Servant saison 1 : déception pour le bébé des enfers produit par Shyamalan

Geoffrey Crété | 26 janvier 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 26 janvier 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Alors qu'il a retrouvé le succès au cinéma comme réalisateur avec Split et Glass, M. Night Shyamalan producteur était parmi la première salve sur Apple TV+ avec la série Servant. Lancée fin novembre avec de premiers épisodes forts intrigants, la création de Tony Basgallop, avec Lauren Ambrose et Toby Kebbell, s'est achevée en janvier. Pour un résultat plus satisfaisant que Wayward Pines, elle aussi estampillée Shyamalan ?

ATTENTION SPOILERS

IN THE MOOD FOR GLOOM

Une chose à créditer à Servant : sa réussite formelle. La maîtrise est évidente et même captivante au fil des 10 épisodes, pourtant cantonnés à une poignée de décors a priori ordinaires (la maison, la rue). Difficile de ne pas sentir la patte de M. Night Shyamalan. Cadrages précis, lents travellings, bascules de point pour amplifier les effets, économie des mouvements, photographie léchée ... Le réalisateur de Sixième Sens, Signes et Glass signe deux épisodes (le premier et l'avant-dernier), mais il a forcément posé les bases de l'univers, aussi parce qu'il est producteur exécutif de la série.

Daniel Sackheim (La Prison de verre), Nimród Antal (Motel, Predators), Alexis Ostrander (Swamp Thing version 2019), Lisa Brühlmann et John Dahl (Last seduction, Une virée en enfer) assurent tous une continuité sur la saison, au service d'une ambiance très réussie. La maison des Turner semble toujours plongée dans une semi-pénombre, coupée du monde, baignée dans un chic presque sinistre. Avec les directeurs de la photo Jarin Bkaschke (The Lighthouse et The Witch) sur un épisode et Mike Gioulakis (Us, Glass, It Follows) sur tous les autres, le talent est clair à l'image.

Dans cette atmosphère qui flirte avec le fantastique, voire la douce horreur, tout semble possible. Des criquets, une bourasque de vent qui remue les rideaux, un orage qui frappe les vitres, ou un écran de télévision, deviennent les vecteurs d'une discrète angoisse, comme si Servant avancait vers de noirs desseins, que ni le couple ni le spectateur ne pouvaient déchiffrer, mais seulement pressentir et redouter.

 

photo, Lauren AmbroseUn dîner presque pas parfait du tout

 

MOMMYSTÈRE

Que faire de cette ambiance et comment exploiter ce mystère présenté dans les premiers épisodes ? C'était la vraie question de Servant et la série lutte, sans surprise, contre la situation établie. L'explication à cette poupée soudainement douée de vie et cette nounou potentiellement d'enfer, était attendue, et c'est une déception à presque tous les niveaux.

Déjà parce que la série traîne des pieds sur un tempo artificiel, qui étire certaines scènes en se reposant de manière trop mécanique sur l'ambiance, le doute, le silence, l'attente. Le moteur semble rapidement tourner à vide, faute d'indices, de pistes, de carburant dramatique et à suspense. C'est d'autant plus frappant qu'en contraste, de grosses ficelles sont sorties pour amener des éléments importants, notamment autour des reportages de Dorothy, utilisés comme joker plusieurs fois (Leanne enfant, Leanne dans le décor, ou encore May). Une méthode pas très fine, qui dénote dans une série sinon plus subtile dans sa narration, comme en témoigne le montage des flashbacks dans l'épisode 9.

 

photo, Lauren AmbroseAllo maman, bobo voiture

 

Mais la vraie curiosité est la finalité de ce drame sur le deuil et la culpabilité, qui vrille vers une histoire de secte et quasi sorcière-messie. Le fantastique est aux portes du récit avec les pouvoirs de Leanne, capable de créer la vie, ressusciter un être ou peut-être même se téléporter. Le traitement reste néanmoins étonnamment froid et timoré, comme pour ne pas salir une série trop propre sur elle-même.

Reléguer le genre au hors-champ, au lointain, aux creux dans le quotidien de cette maison, participe à instaurer ce climat étrange, et joue sur une inquiétante étrangeté du plus bel effet - parfois. Mais la série refuse de véritablement offrir une ration, une récompense à cette attente et ce crescendo. D'où l'impression d'une destination fumeuse, et d'une posture pas bien convaincainte.

Servant essaye bien d'ouvrir les horizons pour de bon, avec l'arrivée de George et surtout May dans le dernier épisode, mais là encore c'est du bout des doigts que le sujet fascinant des sectes, d'un messie, d'un "servant", est traité.

 

photo, Nell Tiger FreeServir ou être au service, telle est la question

 

LE MOUAIS SUR LE BERCEAU

Servant ne manquait pourtant pas d'atout dès la mise en place. Les acteurs sont excellents, Toby Kebbell ayant (enfin) un rôle digne de ce nom, faussement simple mais réellement intense. Lauren Ambrose a les scènes les plus extrêmes, jouant merveilleusement des pics d'émotivité du personnage, capable de s'animer comme une poupée avant de s'éteindre subitement et se perdre derrière un regard vide. Et si son rôle veut qu'elle reste dans une posture un peu facile, Nell Tiger Free s'en sort très bien.

La série avait en plus placé beaucoup d'éléments intrigants, comme Sean privé de ses sens et attaqué par le bois. Même chose pour le travail sur la cuisine et la mort comme source de plaisir, ce que de nombreuses scènes très bien filmées ont mis en avant au fil des épisodes. La mise en place était tellement soignée et fascinante avec ces nombreuses pistes, qu'il y avait la promesse d'une résolution forte. Et l'arrivée de l'oncle George, génial Boris McGiver, amène une dose de malaise joyeusement perturbante, qui relance et recentre l'intrigue. La série n'est jamais aussi intéressante et solide que lorsqu'elle s'attarde sur un trouble, une gêne, et l'étire en silence et sans détourner le regard des personnages.

