God of War : Ragnarök - le grand final a-t-il rendu Kratos trop gentil ?

Mathieu Jaborska | 25 novembre 2022 - MAJ : 25/11/2022 14:05
Mathieu Jaborska | 25 novembre 2022 - MAJ : 25/11/2022 14:05

Ecran Large se joint tardivement à la chorale de louanges, le temps d'ouvrir ou d'exploser un bon millier de coffres de ce God of War : Ragnarök, attendu comme le messie par les joueurs PS5 (et PS4 du coup) après le succès critique et financier de son prédécesseur. Mais arriver après l'homérique bataille, c'est aussi prendre du recul sur une saga qui se rapproche ironiquement de plus en plus de son personnage, souvent pour le meilleur, parfois pour le pire.

Sur les rails

En effet, la rédaction ayant reçu les codes le jour de la sortie et l'auteur de ses lignes souffrant de complétude aiguë (impossible de résister à la tentation d'explorer de fond en comble les grandes zones optionnelles qui jalonnent notre route), ce test accuse un retard conséquent. Conséquent, mais pas inintéressant. Car une fois passée l'avalanche attendue de tests emphatiques, les réactions du grand public ont été plus mesurées. De quoi remettre, une fois de plus, en question le dithyrambe suspect de grands médias web de jeu vidéo (Gamekult nous manque déjà), mais surtout de méditer sur les partis-pris de Santa Monica, bien plus casse-gueule qu'ils n'en ont l'air.

C'est aussi l'occasion d'évacuer les obligatoires célébrations techniques. Oui, God of War : Ragnarök est splendide et bénéficie en prime d'une direction artistique à tomber, ce qui ne gâche rien. Oui, on aurait tué Dieux et géants pour jouer à une version développée exclusivement pour la PS5, probablement moins fournie en crevasses et autres cavités. Mais comme la dernière console Sony reste un pokemon légendaire deux ans après sa sortie officielle, on ravalera volontiers notre frustration. À noter également la profusion des paramètres de jeu, en particulier d'accessibilité, bienvenu dans un AAA d'un tel calibre.

 

God of War : Ragnarök : photoUn premier plan qui donne le la

 

Pour le reste, le titre parait en effet très dirigiste à certains instants de la quête principale, en contradiction avec son aspect "light RPG", auparavant si commenté (là où la trilogie originale et ses spin-offs assumaient, voire revendiquaient, leur linéarité). C'est même son sujet : tout entier articulé autour de la notion de prophétie et donc de destin, il met en scène des protagonistes marqués au fer rouge par les révélations de la fin du précédent opus et qui vont devoir non pas s'éloigner de la route tracée pour eux, mais composer avec.

Peu étonnant donc qu'ils soient en permanence remis sur le droit chemin par des personnages secondaires incapables de se taire deux minutes, épaulant le pauvre joueur dans la moindre de ses actions. Peu étonnant non plus que la plus flagrante baisse de rythme du jeu, parenthèse belle, mais interminable, découle d'une différence d'appréhension des fameuses prophéties. Le dirigisme, c'est l'antagoniste principal d'une oeuvre dont le titre même fait référence à une prédestination mystique. Le Ragnarök est moins la promesse d'un gigantesque feu d'artifice final qu'une destination obligatoire.

 

God of War : Ragnarök : photoLe GPS mystique

 

Et pour le souligner, les développeurs de chez Santa Monica ont peut-être eu un peu la main lourde, au risque d'exaspérer des joueurs qui, il y a quelques semaines encore, dévalaient les plaines d'Elden Ring en toute insouciance, libres de se faire one-shot où bon leur semblera. L'expérience n'en demeure pas moins passionnante, pour peu qu'on soit attachés à ce Kratos taiseux et à son mioche impertinent et qu'on accepte, comme eux au fond, de se faire prendre par la main.

 

God of War : Ragnarök : photoKratos vs la vengeance. On aura tout vu...

