Les Trois Mousquetaires : vrai succès ou flop caché ?

Sorti sur les écrans français le 5 avril 2023, Les Trois Mousquetaires : D'Artagnan de Martin Bourboulon suit son petit bonhomme de chemin en salles depuis plus d’un mois. Annoncé comme le renouveau du blockbuster français, son hypothétique succès devait participer à relancer la machine du cinéma hexagonal d’ambition. Il est l’heure de faire un premier état des lieux de son parcours.

Alors qu’il est sur le point d’entamer sa 7e semaine d’exploitation, il est temps de faire un bilan mi-parcours du score des Trois Mousquetaires. Blockbuster à la française dont la promotion faite à coups de gros chiffres avait commencé dès le printemps 2022, le film de Bourboulon (et sa suite, prévue pour décembre 2023), faisait partie des locomotives censées assoir la suprématie de Pathé sur la nouvelle production audiovisuelle française.

Avec une armée de stars à son affiche (Eva Green, François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmaï, Romain Duris, Louis Garrel...) et un roman phare de l’œuvre d’Alexandre Dumas pour matériau de base, la machine avait de sérieux arguments, sur le papier, pour attirer un large public. Mais avec l’énorme concurrent Super Mario Bros. le film en face et la déception d'Astérix et Obélix : L'Empire du milieu encore fraîche, est-ce que tout s’est effectivement déroulé comme prévu pour D’Artagnan et ses petits camarades ?

Les Gaulois modernes

Faites vos jeux

Il est peut-être nécessaire de rappeler, en premier lieu, quels sont les enjeux spécifiques à ce film. À l’échelle de Pathé, il faisait partie de l’accord signé avec Logical Pictures ouvrant le financement de ce type de productions aux investisseurs privés, afin de sortir du cercle fermé des financements du CNC. Une tentative d’américanisation de son business par Jérôme Seydoux qui doit faire ses preuves d’ici 2024, l’accord avec Logical Pictures s’étendant jusqu’à cette date.

Si les films produits et acquis par Pathé sur cette période rapportent gros, le modèle pourrait être pérennisé, avec la possibilité de relancer les productions françaises ambitieuses mais aussi le risque d’instaurer une nouvelle loi du plus fort dans une industrie toujours plus capitaliste. Aux côtés des Trois Mousquetaires, Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu de Guillaume Canet et La Vie pour de Vrai de Dany Boon étaient les grosses productions concernées par l’accord (en parallèle de films plus discrets, comme Limonov: The Ballad of Eddie, le prochain Kirill Serebrennikov). Astérix et La Vie pour de Vrai n’ont, à ce stade, pas terminé leur course en salles.

Tirer les vers du nez

Mais le score d’Astérix a déçu, le film n’atteignant à ce stade que les 4,5 millions d’entrées au lieu des 6 millions minimums escomptés pour rentrer dans ses frais. La Vie pour de Vrai, de son côté, atteint tout juste les 725 000 en 3e semaine d’exploitation (sur la même période, Bienvenue chez les Ch’tis avait déjà atteint les 12 millions). Sans pour autant faire des scores infamants, ces films n’ont pour autant pas rempli leur objectif.

L’enjeu compte alors triple pour les deux volets des Trois Mousquetaires, seule autre superproduction française du premier semestre 2023 à part Astérix. Avec un budget de 36 millions d’euros pour le premier volet (et un budget double en englobant le tournage du deuxième volet ayant eu lieu au même moment), le film a beaucoup à faire pour se rentabiliser et devenir une opération réellement intéressante pour Pathé et ses investisseurs.

Eva se met au green 

Rien ne va plus

À regarder les chiffres seuls, on pourrait croire que le film de Bourboulon est une nouvelle déception pour ses producteurs. Et c’est peut-être le cas. Après six semaines en salles, le film a attiré 3,8 millions de spectateurs à travers le monde, et si beaucoup de films envieraient ces chiffres, ils ne sont pas si mirobolants à l’échelle d’une telle production. Ce résultat est d'ailleurs en dessous du "pas-si-mal-mais-pas-suffisant" d’Astérix et de ses 4,5 millions (à noter, cela dit, que les Gaulois ont coûté plus chers que les mousquetaires, avec un budget de 66 millions, soit 30 petits millions de plus).

