Test Scorn : un magnifique cauchemar gore en hommage à Alien

Antoine Desrues | 17 octobre 2022 - MAJ : 17/10/2022 18:32
Antoine Desrues | 17 octobre 2022 - MAJ : 17/10/2022 18:32

Quand on attend longtemps un jeu, il est probable qu’on soit déçu. Dans le cas de Scorn, on peut remonter jusqu’en 2014, après le lancement foireux de son Kickstarter, suivi de nombreux reports. Pourtant, l’étonnant jeu d’horreur ne cesse de fasciner depuis ses premières présentations. En s’appropriant très littéralement l’univers biomécanique cauchemardesque de l’artiste H.R. Giger (le créateur du Xénomorphe d’Alien), la proposition d’Ebb Software arbore des airs de fantasme jusqu’au-boutiste. Mais cette aura peut-elle résister à la longue attente des joueurs ?

En chair et en os (ou presque)

Les toiles de l’artiste suisse H.R. Giger appellent au lâcher-prise. Un lâcher-prise des sens qui réveille en nous des peurs insondables et indicibles. Si le peintre et designer s’est imposé avec le temps comme l’un des meilleurs héritiers de l’horreur cosmique de H.P. Lovecraft, c’est aussi parce qu’il a ouvert une porte nouvelle vers un inconscient cauchemardesque, où l’organique et le mécanique se mêlent pour mieux interroger la nature du monde physique dans des élans surréalistes.

Cette notion de “biomécanique” est particulièrement bouleversante lorsque les tableaux du maître assimilent des formes et des matières sans que l’on puisse comprendre le rapport d’échelle. Fait-on face à un paysage gargantuesque ou aux détails microscopiques d’un organisme abstrait ?

Quoi qu’il en soit, les créateurs de Scorn ont parfaitement assimilé ce vertige existentiel et morbide, si bien que la perte de repères est au cœur de la proposition. Notre avatar, sans bouche, ne prononcera aucune parole sur l’ensemble de cette aventure, où l’on se réveille dans les méandres de ce qui semble être l’usine souterraine d’une civilisation déchue. Sans indication, sans ATH, sans mini-map, le jeu d’Ebb Software demande que l’on se perde dans ce labyrinthe glauque et embrumé, dans ce cauchemar où la chair et le métal se mélangent à tous les niveaux.

 

Scorn : photoPrometheus (en mieux)

 

Sur ce point, impossible de ne pas saluer le miracle d’un titre qui a su dépasser le sublime de sa direction artistique référencée (en plus de Giger, on pense aux toiles traumatisantes de Zdzisław Beksiński). Au-delà de la beauté évidente de sa technique (ses textures et ses effets de lumière sont tout bonnement admirables), Scorn construit sa plongée en enfer comme une seule ligne continue, sans temps de chargement et autres effets de scission des niveaux, pour mieux emporter le joueur dans un éprouvant parcours du combattant. Tout cela pourrait n’être qu’une galerie de vistas tirées de magnifiques concept arts, mais le game design joint habilement le postulat de son univers avec la place qu’y tient notre personnage.

Très vite, l’évolution qu’on attend d’un avatar de jeu vidéo s’apparente ici à une mutilation, une modification permanente du corps qui transforme ce dernier en clé et en rouage réifié au sein de la charpente du jeu et de son environnement. Qu’on plonge ses doigts dans les orifices de tableaux de contrôle ou qu’une arme à l’allure phallique serve à déverrouiller des serrures à l’aspect vaginal, Scorn n’est que pénétration et sexualisation d’un monde où l’idée même de reproduction s’apparente à une forme d’industrialisation.

 

Scorn : photoC'est pour ça qu'on nous apprend à ne pas mettre les doigts dans les prises

 

Scorn d'abondance

C’est d’autant plus brillant qu’on peut y déceler une charge anti-capitaliste pas toujours explicitée chez Giger. Alors que notre héros est lancé dans une quête sans but, son besoin d’aller coûte que coûte de l’avant se paye au prix d’une perte progressive de son énergie vitale, aspirée par un système qui désagrège son corps au fil de ses pérégrinations. L’engrenage de la société broie ses membres, et le titre martèle l’idée dans ses énigmes absconses à la Myst, qui impliquent de parfois songer à des solutions cruelles, pour nous ou autrui.

Cela étant dit, toutes ces merveilleuses intentions peinent à prendre chair (sans mauvais jeu de mots) dans la pratique du jeu. Sans doute est-ce dû à ses nombreux remaniements et son besoin d’attirer les joueurs au-delà de la niche qu'il vise, mais Scorn est parfois aussi confus sur son identité que son protagoniste. Sa surprenante première partie (la plus réussie) assume d’être un walking simulator parsemé de puzzles, au point que cette démarche épurée engendre une immersion finalement bien plus terrifiante que son retour sur les rails d’un survival horror plus classique.

 

Scorn : photoDavid Cronenberg likes this !