 

Oops, I did it again

Bien évidemment, c'est aussi une manière de trancher avec le reste de la saga qui, en prenant comme contexte – et au sérieux ! – la mythologie grecque puis viking, n'a cessé d'utiliser des carcans scénaristiques archétypaux. Anti-héros bourrin et meurtri, Kratos était destiné à saccager l'Olympe et occire Zeus. C'est justement sa colère brute, dont la mort elle-même ne saurait venir à bout, qui a séduit bien des joueurs, et a valu à sa quête une réputation de défouloir ultra-violent. Le cycle de la vengeance est un moule narratif indissociable des grands récits mythologiques et par conséquent de la franchise elle-même. 

Dès l'opus de 2018, le parti pris de la troisième personne et du simili plan-séquence trahissaient une volonté de rendre à Kratos une humanité. De même que la hache et son gameplay (ici toujours efficace) rompaient avec la tradition des armes complètement fantasmatiques, dont les lames du chaos et ses combos délirants étaient devenus les symboles. Seulement, il revenait malgré lui à ses démons, à ses maudites lames et aux prophéties, lesquelles lui refusent d'avoir son mot à dire sur son destin ou sur l'identité de son propre fils.

 

God of War : Ragnarök : photohachement bien

 

Pour s'émanciper de grandes destinées mythologiques, le fantôme de Sparte doit se poser la même question que tous les joueurs lors de l'annonce de l'exploration de ces contrées nordiques : sera-t-il forcé de décimer un nouveau panthéon ? Et Ragnarök de montrer son personnage réfléchir à sa propre histoire, à son propre rôle. Les jours de rage aveugle sont définitivement derrière lui. Et inévitablement, c'est frustrant. Les boss sont quasi tous très soignés et parfois extrêmement épiques (la première rencontre avec Thor), mais peu nombreux. Et si le bestiaire se diversifie un peu, il reste un tantinet répétitif. Plus philosophe, papy Kratos s'assagit.

 

God of War : Ragnarök : photoCrocodile dandy

 

Mais par son intermédiaire, la saga déconstruit ses propres acquis. Ce nouveau God of War rejoue les enjeux d'abord du premier opus, puis de ses prédécesseurs, à ceci près que le fantôme de Sparte et ses compères les commentent en simultané. L'intrigue débute une fois de plus sur un deuil à surmonter (et les violons méga bourrins d'un Bear McCreary en très grande forme se chargent de nous nouer d'emblée la gorge) et dévoile des correspondances entre mythologies (les soeurs du destin trouvent leur équivalent viking), parfois directement soulignées par l'intéressé au gré d'une balade en barque.

C'était déjà une des grandes qualités du reboot : les péripéties facultatives, qu'elles transforment durablement l'écosystème d'une zone ou proposent les inévitables collectes, s'inscrivent elles aussi dans les voyages initiatiques d'Atreus et son père. À chaque embouchure, sur chaque rivage, ils sont aux prises avec leur destin ou confrontés à celui des autres.

 

God of War : Ragnarök : photoLe retour des contes de la barque

 

Qu'il est difficile d'être un dieu

Le jeu de miroir qui structure God of War : Ragnarök ne concerne pas uniquement la rigidité de la mythologie et celle de la saga ou le dernier opus et ses prédécesseurs, mais aussi les personnages qui s'y affrontent. Plus qu'une réminiscence de cet enfoiré de Zeus, Odin incarne l'autre facette de la tyrannie politique, celle qui feint la bienveillance à la voix chevrotante (le doublage VO est excellent), avant de coloniser les autres royaumes pour accaparer leurs ressources et les retourner contre eux. De même que le scénario oppose deux pères. L'un refuse de réfléchir à sa place dans une dynastie cruelle, l'autre décide de s'ouvrir.

