De Killzone à Horizon : Guerrilla Games, grand studio ou gros pilleurs de Playstation ?

Antoine Desrues | 13 février 2022 - MAJ : 14/02/2022 10:26
Antoine Desrues | 13 février 2022 - MAJ : 14/02/2022 10:26

Alors qu'Horizon Forbidden West est bien parti pour devenir l'un des jeux incontournables de la PS5, retour sur l'histoire de son studio : Guerrilla Games.

Comment un petit développeur hollandais est-il devenu l'une des structures les plus importantes d'Europe dans le domaine du jeu vidéo ? Fondé en 2000, Lost Boys Games est à la base le mix de trois studios, à savoir Orangegames, Digital Infinity et Formula Game Development. Ces trois entités sont rachetées par la firme Lost Boys pour débuter une branche dans le domaine du gaming. Pendant les deux années suivantes, les équipes planchent intégralement sur des jeux pour Game Boy Color et Game Boy Advance.

Mais en 2003, Lost Boys décide de se séparer de sa division jeu vidéo, qui est rapidement rachetée par Media Republic. C'est à ce moment-là que l'entreprise change de nom, pour mieux coller à l'esprit de sa nouvelle maison mère. Guerrilla Games naît.

 

Horizon II : Forbidden West : photoAh, c'était le bon temps !

 

The Halo Killer

Au moment du rachat de Lost Boys Games, Guerrilla est concentré sur deux projets de jeux de tir, l'un à la première personne, l'autre à la troisième. Étant donné que Media Republic permet au studio de demeurer indépendant, ce dernier ne tarde pas à faire de l’œil à Sony Computer Entertainment Europe. Malgré tout, on se dit que l'histoire a quand même bien fait les choses, car sur les deux jeux en développement chez Guerrilla, PlayStation jette son dévolu sur ce qui deviendra l'une de ses plus grosses franchises : Killzone. En parallèle, c'est Eidos qui choisit d'éditer Shellshock : Nam '67, un TPS au cœur de la guerre du Vietnam aussi frustrant que peu inspiré.

Les deux titres sortent ainsi en 2004. Si Shellshock : Nam '67 tombe immédiatement dans l'oubli, Killzone parvient, avant sa sortie sur PS2, à créer une attente assez démesurée pour une création de petit studio émergent. Pour cause, Sony n'hésite pas à mettre le paquet sur sa promotion, quitte à présenter le jeu pour ce qu'il n'est pas réellement. Là où les pontes de Guerrilla veulent créer un FPS futuriste sans grande prétention, PlayStation y voit l'opportunité de relancer la guerre des consoles.

En effet, même si la PlayStation 2 est un carton planétaire, oblitérant toute concurrence, il manque à Sony l'un des phénomènes de Xbox : Halo : Combat Evolved. Le premier volet des aventures du Masterchief est non seulement une révolution dans le domaine du FPS sur consoles, avec son gameplay parfaitement adapté aux deux sticks de la manette, mais il est aussi le début d'une franchise phare, entérinée par le succès incomparable de Halo 2.

 

Killzone : photo Shellshock Nam 67Shellshock : Nam '67 et sa bande de troufions

 

C'est pourquoi toute l'industrie cherche à ce moment-là à produire son propre "Halo Killer", un jeu qui sera capable de tenir tête au blockbuster de Bungie. Sony voit en Killzone ce concurrent, en grande partie à cause des similitudes de son univers.

Durant le XXIVe siècle, la colonisation de l'espace amène les habitants de Vecta à se rebeller. Après leur défaite, ils se réfugient sur la planète Helghan, dont l’inhospitalité modifie génétiquement ses occupants, reconnaissables à leur peau pâle et à leurs armures dotées d'yeux rouges bien flippants. Alors que l'Empire Helghaste (pas du tout inspiré par les nazis) devient de plus en plus puissant, le joueur incarne des membres de l'ISA (Interplanetary Strategic Alliance), une coopération militaire censée stopper la prise de pouvoir totalitaire des Helghastes.

Même si son contexte est plutôt travaillé, on repassera pour l'originalité. Néanmoins, Guerrilla croit dur comme fer à la noirceur désespérée de son univers, bien loin des couleurs chatoyantes de Halo. Et il a plutôt raison, puisque Killzone se vend à deux millions d'exemplaires, devenant en quelques années l'un des best-sellers de la PS2. Cependant, cela n'empêche pas les retours d'être assez mitigés. Si tout le monde s'accorde sur l'ambition visuelle et sonore du jeu, offrant une atmosphère délétère très réussie, l'ensemble souffre de nombreux soucis, allant de chutes violentes de framerate à la bêtise d'une intelligence artificielle mal programmée.

 

Killzone : photoEn plissant les yeux, ça passe !