 

Pour sûr, la manière dont le titre se réapproprie le FPS avec des armes biomécaniques est plutôt intéressante, mais à trop vouloir rendre notre avatar vulnérable, Ebb Software fait de ses phases de tirs de purs calvaires frustrants plombés par une visée infernale, d’autant que ces passages deviennent de plus en plus importants vers le milieu de l’aventure. On se doute que les développeurs auraient souhaité une approche plus radicale de leur monde, mais à trop vouloir bouffer à tous les râteliers, l'ensemble perd de sa singularité.

D’ailleurs, si Scorn a le mérite d’avoir élagué au maximum ses envies de niveaux par rapport au projet d’origine (comptez environ 5 à 7 heures pour en voir le bout), la répétitivité de son gameplay perfectible tend à anesthésier en cours de route, du moins jusqu’au dernier acte, où l’on retrouve un sentiment de solitude existentielle pesant.

 

Scorn : photoVous reprendrez bien une louche de glauque ?

 

Alien : Résurrection

Reste qu’en détournant certaines attentes du genre horrifique, le jeu marque plus qu’on ne le croit. À vrai dire, passé le choc des premiers instants, on ne se doute pas à quel point la crainte et l’effroi qu’il instigue sont génialement insidieux. Dans la plupart des survival horror, la peur passe d’abord par l’attachement viscéral à l’avatar, et à la manière de percevoir dans la préservation de son intégrité physique la nôtre.

Or, Scorn bouleverse ce présupposé par le nihilisme total de son gameplay et de son univers. Même si le titre simule à plusieurs reprises les paupières de notre personnage pour bien renforcer la valeur de son regard, il ne reste qu’un pantin, une coquille vide qui agit en tant que simple fenêtre sur un monde de cauchemar. Pas besoin d’avoir peur pour lui et son corps, puisque leur sauvegarde importe peu.

 

Scorn : photo"Bonjour, je viens hanter tes cauchemars pour les semaines à venir"

 

Paradoxalement, le jeu en devient encore plus effrayant, puisqu’il nous renvoie à la totale insignifiance d’une humanité qui se cherche dans ce monde désolé. Est-ce que cet amas de matière qui nous constitue, et qui ne cherche qu’à survivre et prospérer, mérite d’être sauvé ? Scorn nous balance en pleine figure un vide tétanisant, et tout comme l’œuvre de Giger, nous donne presque envie de répondre à son appel, plongeon dans le néant d’une étrange beauté.

Scorn est disponible depuis le 14 octobre 2022 sur PC, Xbox Series X/S, et via le Xbox Game Pass

 

Scorn : photo

Résumé

Perfectible dans son gameplay et dans sa dimension de survival horror, Scorn n'en reste pas moins une expérience extrême et parfaitement adaptée à l'univers biomécanique de H.R. Giger. C'est dans son approche plus insidieuse de l'horreur et de son désespoir nihiliste que le jeu brille, le tout sublimé par une production design exemplaire et une richesse thématique rigoureuse.

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commentaires
glapf
22/10/2022 à 04:21

Enfin un article qui parle de Beksiński qui je trouve est plus près de scorn que Giger

Kyle Reese
21/10/2022 à 17:30

J'attends le mod d'un programmeur qui utilisera le décor comme terrain de jeu d'un FPS bourrin avec l'arrivée de Xenomorphes et autres créatures Gingerienne aussi véloces que voraces. Car un aussi beau décor c'est bien mais si on s'emmerde comme un rat mort, quel intérêt. Doom Eternal a des décors de l'enfer absolument magnifique et on s'y éclate comme des fous. Je ne demande pas ça ici mais de ce que j'ai lu ici et là c'est beau mais c'est vide et sans vie, et puis les jeux de "marche" je ne vois pas trop l'intérêt ou alors en VR why not. Vraiment dommage vu l'hommage hyper soigné à ce fameux artiste plasticien Suisse complètement barge qui m'a pas mal fasciné au début des années 80. J'aimerai savoir d’où vient son inspiration. Entre ça, Gotham Knights avec une ville complètement vide, la suite de à Plague Tale magnifique mais semble-il toujours aussi problématique niveau game play et souvent répétitif et redondant ... bah ça ne me tente pas du tout.

thierry A
21/10/2022 à 16:55

Une référence instantanée du genre.
L'univers de Giger (et Beksinski) est parfaitement exploité et développé, mais on accomplit des puzzles souvent sans le savoir, donc sans réflexion, et les phases de shoots sont plus pénible qu'autre chose.
Si le jeu a eut un but, je l'ai raté, ou il s'est peut être perdu pendant le long développement (démarré en 2013) ou a été rendu complètement abscond. Dommage

Docteur Benway
18/10/2022 à 03:26

Pareil que @tlantis, j'en attendais beaucoup et je me suis fait chier comme un rat mort. Aucun scénario, des énigmes répétitives (qui tiennent plus du casse tête), de jolis décors mais beaucoup de vide. La déception de l'année.

rientintinchti2
17/10/2022 à 22:14

Merci pour la découverte Beksinski.
Je ne connaissais pas. C'est superbe.

@tlantis
17/10/2022 à 20:27

Jouer 30 minutes et arrêter .
C’est beau mais la manque d’infos pour avancer .
Peux être je regarderais la solution pour avancer mais si tous le jeux est comme cela … je risque de pas jouer plus .
Vivement plague 2

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