C'est là le pari le plus risqué lancé par Santa Monica : accorder à un personnage célèbre pour sa haine farouche et son air revanchard, qui ornaient les écrans d'accueil des jeux précédents, une authentique modestie. De fait, Ragnarök, contrairement à eux, ne commente pas la mythologie. Il étudie les manières de s'en échapper. Et Kratos, jadis pion devenu fléau, retrouve grâce à Atreus toutes les nuances qu'on lui refusait lorsqu'il était encore l'égérie des gros bras pas contents. Au fur et à mesure des quêtes, principales ou non, il apprend l'empathie et saisit l'essentiel : ce qu'il doit changer, ce n'est pas son destin tout tracé, mais lui-même.

 

God of War : Ragnarök : photoUne flèche en plein coeur (souvent au sens propre)

 

Une évolution aussi subtile que touchante, qui passe bien sûr par l'interaction avec le gamin, lequel prend encore plus d'importance. Donc si vous ne pouviez pas le piffer il y a quatre ans, il y a peu de chances que ça change. Une fois de plus, le studio joint à la théorie la pratique. Et une fois de plus, c'est autant en sa faveur qu'en sa défaveur. En effet, l'intrigue impose au joueur d'incarner le mioche également. Un parti pris malin, puisqu'il retranscrit littéralement la nécessité pour son géniteur de se projeter. À ceci près que ces phases impromptues malmènent un poil la fluidité de la structure RPG, en plus d'être beaucoup moins efficaces en termes de gameplay... ou même de level design.

Si on ajoute à ça la mécanique approximative des flèches magiques et moult autres implémentations pas toujours des plus pertinentes, on obtient un jeu lesté de défauts, certes. Il fallait néanmoins passer par là pour remporter un pari pas gagné d'avance : renouveler l'une des franchises vidéoludiques les plus dépendantes de ses archétypes et faire officiellement et paradoxalement entrer son héros plus si anti au panthéon des grandes figures de cet art.

Notre test a été effectué sur PS5. God of War : Ragnarök est disponible depuis le 9 novembre 2022 sur PS4 et PS5.

 

God of War : Ragnarök : photo

Résumé

Au prix d'une rigidité parfois agaçante et à l'issue d'une rétrospective amusante de la saga, God of War : Ragnarök arrache son personnage aux archétypes qui lui collaient à la peau. Le Dieu de la guerre n'a jamais été aussi humain. Et si le diptyque ne manque pas de défauts, son évolution restera à jamais gravée dans le marbre vidéoludique.

Autre avis Lino Cassinat
God of War est toujours très beau et propose un gameplay peaufiné, mais toujours lourdement allongé de contenu dispensable. En revanche, l'histoire de Ragnarök déçoit, peine à ajouter quoi que ce soit au superbe premier jeu et sacrifie la violence sur l'autel d'une "subtilité" répétitive et un brin factice. La finesse n'est pas toujours un allié.
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Lecteurs

(3.2)

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commentaires
Dododu92
26/11/2022 à 16:53

Pas d'accord avec le 2nd bilan, ça en devient une habitude ces derniers temps.

Le contenu n'est pas du tout dispensable, bien au contraire, les quêtes secondaires sont quasi obligatoire et beaucoup d'équipements permettent de perfectionner le gameplay.

L'écriture et le gameplay sont d'une grande finesse, ainsi que Kratos qui a gagné en souplesse.

Il n'y a pas de gentil méchant, ll s'agit de compromis à faire selon les circonstances.
Ce n'est pas la même chose
La licence est arrivé en pleine maturité, beaucoup plus que son prédécesseur.

Un grand jeu, et le 2nd meilleur jeu de Sony de ces 10 dernières années après TLOU Part 2 qui reste indétrônable.
Santa Monica Studio fait partie des très grands.

@tlantis
25/11/2022 à 18:18

Jeu très beau et Game play top ( mais heureusement pour le 3A)
Mais le jeu parle parle beaucoup trop , et les trop peux de moment qui nous font penser à au 2ème ou 3ème sont pas suffisant .

Le goty est a plague qui mérite bien plus que tous les autres , sur tous les points.

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