Compte rendu CITA 2004

Julien Welter | 6 octobre 2004
Julien Welter | 6 octobre 2004

Révélateurs et trompeurs sont les signes que lance le succès en salle du Carnets de voyage de Walter Salles. Si les années pré-Che à travers l'Amérique latine montrent en effet un engouement indéniable des Européens pour cette terre contrastée, elles dévoilent également un penchant pour le chromo pittoresque de ce même public. Ressasser les années Guevara, alors même que les Sud-Américains commencent à se détacher de ce poids iconique trop lourd à porter, marque deux appréciations très différentes. Dans cet entre-deux de points de vue, la CITA (le festival des Cinémas & Cultures de l'Amérique latine) offre alors à ses festivaliers, et ce depuis treize ans, un regard plus juste sur ce continent et son cinéma.

Ce dernier, dans une impasse économique et culturelle au milieu des années quatre-vingt-dix, se donne aujourd'hui les moyens de reconquérir son art. À l'image de l'Argentine qui, avec l'INCAA (Institut national de cinéma et des arts audiovisuels, copie du CNC français), avait entre autres permis la mise en place de quotas et le maintien de sa cinématographie, le Chili et le Brésil se dotent de leurs propres institutions. Un peu partout dans le continent, les infrastructures techniques et les circuits de salles se développent. Et même si des pays comme le Venezuela, la Colombie et le Mexique (dont les talents s'exilent presque immédiatement) semblent encore à terre, l'émergence de producteurs et de jeunes cinéastes augurent un avenir plus florissant au septième art sud-américain. « Notamment grâce au numérique, qui va aider ce cinéma à s'extraire de sa niche, le meilleur est à venir », nous promet André Pâquet (conseiller cinéma du festival).

Ce renouveau s'est paradoxalement traduit durant cette édition par un aspect tâtonnant et inabouti de la plupart des films. Bien que le président du festival, Jean Cazenave, affirme que « cette édition présente une sélection variée et qualitativement unie », les longs métrages donnent souvent l'impression de se chercher maladroitement sur le plan formel alors même qu'ils agitent des thèmes narratifs stimulants. « Il y a maintenant une exploration des styles et des langages dans tous les pays ; on essaye de rejoindre le public plutôt que de conter une historiette de plus », confirme André Pâquet. Como fazer um filme, de Amor, qui se joue des règles de la comédie romantique américaine en les dénonçant, est un exemple de cette recherche stylistique qui n'aboutit pas et qui préfère entièrement s'appuyer sur une déjà établie. De même, l'humour bidasse de Punto y raya, qui raconte les aventures de pieds nickelés pris entre guérilleros, narcotrafiquants et militaires colombiens et vénézuéliens, cache parfois mal le vide d'une image numérique employée trop simplement ; l'hilarant Conversaciones con mamá dissimule son académisme ennuyeux derrière la précision théâtrale des dialogues entre cette mère et son fils en pleine crise ; le très dur et très juste El Cielito semble même avoir abandonné toute idée de mise en scène en filmant les déambulations de cet orphelin en quête de paternité. Au milieu de cette compétition quelque peu morne, le lyrisme et la maîtrise aboutis de Whisky Romeo Zulu se détache alors immanquablement et emporte très naturellement la récompense. Le réalisateur Enrique Piñeyro réussit incontestablement une narration personnelle et symbolique, dans cette histoire autobiographique d'un pilote de ligne qui se résout à dénoncer les dangers de l'espace aérien argentin.

À l'image du cinéma qu'il projette, le festival semblait cette année se chercher. L'absence remarquée du village, pour raison financière et politique (un accord n'ayant pu être trouvé avec la mairie), a rendu morose l'ensemble des festivaliers pour qui ce lieu permettait échanges et contacts avec les réalisateurs, les acteurs et les programmateurs. Mais cet échec à fédérer son public n'est peut-être que le signe extérieur d'un festival qui se remet en question suite à la concurrence rude de San Sebastian et Cinespana. L'absence des distributeurs et des circuits de salle, conjuguée à une diminution de l'aspect transversartistique du festival, donne à cette manifestation moins l'aspect d'un festival que d'une rétrospective coûteuse doublée d'une série d'expositions et de colloques. « 95% des salles de cinéma appartiennent à Buena Vista en Amérique du Sud, et 1% du cinéma en Argentine est argentin », nous rappelle Xavier D'Arthuys (conseiller cinéma du festival). Le festival aurait alors tout intérêt à devenir cet espace de dialogue économique qui manque entre le cinéma européen et latin.

Enrique Piñeyro

Le jury, présidé par Jean-Jacques Bernard, et composé de Daniel Prévost, Christophe Barratier, Ilse Hughan, Anne de Gasperi et Dominique Gentil, a décerné les récompenses suivantes :

soleil d'or du Meilleur Long Métrage
Whisky Romeo Zulu, de Enrique Piñeyro (Argentine)

soleil d'or de la Meilleure Interprétation Féminine
China Zorrilla dans Conversaciones con mamá, de Santiago Carlos Oves (Argentine)

soleil d'or de la Meilleure Interprétation Masculine
Roque Valero dans Punto y Raya, de Elia K. Schneider (Venezuela)

mention spéciale du jury : Interprétation Masculine
Leonardo Ramirez dans El Cielito, de Maria Victoria Menis (Argentine-France)

prix du public France Bleu Pays Basque / Nouvelles Frontières
Conversaciones con mamá, de Santiago Carlos Oves (Argentine)

soleil d'or du Meilleur Court Métrage
Los Elefantes nunca olvidan de Lorenzo Vigas Castes (Venezuela-Mexique)

prix Ciné Court avec la chaîne Ciné Cinéma
Los Elefantes nunca olvidan, de Lorenzo Vigas Castes (Venezuela-Mexique)

Prix du documentaire LA CITA - Union Latine
Relatos desde el encierro, de Guadalupe Miranda (Mexique)
Prix décerné par un jury composé de : Geneviève Boyer, Anna Glogowski, Didier Guiton, Jean Labib, André de Margerie, Alessandro Melioli.

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