Pio marmonne

Il faut dire que la sortie du Bourboulon s’est fait le même jour que le bulldozer Super Mario Bros. le film, qui s'est imposé en tête du box-office français pendant 4 semaines. D’une facture encore plus grand public, il était prévisible que les aventures du plombier moustachu raflent une bonne partie de la fréquentation, et il affiche aujourd’hui 6,6 millions d’entrées rien qu’en France. En termes d’argent, D’Artagnan compte aujourd’hui dans sa poche 24 millions d’euros récoltés à l’international, alors qu’il arrive en bout de course et que son budget était de 36 millions. Le manque à gagner reste donc important, à ce stade.

Néanmoins, son chemin ne s’arrête pas là : avant même de pouvoir compter sur l’exploitation en VOD, le film continue de séduire à l’étranger. Il vient notamment de sortir au Mexique où, au bout d’une semaine, il a déjà comptabilisé 362 000 entrées (faisant ainsi du pays d’Amérique centrale le deuxième marché du film, devant la Russie). De là à espérer qu’il finisse par se rentabiliser sur la seule sortie salle, il y a un gouffre que l’on n’oserait franchir, mais toujours est-il que D’Artagnan a encore des atouts dans sa manche.

Un film tout beau tout nef

DOUBLER LA MISE

Parmi ses atouts, il faut citer, entre autres, sa capacité à se maintenir. En effet, le film de Bourboulon a su monopoliser la deuxième place du box-office français pendant pas moins de 4 semaines, ne se faisant tenir la dragée haute que par l’imbattable Mario, dont le modèle n’est pas vraiment comparable. Pour ce qui est de la comparaison avec Astérix qui a, certes, fait davantage d’entrées, il faut rappeler que celui-ci a perdu presque la moitié de son audience (plus de 46%) dès la deuxième semaine, là où D’Artagnan n’en a perdu que 25% en moyenne chaque semaine et pendant trois semaines.

Il semblerait donc que la véritable force de frappe des mousquetaires soit la longévité. Par ailleurs, à considérer que Pathé a voulu raviver la flamme du film de cape et d’épée qui avait brûlé intensément dans les années 90, le pari est plutôt réussi. Le Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau sorti en 1990 avait accueilli 4,7 millions de spectateurs en France. Le remake du Bossu de Philippe de Broca en 1997 et L’Homme au Masque de Fer sorti en 1998 avaient, quant à eux, comptabilisé 2,3 millions d’entrées chacun sur ce même territoire (L’Homme au Masque de Fer ayant par ailleurs empoché 183 millions hors inflation à l’international).

Louis Garrel et garde-à-vous

Chaque cas est particulier et l’époque n’est pas la même, mais toujours est-il que le nombre de spectateurs susceptibles d’être séduits par un cinéma de cape et d’épée traditionnel semble se maintenir, et au regard de cet héritage, Les Trois Mousquetaires ne démérite pas. La stratégie peut aussi fonctionner plus qu’on ne l’imagine sur le long terme, car les deux volets (D’Artagnan et Milady, qui sortira en décembre) ont été tournés en même temps pour un budget total de 62 millions d’euros. Les frais ont ainsi été réduits et Pathé va pouvoir sortir deux blockbusters pour le prix d’un à moins d’un an d’intervalle.

Si rien n’est encore gagné, il se peut qu’il ressorte de ce tour de passe-passe une opération financière pas mauvaise. Si oui, assistera-t-on à un renouveau des adaptations du patrimoine littéraire français pour concurrencer, à domicile, une industrie des super-héros en déclin ? C’est peut-être l’ambition de Pathé, qui prépare déjà une nouvelle version du Comte de Monte-Cristo.