Policenauts : L'Arme fatale dans l'espace, ou l'avant-Metal Gear Solid d'Hideo Kojima

Christophe Foltzer | 22 mars 2021
Christophe Foltzer | 22 mars 2021

Hideo Kojima, ce n'est pas que Metal Gear Solid... c'est aussi Policenauts, un buddy movie spatial trop souvent oublié.

Quand on pense au nom d'Hideo Kojima, une saga vient immédiatement en tête : Metal Gear Solid. Plus récemment, c'est Death Stranding qui l'a remis sur le devant de la scène, et suscité de vifs débats vu ce projet extraordinaire.

Mais ce serait une grosse erreur de ne le limiter qu'à ça, alors qu'il y a eu un avant très glorieux. La preuve avec Policenauts.

 

 

AVANT METAL GEAR SOLID

Entré par la petite porte chez Konami en 1986, Hideo Kojima ne met pas longtemps avant de s'installer confortablement comme l'un des créateurs les plus novateurs et intéressants de l'éditeur. Avec le premier Metal Gear sur MSX 2, en 1987, évidemment ; puis avec Snatcher, dont nous avons parlé il y a peu, sur PC-8801 et MSX 2, avant de l'adapter sur les machines les plus performantes du moment comme le Mega-CD.

Mais ce coup d'éclat, qui nous a, avant tout, révélé la patte et l'ambition d'un vrai auteur, n'était que le premier étage d'une fusée bien plus ambitieuse. En effet, avant de connaitre la renommée internationale avec le premier Metal Gear Solid sur PlayStation en 1998, Kojima avait accouché d'une autre oeuvre à sa mesure, malheureusement inédite chez nous : Policenauts.

L'occasion encore une fois pour le game-planner de payer son tribut au monde du cinéma, lui qui a toujours voulu être réalisateur sans jamais avoir la chance de le devenir. L'occasion aussi de creuser ses thématiques et d'approfondir son mélange des genres si spécifique.

Ainsi donc sort Policenauts en 1994, d'abord sur PC-9821, puis l'année suivante sur 3DO avant d'atteindre, en 1996, les rivages de la Playstation et de la Saturn, au Japon uniquement.

 

PolicenautsPolice + Astronautes = Policenauts

 

ALARME FATALE

Comme souvent chez Kojima, Policenauts prend pour cadre de la bonne grosse science-fiction, prétexte de son auteur pour raconter les turpitudes du monde moderne et alarmer ses contemporains sur les heures sombres qui viennent. Il s'agit ici de conquête spatiale et de colonisation, puisque le jeu prend comme point de départ l'année 2010 (le 2010 de 1994, donc) qui a été un tournant majeur de l'Humanité avec la mise en orbite de Beyond Coast, la première colonie spatiale humaine.

Pour y faire régner l'ordre, en 2013, une alliance internationale mandate les cinq meilleurs agents de police du monde sur Beyond Coast. Parmi eux se trouve Jonathan Ingram, membre du LAPD, avec son partenaire Ed Brown. Malheureusement, un incident se produit lors d'une sortie spatiale et Ingram se retrouve propulsé dans le vide.

 

PolicenautsUn passé pas si perdu que ça

 

25 ans plus tard, il est retrouvé cryogénisé puis ramené à la vie. Détective privé à Old Los Angeles en 2040, Ingram n'arrive pas à se faire à ce nouveau monde. Sa femme a dépassé la cinquantaine et a refait sa vie, du coup il tue son mal-être en étant la plupart du temps négociateur.

Mais voilà que son ex-femme, Lorraine, loue ses services pour retrouver son mari : Kenzo Hojo, membre éminent de la compagnie pharmaceutique Tokugawa de Beyond Coast. Lorsqu'elle se fait assassiner sous ses yeux, Ingram, d'abord réticent, débute son enquête et décide de renouer le contact avec son ancien partenaire, Ed Brown, avant de repartir dans les étoiles.

 

PolicenautsUn réveil difficile

 

VOS PAPIERS SIOUPLE

Tout comme Snatcher, Policenauts se présente sous la forme d'un jeu d'aventure en Point & Click agrémenté de quelques phases de tirs en vue subjective. Là encore, pas de véritable FPS, mais plus du "rail-shooter" à la Virtua Cop. Un choix qui pourrait sembler des plus paresseux (surtout que le jeu est sorti six ans après son précédesseur) mais qui n'est en réalité qu'une grosse note d'intention de la part de son géniteur.

Pour qui en doutait encore, Kojima n'a pas grand-chose à faire d'un gameplay novateur ou approfondi. Ce qui l'intéresse c'est avant tout nous raconter une belle et bonne histoire. Et, comme d'habitude, il va se servir dans les oeuvres périphériques qu'il apprécie pour créer son univers.

Si l'aspect SF nous ramène à un pan entier de la littérature spécialisée, Philip K. Dick en tête, l'influence majeure est plus à chercher du côté des buddy-movies américains de la fin des années 80.

 

PolicenautsJonathan Ingram, notre héros

 

Le character-design ne s'en cache pas vraiment : Kojima s'inspire énormément de L'Arme fatale pour ses personnages. Jonathan Ingram en tête, qui n'est qu'un décalque visuel du personnage de Martin Riggs, tandis que son comparse Ed Brown rappelle beaucoup le Roger Murtaugh en fin de carrière interprété par Danny Glover.