 

(Don't) Believe the Hype

Pour autant, il y a clairement un potentiel, que les joueurs perçoivent autant que Sony, qui signe avec Guerrilla un contrat d'exclusivité, avant de carrément racheter le studio en 2005. Peu de temps après avoir conçu Killzone : Liberation, un épisode PSP en vue du dessus (conférant à cet opus un élan de jeu de stratégie), les développeurs se lancent dans la production d'une suite directe du premier jeu, qui a le devoir d'accompagner la tant attendue PlayStation 3. Finalement, la console se rend disponible dès 2006, tandis que Killzone 2 connaît une longue gestation, qui l'amène à ne sortir qu'en 2009.

Cela étant dit, le titre profite d'une hype monstrueuse, puisque sa première bande-annonce, visuellement bluffante, est présentée lors de l'E3 de 2005, en même temps que la nouvelle console. Au travers d'une vue subjective, ce trailer désormais mythique nous plonge au cœur d'un champ de bataille explosif, où le danger émerge de tous les côtés.

Avec son côté Soldat Ryan du futur, cette présentation de Killzone 2 ne tarde pas à convaincre, surtout lorsque les exécutifs de Sony se montrent volontairement trompeurs sur la nature de cette bande-annonce. Une bonne partie de la presse et du public est persuadée que tout cet étalage photoréaliste est en temps réel, faisant fantasmer les possibilités proches du médium. En réalité, l'ensemble est bien pré-rendu, à la grande déception de certains.

 

 

Cependant, cette manipulation ne prive pas Killzone 2 d'un accueil enthousiaste. Le gameplay et le feeling des armes est plus impactants que dans le premier opus tandis que le multijoueur en ligne s'affirme comme l'un des plus funs de sa génération. Mais surtout, tout le monde retient la qualité technique d'un jeu réellement imposant, y compris sur la séquence reprise de la bande-annonce originelle. Le FPS exploite toutes les capacités de la PS3, du détail des textures à des jeux habiles sur la profondeur de champ, qui confèrent au réalisme de l'ensemble (la base de chaque arme tenue par notre avatar est légèrement floutée, pour mieux centraliser notre regard vers le centre de l'écran).

Enfin, Killzone 2 marque par sa photographie sublime une constance chez Guerrilla Games, qui devient à partir de là l'un des studios pensés pour livrer les vitrines technologiques de PlayStation. On retient particulièrement dans cet épisode un travail monumental sur les lumières dynamiques qui donnent une vie insoupçonnée aux décors et à l'interaction des PNJ en leur sein. La prouesse du jeu est surtout de réfléchir à l'optimisation de tels ajouts, pour éviter qu'ils ne prennent toutes les ressources du hardware de la console.

 

Killzone 2 : photoUn jeu qui pète la classe

 

Tirez sur le scénariste

Néanmoins, il faut bien reconnaître que la saga n'arrive pas à avoir l’impact culturel de Halo. S'il y a bien un domaine dans lequel Guerrilla peine, c'est la gestion de la narration, aussi prétexte que platement illustrative. Plutôt que de forger au travers de ses scènes d'action un world-building salvateur, Killzone 2 enchaîne les effets manche, comme mettre en scène la mort d'une des protagonistes du premier volet. Sorti en 2011, Killzone 3 se repose sur les acquis de son prédécesseur, autant sur ses plus grandes qualités que ses défauts.

Là où le studio est vraiment attendu, c'est en 2013, où Killzone : Shadow Fall n'a pas seulement la responsabilité d'être la révolution graphique de la PS4, mais le porte-étendard du lancement de la machine. Là encore, le résultat est en demi-teinte. D'un côté, impossible de prendre en défaut le jeu sur sa technique irréprochable, profitant de vues en vaisseau pour montrer des panoramas détaillés à perte de vue.

Shadow Fall est indéniablement magnifique, d'autant que Guerrilla en fait le fer de lance de son moteur graphique maison, nommé Decima. C'est justement les lumières dynamiques et le post-traitement qui sont au cœur de sa réussite, au point qu'il est depuis utilisé sur les autres productions du studio, et même par d'autres développeurs, comme Kojima Productions sur Death Stranding.

 

Killzone : Shadow Fall : photoC'est plus beau, mais toujours aussi con

 

De l'autre côté, Shadow Fall est un rendez-vous manqué embarrassant au niveau de son récit, qui repose pourtant sur l'idée intéressante d'un mur géant, divisant Vecta en deux territoires : l'un pour l'ISA, l'autre pour les Helghastes. Mais derrière cet enjeu qui n'est pas sans s'inspirer du conflit israélo-palestinien, il y a un vide thématique et politique, qui fait de la progression du jeu un laborieux parcours du combattant, dans lequel on peine à s'impliquer. Cet échec, représentatif de l'exploitation maladroite de l'univers, finit de plonger la saga en hibernation.

