Respire : Rencontre avec Mélanie Laurent

Christophe Foltzer | 15 novembre 2014 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 15 novembre 2014 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Sorti mercredi dernier Respire aura de grandes chances d'être mal compris par le public, peut-être trop concentré sur l'image qu'il a de sa réalisatrice, Mélanie Laurent. C'est d'autant plus dommage que le film, loin d'être un banal long-métrage sur l'adolescence comme on pouvait s'y attendre, se rélève particulièrement brillant et maîtrisé, soulevant un certain nombre de questions essentielles par les temps qui courent. Des questions que nous avons posé à sa réalisatrice, au cours d'un entretien surprenant à bien des égards.

 

un film très personnel

On aura tort de limiter Mélanie Laurent a l'image que peuvent nous en renvoyer certains médias, d'autant plus lorsque l'on parle de Respire. Film personnel à bien des égards, la réalisatrice le porte en elle depuis une décennie, depuis la découverte du roman d'Anne-Sophie Brasme dont il est adapté.

"Il fallait faire ce film maintenant parce qu'il y a dix ans, le livre faisait trop écho au mal de bide que j'avais avant d'aller à l'école, à une certaine cruauté des bandes de filles, à ce que j'ai vécu comme des milliers de gens : ne pas se sentir toujours à sa place, avoir l'impression de faire partie des faibles, être murée dans une espèce de silence et d'angoisse, même si c'était très soft par rapport à ce que vit le personnage dans le film. Je n'avais aucun recul sur tout ça. Dans les 10 ans qui ont suivi, j'ai rencontré de vrais manipulateurs, qui ont alimenté le personnage de Sarah avec beaucoup plus de mâturité, ce qui fait que je me rends compte qu'effectivement ça peut toucher des hommes et des femmes d'un autre âge. Le film peut parler à plein de gens."

Mais n'y aurait-il pas un problème à la base ? Quand on compare l'affiche, très positive, avec le film, on comprend que ces deux éléments n'entretiennent que peu de rapports. Comment alors définir le film ?

"Il ne faut pas dire que c'est un film d'ados, pour les ados, sur les ados, mais il touche des gens très différents. C'est un film sur la manipulation, ce qui peut arriver à n'importe quel âge malheureusement. Bon, là, en l'occurrence, c'est l'année du Bac, déjà parce que c'était comme ça dans le livre, mais aussi parce que j'aimais bien l'idée que mon personnage soit bloqué sans possibilité de changer de lycée en cours d'année, ça ne se passe que sur 6 mois et puis il y a cette idée du Bac... A quelques semaines près on s'en sort, on n'est plus obligée de la voir. Mais on ne peut pas attendre."

 

un grand film sur la perversion narcissique

C'est probablement ce qui marque le plus dans Respire, l'étude de cas de la perversion narcissique. Le coeur du métrage, la raison d'être du film, quelque chose qui nous prend à défaut parce qu'on n'attendait pas forcément cela de la part de quelqu'un comme Mélanie Laurent. Encore une fois, la réalité est bien différente des apparences et de l'image que l'on peut se construire d'une personne.

"Comme plein de gamines à cette époque-là, j'ai connu cette violence, même si je le répète j'ai connu la version soft. A un moment, je me suis demandé pourquoi je rencontrais beaucoup de manipulateurs. Est-ce qu'on les attire ? Je voulais faire un film sur l'éloge de la faiblesse, sur les victimes et pas sur les bourreaux. Je ne voulais pas leur laisser le choix. Evidemment, il n'y a que la fuite qui peut nous sauver mais j'avais besoin d'aller jusqu'à la violence que l'on peut voir à la fin du film. C'est la même que dans le livre, et ça m'avait choquée, bouleversée à l'époque. Et puis c'est très cinématographique aussi. Ca reste une fiction, ce n'est pas ce qu'il faut faire dans la vie. Ce qui compte pour moi, c'est que Charlie reprenne son souffle à la fin du film, qu'elle respire à nouveau."

Le plus grand défi du film, c'est évidemment de jouer tout en subtilité avec le rapport victime-bourreau, exercice très compliqué, qui peut à tout moment déraper, tomber dans le cliché et la caricature. Ce n'est jamais le cas dans Respire.

"Le vrai problème qu'il y a eu dès le départ, c'est le personnage principal de Charlie, un personnage dangereux, à qui on aurait plutôt envie de mettre des baffes. Il fallait qu'on ait de l'empathie et qu'on soit avec elle. La rencontre avec Joséphine Japy a été essentielle puisqu'elle exprime la victimisation et la diminution, la souffrance, d'un simple regard avec génie et justesse et on souffre instantanément avec elle."

Ce rapport complexe et ambigu entre les personnages laisse penser que dans un cas de figure pareil, la victime manipulerait aussi son bourreau, par son attitude-même.

"Ce n'est pas de la manipulation parce que je pense que Charlie est pure, c'est une pure vraie victime. En revanche, elle renie vite ses amis et laisse complètement Sarah entrer dans sa vie. Je ne pense pas que ce soit de la manipulation mais plus le fait qu'elle est prête à être manipulée, ce qui est différent. Quand on tombe sur des fous de ce genre, c'est qu'on est prêts [à entrer dans ce type de relations]. Là où ça peut être manipulateur c'est quand on se plaint beaucoup, qu'on passe notre temps à dire que c'est horrible. On se complait dans notre malheur parce que ça nous rend vivant.