 

photo, Boris McGiverLe tonton qu'on veut éviter

 

Mais Servant se contente de la jouer discrète, timide, dans une posture de sophistication un peu vaine dès lors qu'il s'agit de dévoiler son vrai visage, refermer cette première saison, et dissiper ce brouillard savamment travaillé. Il y a bien des éléments forts, comme lorsque May dit à Leanne, "You're our servant, not hers", mais c'est plus proche du teasing pseudo-malin.

La durée des épisodes (environ trente minutes) est une bénédiction, qui évite à la narration de se perdre dans la formule trop familière des 50 ou 60 minutes. Mais même avec ça, Servant se perd, et semble retarder ses effets et révélations pour de mauvaises raisons. Shyamalan évoque déjà un plan idéal sur six saisons et soixante épisodes, preuve que Tony Basgallop et lui savent où ils vont, et que cette saison 1 n'était qu'un début. La fin va dans ce sens. Pas sûr néanmoins que cette longue et poussive introduction donne envie de replonger.

 

photo

Résumé

Comme redouté, Servant est bien plus satisfaisant avec ses énigmes et questions, qu'avec ses réponses et explications. Le mystère séduisant des débuts laisse vite place à une intrigue mince, qui tourne en rond, et se meurt dans une posture maladroite et frustrante.

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Lecteurs

(1.7)

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commentaires
Grandnico
18/04/2021 à 16:40

Tout a fait d accord. Le voyage est plus intéressant que la destination. J'en suis au milieux de la saison deux. Que j'apprécie beaucoup moins. Je ne sais pas encore où veut aller cette série. Mais l'ennui est proche.

yellow submarine
14/01/2021 à 09:40

découverte tardive mais je viens de regarder la saison 1 de cette série.

Un bijou. Le casting est vraiment excellent, l'ambiance la réalisation je suis surpris que cette série n'ai pas fait plus de bruit et qu'écranlarge n'ai pas été plus emballé que ça.

Vivement la saison 2 qui commence vendredi

Kyle Reese
21/06/2020 à 23:30

J’ai vraiment beaucoup aimé.
L’ambiance, le décor, la photo, la mise en scène, le cast, la musique tout fonctionne à merveille pour moi. Le suspens tient bon tout le long et le mystère ne s’éclaircit qu’à la fin pour nous en teaser un nouveau. Une excellente première saison avec des acteurs impeccables, une histoire vraiment spéciale et surtout une atmosphère pesante avec un malaise diffus. Je trouve votre critique vraiment dure, c’est très maîtrisé, assez original et le côté fantastique dilué dans de l’étrange est top, un petit côté Stephen King (qui a adoré d’ailleurs)
Le format est idéal. Hâte de voir la suite.

gunn
03/02/2020 à 20:06

Un peu sévère comme critique (de mon avis) c'est une série de patiente dans les dialogue et scène et non un film d action, serte la fin est ambiguë mais dans l ensemble les jeux d acteur les musique les prise de vue était bien.

J'attend plus de lumière dans la saison 2

Bernard Campan
27/01/2020 à 09:01

C'est le problème de Shyamalan, c'est que parfois il tourne en roue libre ( GLASS en est le parfait exemple contrairement à INCASSABLE et SPLIT qui sont impeccables).
Servant est bien foutu mais on a cette facheuse impression que le réal écrit le scénario au jour le jour, tout ça pour attendre d'éventuelles réponses dans une saison 2 si elle n'est pas annulée!
Rabattez vous sur THE OUTSIDER !

Geoffrey Crété - Rédaction
26/01/2020 à 21:10

@Philip

Je n'ai pas l'impression qu'il y ait plus droit que pas mal d'autres... D'autant qu'ici, la série n'est pas créée par Shyamalan, mais par Tony Basgallop. L'idée, l'intrigue, et la raison de cette accusation de plagiat, tout ça était là avant Shyamalan.

Et ayant vu le film et la série, je n'ai pas trouvé ça franchement évident du tout ici. D'ailleurs, même celui qui avait accusé Sixième sens d'être un plagiat de son travail, n'avait pas été plus loin, expliquant qu'il y avait eu suffisamment de changements pour que ce soit inutile de l'attaquer.

Comme souvent, c'est une question de temps. Notre petite équipe n'a pas pu traiter ça, mais on suivra l'affaire pour voir où ça va.

Philip
26/01/2020 à 21:00

@Geoffrey Crété,

Fort possible, n'ayant pas vu le film en question. Cependant, en d'autres circonstances l'info aurait été anecdotique (les procès/histoires de ce genre sont légion); or, Night Shyamalan a déjà été accusé de plagiat notamment pour "Sixième Sens" et "Le Village". En l'espace de quelques années, pour un réalisateur, cela fait quand même beaucoup...

OnceUponATime
26/01/2020 à 20:48

Pour ma part j'ai vraiment été séduit par cette série, chaque épisode me donnant envie d'arriver enfin à la conclusion. Quelque peu déçu face à la résolution, dubitatif face au fantastique de la situation, qui l'est pourtant depuis le début.

Néanmoins intrigué pour la suite, même si je peine à croire qu'ils puissent tenir 6 saisons.

Geoffrey Crété - Rédaction
26/01/2020 à 17:50

@Philip

Effectivement, on avait vu ça, et on est curieux de voir où ça mènera. Notamment car les ressemblances restent tout de même mineures.

Philip
26/01/2020 à 17:50

@ Decker,

Très juste.

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