Malgré ses 2,1 millions de ventes, ce dernier volet amène Guerrilla à se renouveler, comme l'annonce fièrement le studio. D'ailleurs, son jeu suivant, Horizon : Zero Dawn, s'impose immédiatement comme une nouvelle franchise majeure de PlayStation, qui parvient à vendre 10 millions de galettes, au point d'en faire l'un des incontournables de la PS4.

 

Killzone : Shadow Fall : photoGuerrilla, spécialiste des effets de lumière qui claquent

 

À l'Ouest, rien de nouveau ?

Ainsi, les premières aventures d'Aloy se démarquent clairement par le vent de fraîcheur de leur univers. Mêlant post-apocalypse et retour de l'humanité à un âge primitif, le monde ouvert d'Horizon a surtout pour lui sa plus belle idée : sa faune robotique qu'il convient de chasser ou d'apprivoiser. Decima fait ici des merveilles (notamment sur la chevelure de l'héroïne) pour donner corps à cet univers que l'on rêve d'explorer. Mais surtout, Zero Dawn reflète une amélioration non-négligeable de Guerrilla en matière de narration. Les personnages et leur parcours sont enfin construits, permettant à la fois de l'empathie envers les protagonistes et un développement organique des règles de ce monde de SF.

Néanmoins, le succès d'Horizon : Zero Dawn est avant tout celui d'un très beau brouillon, attendant d'être transcendé. Au grand dam du titre, sa sortie le 1er mars 2017 se prend de plein fouet celle de Zelda : Breath of the Wild deux jours plus tard. Tandis qu'Horizon se repose globalement sur les acquis un peu vieillissants (mais bien exploités) de l'open-world façon Ubisoft, avec tout plein de collectibles et de quêtes annexes pour gonfler l'exploration du monde, le dernier chef-d’œuvre de Nintendo bouleverse complètement ce paradigme.

Comment ? En offrant une liberté d'action et d'expérimentation totale, à commencer par la capacité de Link à crapahuter sur tous types de plateformes. Forcément, les déplacements limités d'Aloy paraissent en comparaison déjà obsolètes.

 

Horizon : Zero Dawn : photoThe Witcher 3 : Wild Hunt

 

Mais n'est-ce pas là la grande limite de Guerrilla Games, qui a toujours défini le studio ? On ne peut décemment pas reprocher aux développeurs le niveau de polish de leurs titres, mais le cœur même de leur game design semble en permanence courir après une concurrence plus inventive. Si Killzone a toujours cherché à s'opposer (sans grand succès) à Halo, Horizon : Zero Dawn s'est calé sur tous les benchmarks de l'industrie de son époque en matière de jeu d'action en monde ouvert. Seulement, le jeu ne peut qu'être en retard sur sa propre époque lorsque Nintendo débarque pour faire bouger les lignes du genre.

Il est d'ailleurs triste de voir que le studio s'apprête à continuer cette course effrénée face aux modes du moment avec Horizon Forbidden West. Si cette suite s'annonce d'ores et déjà comme l'une des grandes vitrines technologiques de la PS5, voir Aloy gagner en mobilité (notamment via une paravoile, comme Link) ne trompe personne quant à ses influences.

 

Horizon II : Forbidden West : photoRazorback

 

Par rapport à l'exigence de Naughty Dog ou de Santa Monica, Guerrilla Games continue d'être l'éternel second. Certes, c'est une valeur sûre de Sony, qui assure d'en mettre plein les mirettes, mais c'est aussi le représentant évident d'une industrie qui patauge dans ses acquis, plutôt que d'essayer de les bouleverser.

Dans une interview de 2017, l'un des producteurs du studio, Joel Eschler, a évoqué le fait que PlayStation permet souvent aux développeurs de ses diverses structures de communiquer, et même de partager des astuces ou des conseils. L'intention est plus que louable, mais on en vient à se demander si cet entre-soi n'est pas en train de porter préjudice au prestige des jeux Sony, surtout connus pour régulièrement réinventer la roue. Bien sûr, c'est sympa de pouvoir piquer les idées du voisin, mais pour que Guerrilla Games espère un jour offrir au monde un véritable chef-d’œuvre, il lui faudra plus que cela.

Tout savoir sur Horizon Forbidden West

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commentaires
Antoine Desrues - Rédaction
14/02/2022 à 10:27

@Abel78

Petite coquille en effet (sans doute pour oublier la pandémie) ;)
Merci, c'est corrigé

Abel78
14/02/2022 à 00:58

Bel article, bien écrit !
Il y a juste une petite erreur sur la sorti de Zéro Dawn et Zelda Breath of the wild, c'était en 2017 et non 2021.

Chonrei
13/02/2022 à 11:52

"divisant la planète Helghan en deux territoires : l'un pour l'ISA, l'autre pour les Helghastes.". C'est Vecta qui accueille les réfugiés Helghasts après la destruction de la surface de leur planète. La planète est séparée en deux par un mur. Une saga magnifique et même le dernier est très intéressant par son retournement de situation final.