J'avais lu dans un dossier sur la perversion narcissique, puisque c'est le marronnier du moment, qu'un pervers narcissique pouvait l'être avec sa femme mais pas avec ses enfants et inversement.  Mais effectivement, il n'y a pas de bourreau sans victime. [...] Il y a clairement deux mères toxiques dans le film et je trouve qu'il y a beaucoup de gamines qui ont des mères toxiques et jalouses dans leur entourage. Les deux personnages principaux sont seules au monde dans leurs deux souffrances. Elles ne sont absolument pas aidées quand elles rentrent chez elles. Tout part toujours de l'éducation, les armes que l'on nous donne ou non viennent de là. Moi, j'ai eu beaucoup de chance d'avoir des parents géniaux, mais cela ne m'a pas préparé pour autant à me protéger des manipulateurs."

 

 

un thermomètre politique et social de l'époque et de la génération d'aujourd'hui

Ce qui est sûr, c'est que par le choix-même de son sujet, très à la mode ces dernières années, Respire porte un regard très critique sur l'époque actuelle et sur la mise en lumière de cette problématique de la perversion narcissique.

"J'ai l'impression que c'est lié au fait qu'en France, les femmes sont plus libérées qu'avant. Il y a eu beaucoup d'avancées en 50 ans, les hommes sont complètement largués. Tout d'un coup la femme est plus indépendante et s'impose d'une certaine manière dans son rapport amoureux. Il y a beaucoup de femmes très solaires et très fortes qui tombent sur des mecs qui veulent enlever cette lumière parce qu'ils ne savent pas comment gérer cette nouvelle génération. Après, ces femmes très puissantes jouent aussi beaucoup avec ça, comme si elles avaient un rapport générationnel du genre "On en a tellement chié que toi, dans notre rapport amoureux, je vais t'en mettre plein la tête." Je pense qu'en fait on est tous un peu largués, les réseaux sociaux n'aidant en rien la jeunesse d'aujourd'hui. Il y a une violence inouïe, sur Internet, partout, tout est prétexte à la haine. Il y a un rapport très pervers où maintenant tout le monde dit tout ce qu'il veut. A un moment donné, il faut peut-être arrêter de se dire tout ce que l'on pense. N'importe quelle proposition artistique est attaquée et on n'a plus la même liberté en tant qu'artiste qu'auparavant.

Il y a beaucoup de choses qui ne vont du tout pas en ce moment et ce n'est pas qu'une question de Gauche / Droite, puisque dans les deux sens il n'y a rien qui va et je ne suis pas sûre que la proposition d'Extrême Droite soit la meilleure. La politique c'est une histoire de puissance, on place des gens qui ont tous les pouvoirs et qui réfléchissent à notre place. Jusqu'à quand va-t-on accepter qu'il ne se passe rien par rapport à ce qui va nous arriver sur la gueule, notamment sur le terrain de l'écologie ? Jusqu'à quand le citoyen va-t-il penser que les lobbys et les gouvernements dirigent le monde et qu'on verra bien ce qui va se passer ? Il y a une révolution silencieuse qui a lieu en ce moment heureusement un peu partout dans le monde mais le citoyen va devoir aller dans la rue parce que, pour l'instant, les seuls qui y descendent, ce sont ceux qui sont contre le mariage pour tous. Si on mettait la même énergie pour des choses plus importantes et essentielles... Il n'y a plus de place aujourd'hui pour l'être humain, pour l'individu. Nous sommes dans un rapport uniquement économique sans jamais chercher de solution logique et pleine de bon sens. Nous sommes dans l'immédiateté."

Soyons honnêtes, nous n'attendions pas du tout ce type de discours engagé, révolutionnaire et volontiers subversif de la part de quelqu'un comme Mélanie Laurent. Comme si l'image que l'on pouvait avoir d'elle se brisait sous nos yeux. Et cela fait très plaisir. En conclusion, et pour revenir un peu sur ce qui nous intéresse en premier lieu, on peut se poser la question de savoir si le cinéma peut changer la vie.

"Les livres ont ce pouvoir, parce que le cinéma c'est déjà un oeil qui propose quelque chose. Quand on lit un livre, on entend sa propre voix, on s'en fait son propre film. En revanche, un film peut avoir un impact. Je vais bien, ne t'en fais pas par exemple, avait changé la vie de beaucoup d'anorexiques. Je reçois encore des lettres de jeunes filles qui ont recommencé à manger depuis qu'elles ont vu le film. Pour Respire, s'il y a une gamine qui se fait emmerder depuis septembre et qui voit le film, qui souffre avec Charlie, qui prend du recul et qui se dit qu'elle ne veut pas finir comme elle, c'est gagné. On fait des films pour ça. C'est pour ça qu'il y a très peu de prise politique dans le cinéma. On est tous mélancoliques de la Nouvelle Vague, d'un cinéma politique, et c'est sûr qu'on a moins de courage aujourd'hui. Nous sommes dans des angoisses de vie qui font qu'on a envie de rire bêtement de choses vulgaires, on ne réfléchit pas trop, on est dans une génération du divertissement. Il y a plein de sujets d'actualité, mais ils sont tous traités de façon bizarre, peut-être avec trop de cinéma."

 

Nous ressortons de cette rencontre avec l'impression étrange de s'être fait avoir. Pas par Mélanie Laurent, mais par nous-même, par nos à-priori. Mélanie Laurent vient de nous donner une bonne leçon d'humilité ce qui, quand on y réfléchit bien, raccorde parfaitement avec Respire, l'une des perles de cette année et, à n'en pas douter, un film très important.

Propos recueillis par Chris Huby lors du premier Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz.

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commentaires
lemmy
16/11/2014 à 18:56

Bref, c'est une bonne commerciale.

Jean Paul Bide
15/11/2014 à 19:04

Ca c'est une belle interview