Adèle Haenel passe au lance-flamme le cinéma français

Adèle Haenel a décidé d'arrêter sa carrière au cinéma et, dans une lettre à Télérama, explique ses raisons politiques et dénonce le cinéma français.

On se souvient de la 45e cérémonie des César, et de la victoire polémique de Roman Polanski — accusé de viols et d'agressions sexuelles par une dizaine de femmes — dans la catégorie meilleur réalisateur pour J'accuse !. « La honte ! » s'était alors écriée Adèle Haenel avant de quitter en trombe la salle Pleyel. Quelques semaines plus tôt, l'actrice s'était notamment élevée contre Christophe Ruggia, réalisateur mis en examen, suite à ses accusations, pour attouchements sexuels sur mineur.

Depuis, Adèle Haenel est devenue une présence forte dans divers combats politiques : activiste des mouvements LGBT et féministes, alliée du Comité Adama, militante du Réseau pour la grève générale, fervente accusatrice de la réforme des retraites... Et justement, la comédienne remarquée dans Suzanne (César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2014), Les Combattants (César de la meilleure actrice en 2015) et évidemment Portrait de la jeune fille en feu s'est faite de plus en plus rare à l'écran. Son dernier rôle dans un film de fiction était dans Les Héros ne meurent jamais, en 2020, soit quelques mois à peine après les fameux César, et ce sera probablement le dernier de sa jeune carrière.

Adèle Haenel dans Les Héros ne meurent jamais

Si elle a participé aux documentaires Regard Noir et Retour à Reims (Fragments) en 2021, l'actrice est revenue sur ses engagements politiques et l'arrêt de sa carrière d'actrice au cinéma dans une lettre à Télérama. L'actrice y critique notamment, dans un premier temps, le caractère creux de la plupart des films français, malgré l'état du monde actuel : 

« J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est [...] Quelle est cette obsession du monde du cinéma de vouloir rester "léger" ? De ne surtout parler de "rien". » 

Le moyen pour Adèle Haenel de relever l'hypocrisie des films sociaux et du monde du cinéma en général, certains metteurs en scène traitant selon elle de sujets importants, souvent sans remettre en question les failles du système économique et politique actuel :

Adèle Haenel dans Le Daim

« Les chefs se lèvent et pètent, les larbins du capital ricanent et applaudissent. Ils sont agrippés à leurs coupes de champagne rosé, prêts à chanter à ces ultrariches lobotomisés par le pouvoir toutes leurs plus belles chansons pour leur dire qu'ils seront toujours les plus innocents. Que c'est vrai les pauvres sont pauvres et c'est malheureux, que les femmes sont violées et c'est malheureux aussi, mais que ce n'est la faute ni des riches ni du système qui les exploite.

Et d'ailleurs la grande industrie produit à dose homéopathique des films sur les pauvres héroïques et des femmes exceptionnelles, histoire de capitaliser toujours davantage sur notre dos sans donner aucune force à notre mouvement. Que tout le monde reste bien à sa place. [...] »

Ainsi, elle souligne et pointe du doigt avant tout l'impunité qui persiste à l'égard des agresseurs sexuels qui travaillent dans l'industrie :

« Mais elles et eux toustes ensemble pendant ce temps se donnent la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski, des Boutonnat [directeur du CNC, ndlr]. Ça les incommode, ça les dérange que les victimes fassent trop de bruit, ils préféraient qu'on continue à disparaître et crever en silence [...] »

La révolution en mouvement

Adèle Haenel a donc pris une décision forte pour sa carrière et sa vie. Et dans les derniers paragraphes de sa lettre, elle explique avoir choisi d'aller au-delà d’engagements symboliques et de films de fiction engagés, afin de jouer un rôle d'action plus direct dans les causes qui lui tiennent à coeur :

« Face au monopole de la parole et des finances de la bourgeoisie, je n’ai pas d’autres armes que mon corps et mon intégrité. De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève, je rejoins mes camarades pour qui la recherche du sens et de la dignité prime sur celle de l'argent et du pouvoir. »

Le message est donc très clair. L'actrice ne met toutefois pas totalement fin à son activité artistique. Dans la conclusion de sa lettre, elle a ainsi affirmé qu'à l'avenir, elle continuera à jouer dans des pièces de théâtre, notamment dans le cadre de sa collaboration avec la chorégraphe et metteuse en scène Giselle Vienne. C'est donc sur les planches que la comédienne sera visible encore quelque temps, avant de pleinement battre le pavé.

N'hésitez pas à écouter notre podcast La Réu' d'Ecran Large, notamment l'épisode sur Léa Seydoux.