalisation est inventive et joue sur les textures, les superpositions d'éléments en transparence ou encore le découpage de l'image, parfois semblable à celui d'une planche de mangaka. Cette inventivité dans la forme qui recycle pourtant les sempiternels codes du shōnen et du shōjo, apporte de la richesse à l'ensemble et une vraie identité dans la masse d'anime japonais.

Ce travail artistique très minutieux est d'ailleurs visible dès le générique d'ouverture qui utilise l'animation en volume et pour lequel il ne faut absolument pas demander à Netflix de zapper l'introduction. Pour se plonger dans l'atmosphère, les deux ambiances bien distinctes de la série y sont parfaitement retranscrites, avec l'obscurité et l'horreur des pulsions meurtrières qui précède la gaîté et la délicatesse des premiers émois.

Beastars est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 13 mars 2020

 

affiche

Résumé

Beastars est une série innovante dans la forme et aussi barrée qu'intéressante dans son propos, malgré quelques faiblesses du côté de l'animation 3D qui n'enlèvent rien à la richesse de l'ensemble. Les amateurs de romance qui ne sont pas rebutés par la violence graphique (et inversement) devraient garder un souvenir durable de cette première saison pleine de promesses pour la prochaine.

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Lecteurs

(2.4)

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commentaires
lemon0
03/08/2020 à 16:35

Plutôt pas emballé. C'est joli, le générique du début est vraiment sympa mais les problèmes existentiels d'ado sont d'un ennui pour moi...

Guéguette
21/03/2020 à 10:12

Je vais rester sur le manga. J'aime pas la fausse 2d.

XwatZer
20/03/2020 à 20:46

Beaucoup beaucoup trop bien cet animé !!!

Nasse
20/03/2020 à 07:43

J ai bien aimé cet animé, vivement la saison 2

Fab95
19/03/2020 à 22:00

Contrairement à ce que l'on dit ce n'est pas une création originale Netflix j'ai vu la série en streaming bien avant qu'elle soit sur netflix

Iyeff
19/03/2020 à 19:18

Lapin blanc = adrenochrome / enfant
le Loup = prédateur
Le loup s'éprend du lapin blanc
Aïe

Ted
19/03/2020 à 16:01

Un super animé pour un sublime manga!

Jojo
19/03/2020 à 15:48

J'en ai entendu que du bien je vais me laisser tenter.

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