Bien entendu, il ne s'agit pas là de faire de la citation gratuite ou de la copie conforme puisque. Comme à son habitude, Kojima ne s'en sert que comme matériau de départ pour ensuite y plaquer ses obsessions. D'ailleurs, elles sont encore plus prégnantes que dans Snatcher puisqu'on y retrouve ce côté film-noir encore plus approfondi, tout comme une grosse mélancolie qui parcourt le récit entier.

À la manière de ses futures oeuvres cultes, Hideo Kojima nous parle de la difficulté de trouver sa place dans une société en pleine mutation sociale, politique et humaine, du temps perdu, des regrets et de l'impossibilité de surmonter certains traumatismes. Avec, bien entendu, le bagage habituel du créateur et ses histoires de complots corporatistes, de recherches de la vérité et de parallèle avec le monde moderne.

 

PolicenautsDu bon vieux shooter à l'ancienne

 

PRIVE DE SORTIE

À la différence de Snatcher, qui avait connu une petite diffusion en Occident, Policenauts n'aura pas ce plaisir. Peut-être parce que le travail de traduction était bien trop important par rapport à la portée commerciale du titre. Peut-être aussi parce qu'à l'époque de sa sortie sur PlayStation, tout le monde ne jurait que par la 3D brute et balbutiante, et que sortir en grande pompe un "Visual Novel" de luxe conduirait l'éditeur dans le mur.

Il n'empêche que cette absence est bien dommage, mais elle n'est en aucun cas grave. C'est en effet cette rareté qui a permis au titre de trouver ses lettres de noblesse, de devenir un objet de culte parmi les fans de Kojima. Et la scène des fans s'est encore une fois illustrée de très belle manière puisqu'une poignée de joueurs ont pris le taureau par les cornes en proposant une traduction de très haute facture pour qui veut s'y essayer sur émulateur.

 

PolicenautsLa toute première Meryl

 

L'occasion de comprendre que, plus encore que Snatcher, c'est bel et bien Policenauts qui annonce Metal Gear Solid. On y retrouve en effet le personnage de Meryl Silverburgh, membre de l'unité Fox-Hound et brouillon de la rouquine de MGS, tout comme les clins d'oeil ultérieurs à ce jeu seront nombreux dans la saga Metal Gear Solid. Une manière de rappeler, encore une fois, que cette série ne vient pas de nulle part et qu'elle est issue d'un glorieux ainé.

Jouer à Policenauts, ou ne serait-ce que l'essayer, est donc d'utilité publique pour qui se réclame fan d'Hideo Kojima. Surtout à l'heure où sa carrière a pris un virage Death Stranding, il est bon de se rappeler qu'il n'est pas que l'homme d'une seule saga, et que son univers riche et cohérent est bien plus passionnant que ce que l'on en a déjà vu officiellement.

 

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commentaires
gege le vrai
29/04/2021 à 17:34

"une poignée de joueurs ont pris le taureau par les cornes en proposant une traduction" une trad fr?

Geoffrey Crété - Rédaction
22/03/2021 à 22:01

@Christophe

Plaisir et émotion de revoir ton nom sur ce site.
On se boit quand ce café sinon ?

Christophe Foltzer - Rédaction
22/03/2021 à 19:38

@Geoffrey :

Ouais, j'avais bien aimé faire ce dossier (et celui de Snatchers aussi). Dans mes souvenirs, celui sur Kingdom Hearts 3 était pas dégueu non plus.

Rien de comparable avec vos dossiers actuels EVIDEMMENT.

RobinDesBois
22/03/2021 à 18:10

Je viens de regarder quelques extraits du jeu et c'est vrai que les deux détectives sont les portraits crachés de Martin Riggs et Roger Murtaugh ! De ce que j'ai entendu la BO a l'air excellente, les jeux de Kojima avait une ambiance musicale beaucoup plus authentique quand il faisait appel à des compo Japonais plutôt qu'Harry Gregson-Williams et sa musique (involontairement ?) parodique.

Geoffrey Crété - Rédaction
22/03/2021 à 17:41

@Nesspas

Merci !
Aucun des deux : c'est un article datant d'il y a 1 ou 2 ans, et réservé aux abonnés. Au bout d'un certain temps, on republie en non-abonné ces articles.
Et le hasard, ou le destin, a fait que c'était l'une des options. Ravi si ça vous a plu !

Et hommage au bon Christophe, qui n'est plus dans l'équipe aujourd'hui. Mais on t'aime bien quand même. Surtout si tu viens nous lire parfois.

Nesspas
22/03/2021 à 17:36

Un immense merci pour ce papier !
Découverte rétrogaming de confinement ou madeleine de Proust ayant refait surface il y a peu ?

Mushy
22/03/2021 à 15:14

Ce jeu plein de rebondissements ! dans le scénario ...bien sur :)

RobinDesBois
22/03/2021 à 14:51

Je vais essayer de trouver une version traduite sur émulateur, le scénar doit être excellent. Dommage que Kojima ai perdu en inspiration après MGS2. Il aurait du se consacrer à une autre saga ou pourquoi pas relancer ses anciennes franchises.

Moijedis
22/03/2021 à 14:46

Non sans déc ?
C’est même critiqué dans le titre

Cédrik
19/11/2019 à 15:34

Ryo-sama, non tu n'es pas le seul, ça m'a sauté aux yeux aussi. Il y a clairement inspiration ou hommage c'est trop flagrant.

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